** "Imprimer un billet de 100 $ ne coûte presque rien au gouvernement américain", a écrit l’année dernière Thomas Palley, économiste à Washington, "mais les étrangers doivent donner plus de 100 $ de leurs propres ressources pour obtenir ce billet".
– "C’est un joli profit pour les contribuables américains".
– Ces profits — versés en pétrole des pays arabes… en jouets de Chine… et en vacances dans des capitales européennes décrépites — ont grimpé en flèche depuis que les Etats-Unis ont fermé la "fenêtre de l’or" à la banque centrale américaine, refusant de donner quoi que ce soit en échange de leurs dollars.
– Désormais le monde doit se contenter du dollar, un point c’est tout. Jusqu’ici tout va bien. Mais l’arnaque ne fonctionnera pas indéfiniment.
– "Le déficit extérieur des Etats-Unis s’est réduit de façon tout à fait inattendue en septembre", rapportait Bloomberg il y a quelques jours, parce que "les consommateurs étrangers se sont jetés sur les produits américains — du coton aux semi-conducteurs — compensant ainsi la crise du logement qui ne cesse d’amplifier et entame sérieusement la confiance des consommateurs américains".
– "Les exportations ont atteint des niveaux record pour chacun des sept derniers mois — la plus longue période de hausse consécutive depuis 2000", continue Bloomberg, "ce qui pourrait contribuer à expliquer le fait que l’administration Bush a suggéré qu’il ne fallait pas s’inquiéter de la chute du dollar. Bien qu’il ait été constamment en baisse ces cinq dernières années, sauf une, le gouvernement continue de clamer son engagement pour un dollar ‘fort’."
– Cependant, ce que Bloomberg oublie, c’est l’augmentation en parallèle du prix des importations américaines. Elles ont augmenté de 9,2% d’une année sur l’autre en octobre, a affirmé mercredi le département US du Travail, plus haut que le taux d’inflation des importations de 5,2% un mois plus tôt.
** Certes, la hausse du prix du pétrole est en grande partie responsable de cette augmentation — et la hausse du cours de l’or noir dans le monde fait peut-être plus que refléter uniquement la faiblesse du dollar. La théorie du Peak Oil commence à faire les gros titres un peu partout. Les craintes de pénurie énergétique n’avaient pas été aussi importantes depuis que le Club de Rome avait annoncé une crise de l’économie mondiale en 1972.
– Mais si vous — une nation produisant du pétrole — étiez inquiets de voir un jour prochain vos puits à sec, ne souhaiteriez vous pas obtenir le prix maximum pour les barils que vous vendez aujourd’hui ? Particulièrement si le dollar lui-même perdait dangereusement de sa valeur ?
– "Fin 2006, les réserves de change de la Chine étaient de 1 066 milliards de dollars, ou 40% du PIB du pays", constate Edwin Truman dans un nouvel article pour l’Institut Peterson. "En 1992, les réserves étaient de 19,4 milliards de dollars, soit 4% du PIB. Elles ont franchi le seuil des 100 milliards de dollars en 1996, celui des 200 milliards en 2001 et celui des 500 milliards en 2004".
** Que faire de tous ces dollars ? "… On peut même se demander jusqu’où irait le trouble si les Etats qui détiennent des dollars en venaient, tôt ou tard, à vouloir les convertir en or ?" avait averti Charles de Gaulle en 1965. "Lors même, d’ailleurs, qu’un mouvement aussi général ne se produirait jamais, le fait est qu’il existe un déséquilibre en quelque sorte fondamental".
– "Etant donné la secousse universelle qu’une crise survenant dans ce domaine entraînerait probablement, nous avons en effet toutes raisons des souhaiter que soient pris, à temps, les moyens de l’éviter", affirmait le président français. Mais le moyen choisi par Washington — abroger le droit de tous les autres états nations d’échanger leurs dollars contre de l’or — n’a fait qu’encourager la production de dollars.
– La stratégie de Nixon a entraîné une crise de confiance d’une telle ampleur à la fin des années 1970 que le prix de l’or a dépassé les 800 $ l’once — et il a fallu des taux d’intérêt à deux chiffres pour renflouer le billet vert et restaurer la confiance que le monde avait mis dans les promesses en papier de l’Amérique.
– La véritable crise, cependant — la crise construite à l’intérieur même d’un système qui autorise les Etats-Unis à imprimer une devise que personne ne peut refuser — a simplement été retardée. Et nous pourrions aujourd’hui nous trouver confrontés à la phase finale de ce jeu de domination monétaire d’après-guerre que jouaient les Etats-Unis.
– Si les fonds monétaires souverains — propriété des gouvernements nationaux, souvenez-vous — ne peuvent pas se rabattre sur la Fed pour échanger leurs billets verts, il se peut qu’ils les échangent contre d’autres capitaux. BCA Research, à Montréal, pense que les "fonds monétaires souverains" appartenant aux gouvernements asiatiques et arabes seront à la tête de près de 13 milliers de milliards de dollars d’ici 2017. "Une somme équivalente à la valeur actuelle des entreprises du S&P 500".
– Si la Chine ne veut pas acheter les sociéts du S&P500 — si le Congrès US n’autorise pas les entreprises arabes à racheter des capitaux intérieurs américains comme des installations portuaires — les fonds monétaires souverains vont tout simplement échanger leurs dollars contre des mines de cuivre en Afrique, des réserves de pétrole en Amérique Latine, du blé Australien… n’importe quoi qui ait une valeur réelle, intrinsèque.
– Ils pourraient aussi se contenter d’acheter de l’or. Après tout, c’est "éternellement et universellement […] la valeur inaltérable et fiduciaire par excellence", comme l’a dit un jour un président français.
– Charles de Gaulle a également affirmé qu’une crise amenée par une ruée vers la sortie — hors du dollar — pourrait mener le monde à sa perte. C’était moins une en 1980. Et aujourd’hui, où en sommes-nous ?