▪ Ca se met à partir dans tous les sens, les paroles ne collent plus avec la musique depuis lundi 10h30, les indicateurs de volatilité évoluent en mode porte de saloon et les indices boursiers en font autant.
Nous aimerions pouvoir accéder à des enregistrements pirates de type WikiLeaks — qui abandonne les serveurs d’Amazon suite aux pressions des services secrets américains pour se faire héberger en Suède — émanant des bureaux directoriaux des plus puissantes banques d’affaire de Londres ou de New York.
A notre avis, le plongeon de lundi dernier constituait une sorte d’avertissement adressé à Bruxelles et à la BCE. Les détenteurs privés de dettes souveraines n’accepteront pas de voir leurs investissements menacés d’une restructuration — comme par exemple, un moratoire sur les intérêts versés ou un allongement de la maturité.
Pas question d’assumer le moindre risque lié au surendettement des Etats, lesquels ont mis plus de 4 500 milliards de dollars sur la table pour sauver précisément ce même système bancaire qui leur tourne ostensiblement le dos.
Jean-Claude Trichet a déclaré hier que la BCE "surveille de près" la situation (ce qui confirme que la Banque Centrale reste en alerte maximum) mais qu’il n’est pas question d’un rétablissement d’un quantitative easing. Les rachats d’obligations émises par les banques en difficulté se poursuivent effectivement mais ces investissements sont stérilisés par une suppression symétrique de liquidités offertes au système financier (donc pas de création monétaire).
Sur le coup, les marchés ont été déçus que le patron de la BCE ne confirme pas les rumeurs de renforcement des mesures de stabilisation financière de la zone euro, avec l’instauration d’une sorte de quantitative easing européen, ou QEE, comme l’évoquait Simone Wapler. Mais ils se sont consolés avec la hausse surprise de 10,4% des précommandes de logements neufs. Une annonce qui a occulté le rebond de 26 000 inscriptions hebdomadaires au chômage.
▪ Wall Street a donc confirmé en clôture son orientation positive initiale et inscrit une seconde séance de forte hausse : +1,28% pour le S&P (à 1 221 points) et +1,17% pour le Nasdaq qui renoue avec ses records annuels de clôture à 2 580 points.
Le Dow Jones, soutenu par les valeurs bancaires, gagnait pratiquement 1%, à +0,95%, soit 101 points de hausse, la fameuse hausse à 3 chiffres. L’indice se hisse au contact des 11 360 points, soit à moins de 0,8% de son zénith des 11 450 points.
Wall Street aborde la période des habillages de bilans dans les meilleures conditions et la séance d’hier — qui s’achève comme en Europe au plus haut du jour — constitue une entrée en matière des plus encourageantes.
Il ne faudrait pas que les chiffres de l’emploi publiés ce vendredi viennent ternir l’humeur des marchés. De toute façon, si les scores devaient en rester là, 2010 resterait un bon cru avec 9% de hausse pour le Dow Jones et 14% de gain pour le Nasdaq.
▪ Le mieux est parfois l’ennemi du bien et il n’est pas certain que de nouvelles prises de risques soient pertinentes alors que les taux longs ont poursuivi leur envolée avec 3,01% de rendement sur le T-Bond à 10 ans (3,0280% au plus haut du jour) et 4,30% sur les obligations à 30 ans.
Cette tension des taux sur l’ensemble de la courbe -– les obligations à 5 ans repassent de 1,63% à 1,65% — n’a pas affecté les valeurs bancaires cotées à Wall Street.
Une nouvelle forme d’autisme se met en place car les investisseurs font le pari que les créanciers de l’Amérique s’abstiendront d’exiger des mesures d’austérité visant à restaurer la confiance dans la capacité des Etats-Unis à rembourser ses dettes autrement qu’en monnaie de singe. Sans parler de taux d’intérêts ridiculement bas face à un passif budgétaire de 13 800 milliards de dollars.
▪ Nouvelle preuve que l’Amérique croit dur comme fer qu’aucune tension des taux ne la menace (les bailleurs de fonds n’ont qu’à continuer de se montrer intransigeants avec le Portugal et laxistes avec les Etats-Unis), d’intenses tractations se déroulent au Congrès sur la question de la politique fiscale.
Il n’a pas été trop difficile à l’administration Obama d’obtenir dès jeudi soir une majorité pour proroger les mesures d’allégements fiscaux dont bénéficient les classes moyennes.
Le combat politique s’annonce autrement plus long et ardu en ce qui concerne la suppression de certaines dispositions très avantageuses — et très coûteuses en terme de pertes de recettes fiscales — mises en place par l’administration Bush en faveur des riches et des ultra riches. Certains d’entre eux, dont Warren Buffet, plaident même pour un relèvement du montant des impôts les concernant.
Ces exonérations portant notamment sur les revenus de valeurs mobilières expireront le 31 décembre 2010. Si les démocrates avaient pu conserver leur majorité, ils auraient pu s’opposer aux demandes de reconduction des Républicains.
▪ Les plus conservateurs d’entre eux et tous ceux — y compris parmi les démocrates — qui tentent de flatter les ultralibéraux du Tea Party se livrent à un marchandage odieux, immoral et cynique concernant la mise en place de nouvelles mesures, forcément coûteuses, d’aide en faveur des deux millions chômeurs de longue durée.
Les allocations exceptionnelles dont ils bénéficiaient ont cessé de leur être versées depuis le 30 novembre, comme le prévoyait le précédent plan d’urgence voté neuf mois auparavant. Sa prolongation a été repoussée par la Chambre des Représentants le 18 novembre dernier, à moins de deux semaines de la deadline.
L’allocation chômage hebdomadaire s’élève en moyenne à 302,90 dollars (232 euros) aux Etats-Unis mais ceux qui travaillaient à mi-temps avant de perdre leur travail touchent beaucoup moins. Avec un crédit immobilier sur le dos, vous comprenez aisément comment les chômeurs se retrouvent sans un toit sur la tête.
Deux millions de chômeurs sont donc brutalement privés de ressources, et cela peut faire beaucoup de dégâts (explosion des saisies immobilières, faillites personnelles, délinquance…).
▪ Pour les Républicains, ce sera donc du donnant-donnant : de quoi survivre pour les plus pauvres contre de quoi faire le plein pour son yacht ou de son jet privé pour les plus riches.
Vu d’Europe, cela peut apparaître terriblement choquant mais pas aux Etats-Unis. Le système est ainsi, il y a des gagnants et des perdants. Un axiome solidement ancré dans l’inconscient collectif postule qu’on ne peut faire avancer un pays en dilapidant ses ressources en faveur des plus faibles : il faut au contraire soutenir les plus forts car ce sont eux qui tirent la conjoncture vers le haut.
Si c’était vérifiable, et si c’était aussi simple, l’Irlande devrait être le pays le plus prospère du monde et la Suède (4,5% de croissance cette année), le plus pauvre !