La dette des entreprises a elle aussi ses subprime. Une bulle de taille équivalente à celle de 2008 au niveau américain… et du double au niveau mondial. Attention à la Bérézina…
Comme nous l’avons vu hier, si vous ajoutez les prêts bancaires octroyés par les banques aux entreprises non-financières américaines (en vert), à la dette high yield (junk bonds, en jaune) et à la dette investment grade (en bleu), vous arrivez à plus de 10 000 Mds$.
Ce qu’il faut savoir au sujet des prêts bancaires, c’est qu’ils peuvent être octroyés sur la base de garanties très « variables », dirons-nous pour rester poli, en fonction de la tête du client et des banques.
La réalité est que le niveau de garantie exigé par les banques américaines est souvent proche de ce que ces dernières demandaient au début des années 2000 aux particuliers pauvres mais désireux d’acquérir un bien immobilier.
Parmi ces prêts, les plus risqués sont les leveraged loans. Ces prêts à effet de levier font en effet l’objet d’une caractéristique qui les expose tout particulièrement au principal risque de notre époque.
Leveraged loans market : vers une Bérézina avec la remontée des taux ?
Voici ce que quatre agents de la Banque de France écrivaient au mois de juillet à ce sujet :
« Bien qu’il n’existe aucune définition unanimement reconnue, les leveraged loans sont communément définis comme des prêts accordés par une institution financière à une entreprise à fort endettement. La Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) qualifient de prêt à effet de levier tout prêt accordé à une entreprise dont l’encours de dette représente plus de quatre fois les bénéfices annuels. […]
Contrairement au marché des obligations à haut rendement (high-yield bonds) qui a cru dans une proportion moindre, le marché des leveraged loans a été soutenu par les besoins de financement des entreprises ayant parfois du mal à émettre de la dette obligataire sur les marchés. Les leveraged loans ont également bénéficié du resserrement monétaire aux Etats-Unis depuis fin 2015, grâce à leur taux d’intérêt variable. »
Vous avez bien lu : outre le fait que ces prêts sont accordés à des entreprises dont la santé financière est tout à fait discutable, il s’agit de prêts à taux… variable !
Inutile donc de vous dire qu’en cas de restriction de la régulation bancaire ou de remontée des taux, les entreprises ayant bénéficié de tels prêts pourraient se retrouver en très grave difficulté, et avec elles les banques qui se retrouveraient avec ces créances déficientes dans leur bilan.
Un marché de taille équivalente à celui des subprime aux Etats-Unis… et au double au niveau mondial !
Lors de la publication de son Financial Stability Report au mois de mai, la Fed américaine évaluait ce segment marché à 1 147 Mds$ pour les seuls Etats-Unis, après une augmentation de 20% en 2018.
Pour mettre les choses en perspective, cela représente grosso modo la même superficie que le marché des subprime hypothécaires en 2006.
Mais les leveraged loans ne sont pas une spécificité américaine : le 29 janvier, la Banque d’Angleterre estimait qu’il faut tabler sur le double au niveau mondial (2 200 Mds$)…
Leveraged loans : des tensions depuis le mois de juin
Certes, comme l’indiquait la Fed au mois de mai, « le taux de défaut sur les prêts à effet de levier a récemment légèrement diminué pour atteindre un niveau se situant près du plus bas de sa fourchette historique ».
Cependant, l’indice qui représente ces titres de dette (le S&P/LSTA Leveraged Loan Price Index) s’est décorrélé du S&P 500 au mois de juin, pour continuellement baisser depuis…
Bloomberg rapporte en effet ceci :
« Cinquante entreprises qui ont au moins 40 Mds$ de prêts ont perdu environ 10% de leur valeur nominale au cours des trois derniers mois. Un exode d’investisseurs a été observé sur le marché des prêts à effet de levier de la fin de l’été au début de l’automne, alors que les liquidités s’épuisaient. Cela est principalement dû à la baisse des taux du Trésor et à la montée des craintes au sujet de la fin du cycle économique, une récession pouvant se déclarer l’an prochain. »
9 octobre : « Le marché de la dette ‘s’effondre tranquillement’ alors que des milliards d’emprunts dévissent soudainement »
Vers un nouveau « carnage » financier ?
Et ZeroHedge de commenter :
« La détérioration des normes de garanties sur le marché des prêts a permis aux entreprises exposées à une dégradation de leur note de crédit lorsque l’économie ralentira d’obtenir des prêts.
[…] Le marché des prêts à effet de levier est donc comparable au marché des prêts hypothécaires à risque [NDLR : subprime] il y a dix ans. C’est un déséquilibre important qui sera corrigé lors de la prochaine récession et qui amplifiera le prochain ralentissement économique.
[…] L’accumulation d’un endettement excessif et la forte exposition aux prêts d’entreprises non-financières accroît l’incertitude selon laquelle les entreprises américaines, aussi endettées qu’elles sont, pourraient faire l’objet d’une implosion épique si la prochaine récession débute en 2020. »
Ce constat n’est pas une inquiétude cantonnée à un blog financier permabear comme ZeroHedge, puisque la Fed elle-même dressait le constat suivant dès le mois de mai :
« L’indicateur de qualité des clauses de prêt de Moody’s suggère que la rigueur générale des clauses de prêt s’approche de son niveau le plus faible depuis la création de l’indice en 2012, et que la fraction des leveraged loans cov-lite (prêts à effet de levier sans engagement de maintien de garantie financière) a considérablement augmenté depuis la crise. »
Le 5 juin, Bank of America (BofA) redoutait rien de moins qu’un « carnage » sur ce secteur.
Voici ce que déclarait alors Brian Moynihan, le PDG de la banque :
« Nous ne voyons encore rien car l’économie est bonne, les entreprises gagnent de l’argent. Le problème est celui du financement à effet de levier. »
Une déclaration assez amusante lorsque l’on sait que BofA a longtemps été le leader sur le marché des prêts à effet de levier…
En cas de « carnage » sur la dette corporate américaine, les compagnies d’assurances et les fonds de pensions américains, qui sont allés chasser du rendement sur les marchés en prenant plus de risques, seraient les plus fortement touchés.
Pour ce qui est de l’exposition aux seuls leveraged loans, voici ce qu’en disait la Fed dans son rapport du mois de mai :
« Les prêts à effet de levier sont principalement détenus par l’intermédiaire de fonds communs de placement et de collateralized loan obligations (CLO). Les CLO sont des produits titrisés qui sont à leur tour détenus par divers investisseurs [NDLR : comme pouvaient l’être les collateralized debt obligations, actifs les plus touchés lors la crise des subprime]. Sur la base des données limitées actuellement disponibles, les investissements dans les CLO sont répartis à peu près également entre les banques nationales et étrangères, les sociétés d’assurance, les fonds communs de placement et d’autres investisseurs. »
Bref, à peu près toutes les catégories d’investisseurs sont concernées.
Nous aborderons prochainement la conclusion de cette série sur la dette corporate !