▪ Cette journée du jeudi 9 février était celle du grand rendez-vous de Mario Draghi avec la presse et les marchés.
Les investisseurs n’avaient pas allumé leur poste de radio ou programmé leur chaîne d’information financière favorite pour apprendre que la BCE laissait son taux directeur inchangé — l’hypothèse d’une future baisse de taux n’a même pas été discutée. Non, ils étaient là pour collecter un florilège de petites phrases inspirantes ou énigmatiques, ce qui tranche pour de bon avec la langue de bois pré-formatée de J.-C.-Trichet ces dernières années.
▪ Une phrase qui n’est pas sans nous rappeler les subprime
Parmi les formules les plus appréciées, voici la grande favorite du jour : « nous acceptons plus de risques mais nous le gérons mieux ».
Cette remarque a été lancée à propos des collatéraux (emprunts souverains ou privés) acceptés en contrepartie de la délivrance de liquidités au système bancaire. C’est exactement ce que Goldman Sachs, Bear Stearns, Merrill Lynch, Lehman (et tant d’autres qui ont fait faillite) affirmaient à propos des subprime.
C’est ultérieurement le langage que la Fed a tenu en rachetant aux banques des créances de plus en plus douteuses à partir de 2009.
La BCE a doublé le montant de ses achats de dettes souveraines la semaine dernière. Il ne faut pas être Sherlock Holmes pour deviner que cela a largement contribué au succès des opérations de refinancement de l’Espagne et de l’Italie.
L’activisme de la BCE ressemble de plus en plus en plus à celui de la Fed — la planche à billets en moins — mais elle atteint les limites de sa capacité technique d’intervention.
Elle ne peut rien pour la solvabilité des banques. Elle ne peut pas contraindre les banques à prêter de l’argent. Selon Super Mario, c’est leur affaire de déterminer si offrir du crédit à l’économie réelle ou aux Etats est une activité pertinente.
Et comme la BCE ou l’OCDE sont les premiers à anticiper une croissance quasi nulle en Europe en 2012, quel intérêt y’a-t-il à prêter de l’argent à l’économie réelle dans l’immédiat ?
L’expérience démontre que lorsque des liquidités qui ne correspondent à aucune création de richesse tangible ou prévisible sont apportées aux marchés, elles nourrissent immédiatement des stratégies spéculatives. Ces dernières sont basées sur des captations d’écarts de volatilité, des arbitrages ou swaps de taux… et à tous les coups, le gonflement de bulles d’actifs.
C’est exactement ce que l’on observe depuis le 20 décembre dernier. Super Mario se justifie en ventant les mérites de son LTRO de 500 milliards d’euros — et du prochain qui sera de la même ampleur fin février. Cela écarte un credit crunch et « ce n’est pas infamant que d’y avoir recours ».
Les marchés sont bien de cet avis : l’Euro-Stoxx affiche 15% en huit semaines. Mais si l’on considère la contraction globale des bénéfices des entreprises de l’Eurotop 600 au quatrième trimestre et la prudence des projections pour 2012, le premier slogan qui vient à l’esprit c’est : « ça va moins bien, mais c’est plus cher » !
Et « toujours plus cher », tel est le mot d’ordre qui continue de régir la progression somnambulique de Wall Street.
▪ Wall Street toujours en apesanteur
Le même scénario se répète inlassablement depuis un mois, avec toujours les mêmes prétextes usés jusqu’à la corde. Citons comme exemple l’imminence de la résolution du problème grec, l’embellie sur le front de l’emploi aux Etats-Unis ou encore la promesse de liquidités éternellement gratuites.
La journée de jeudi a été le copier/coller de la séance précédente avec une hausse initiale… une vague d’ajustements de positions à la baisse durant une demi-heure… puis une remontée des indices en territoire positif… et enfin une stabilisation au contact des plus hauts du jour durant plus de quatre heures (avec moins de 0,2% de volatilité).
Au final, le Dow Jones grappille 0,05%, le S&P 0,15% à 1 152 points. Le Nasdaq, quant à lui engrange 0,4% de plus à 2 927 points. C’était la vingt-cinquième séance de hausse sur 33 depuis le 20 décembre dernier, un ratio proprement surnaturel… et qui l’est effectivement !
Aucune amorce de consolidation n’est tolérée… trop dangereux. Alors le marché autorise (au pire) une stagnation, comme celle du CAC 40 sous les 3 430 depuis vendredi dernier !
Quel remarquable travail des robots qui étirent indéfiniment le mouvement haussier, tout en écrasant la volatilité avec une opiniâtreté qui force le respect.
▪ Le VIX totalement « sous contrôle »
Le VIX a évolué durant 80% de la séance entre 18,4 et 18,6. Tant qu’il stationne sous les 20, la confiance apparente des opérateurs reste optimale et l’appétit pour le risque flirte avec les sommets.
Alors élastique continue de se tendre et les robots veillent à ce que cet étirement se déroule sans à-coup. Tant qu’il ne casse pas, le marché continue de tirer dessus ; et plus le risque réel de rupture s’accroît, plus le VIX (totalement sous contrôle) induit qu’il est d’une solidité à toute épreuve.
C’est exactement le même genre de raisonnements qu’ont tenu les marchés avec les subprime. La progression des prix était d’une telle régularité que la consolidation du secteur immobilier était jugée impossible… d’où l’affirmation anachronique d’un risque parfaitement maîtrisé.
Et c’est exactement ce principe que Mario Draghi est venu remettre au goût du jour ce jeudi. Principe défendu cinq ans (très exactement) après la faillite de New Century Financial qui marqua le début de l’éclatement de la bulle des dérivés de crédit qui empoisonnent désormais les nations.