"L’ignorance c’est la force, la liberté, c’est l’esclavage".
— G. Orwell
Contrairement aux indices américains lundi soir, les places européennes refusent l’obstacle. Le débordement des sommets estivaux s’est seulement esquissé durant les deux premiers tiers de la séance mais Paris clôture sur un repli symbolique (-0,1%).
Le CAC 40 affichait pourtant +1% vers 15 h 00 (à 3 825 points). Parallèlement, l’Euro-Stoxx 50 testait la résistance majeure des 2 828 points avant de basculer in extremis dans le rouge, au bout du suspense, et alors que l’Eurotop 100 perdait 0,4%.
A Wall Street, une treizième séance de hausse sur 14 semblait promise au Nasdaq. Pourtant, ce dernier n’aura passé que quelques secondes au-dessus des 2 355 points après le communiqué sans surprise et sans aucune originalité de la Fed. De son côté, le S&P 500 cherchait vainement des relais à la hausse après avoir brièvement flirté avec les 1 143 points, confirmant le franchissement de la résistance des 1 130 points.
▪ Les chartistes se sont néanmoins empressés de valider dès mardi matin le débordement des seuils techniques décisifs survenu le lundi 20 septembre. Ils ont ainsi occulté un faisceau de conditions techniques assez particulières : première séance du quatrième trimestre boursier, spéculation sur une action de la Fed, absence de vendeurs dans un contexte de spirale haussière qui dissuade toute initiative contrarienne.
Dans ce type de phases haussières "maniaques", les robots étendent leur emprise sur Wall Street. Avec 90% des ordres initiés par des machines (60% en trading haute fréquence, 30% par le biais de programmes d’optimisation de l’exécution), la décision humaine est presque intégralement bannie des opérations boursières au fil de l’eau. Et plus la Bourse verse dans le somnambulisme informatique, plus l’on nous brandit l’alibi de la psychologie des opérateurs.
Prenons le Nasdaq, par exemple. Depuis quand une série de 13 hausses sur 14 séances (pour un gain cumulé de +12%) dans un environnement économique plus incertain que jamais constitue-t-il le reflet d’une "psychologie" ?
Il s’agit d’une version lente du flash krach du 6 mai dernier. La tendance initiale se systématise, jusqu’à la disparition de toute contrepartie : les vendeurs ne sont plus que les acheteurs de la seconde précédente, en trading haute fréquence.
Les programmes informatiques sont très majoritairement acheteurs. C’est une sorte de krach haussier au ralenti, mais dépourvu de la moindre émotion (automatisation de l’exécution) et du moindre sens de la démesure (les haricots magiques sont faits pour grimper jusqu’au ciel !).
Tous les indicateurs techniques court terme sont figés au vert depuis la mi-septembre. La notion de surachat est abolie car tout se joue au niveau de l’ultra-court terme, sur des périodes très inférieures au dixième de seconde.
Le découplage par rapport au réel atteint des sommets inconnus puisque les indices boursiers américains réalisent leur plus spectaculaire séquence haussière de l’année. Le tout sur fond de division par deux ou trois de la croissance économique US en l’espace d’un trimestre.
Ce n’est pas la perception d’une réalité positive qui détermine la hausse des cours, c’est la hausse des cours qui induit l’invention d’une nébuleuse de causes supposées positives… comme l’impact potentiellement miraculeux d’une nouvelle injection de liquidités par la Fed.
▪ Et pour que la Réserve fédérale agisse, il faut précisément que le tableau économique soit le plus sombre possible. Il ne l’est manifestement pas encore assez puisque la Fed n’a donné aucun indice sur le fruit de ses réflexions concernant de nouvelles mesures de soutien.
Comme dans le 1984 d’Orwell, nous assistons à un renversement du sens. "L’ignorance, c’est la force", "la liberté, c’est l’esclavage", "le pire, c’est le meilleur", "la récession, c’est la prospérité".
En ce qui concerne plus précisément "l’ignorance, c’est la force", beaucoup d’opérateurs présents sur le Salon du Trading affirmaient ne rien vouloir connaître de l’origine des mouvements boursiers… afin de ne pas être perturbés par une prise de conscience de leur absurdité !
Seul importe le suivi de la tendance, rien que la tendance, le marché a toujours raison, ne gagne que celui qui lui obéit aveuglément… l’esclavage, c’est la liberté (et réciproquement) !