Simone Wapler (*)
Depuis son sommet à 1 011,25 $ le 17 mars dernier, l’once ne réagit plus que très mollement aux différentes annonces de naufrages financiers, elle se traîne à peine au-dessus de 750 $. Beaucoup sont déçus par ce comportement atone. Le marché de l’or connaît en ce moment une véritable anomalie : le cours comptant du papier est en-dessous du cours comptant de l’échange d’or physique et cette anomalie ne devrait pas s’éterniser.
D’un côté, des intervenants professionnels s’échangent du papier à un cours donné sur des Bourses électroniques. De l’autre, des intervenants s’échangent des pièces à des cours de 20 à 30% supérieurs à ceux du marché papier. A un moment donné, les détenteurs de l’or physique nécessaire à la fabrication des pièces vont se retrouver tentés de ne pas le lâcher aussi facilement et les cours du marché papier devront s’aligner sur le marché physique.
La prime, c’est-à-dire la différence de prix entre l’or pur contenu dans une pièce et le prix comptant de cet or pur régi par le fixing de Londres ou de New York, atteint des sommets. Elle était encore négative à la sortie de l’été. Le site 24hgold.com note qu’en France, la prime est de 15% sur les napoléons ; elle atteint 55% sur la pièce de 10 dollars, un écart pas vu depuis trente ans. Le record revient à la pièce de 5 roubles : plus de 60%. Le site de RTL Pays-Bas indiquait le 20 octobre qu’il n’y avait plus d’or physique disponible en Belgique. La situation serait identique en Allemagne et en Suisse. Bref, le marché du tangible peine à satisfaire la demande.
L’or papier vendu "à tout prix"
Le plus gros marché du monde en volume est celui du Comex. Sur cette place s’échangent principalement les contrats à terme sur l’or et interviennent les courtiers des banques et du gratin de la finance. Comme d’habitude, la mise à mettre sur la table pour acquérir un contrat à terme est relativement faible en regard de la valeur vénale de la marchandise couverte par le contrat.
Avec la faillite de Lehman Brothers, certains des bureaux des courtiers qui opéraient pour de grandes banques et de gros fonds sont déserts. Les fonds de gestion alternative et les fonds de couverture se trouvent quant à eux obligés de vendre à tout prix. En effet, beaucoup avaient misé sur des paniers de matières premières dans lesquels rentrait de l’or.
Ces fonds se trouvent aujourd’hui contraints à la liquidation : il leur faut trouver du cash rapidement pour éponger leurs pertes, ou rembourser leurs emprunts à l’origine des fameux "effets de levier", ou encore payer leurs clients qui veulent se dégager. L’or se retrouve donc pris malgré lui dans la spirale baissière ; le prix comptant est tiré vers le bas.
Les deux marchés ne peuvent pas diverger éternellement. Les minières et les fondeurs de lingots ne sont pas prêts à se départir de leur or physique à vil prix alors qu’ils savent très bien qu’au même instant la filière des pièces est aujourd’hui au-dessus du prix papier.
Pour le moment, les banques centrales se sont remises à vendre pour éviter une surchauffe. Ainsi, la Banque centrale européenne a déclaré le 11 octobre s’être départie de plus de 7 tonnes d’or au début du mois. Pour que l’or dépasse les 1 000 $, il faudra que le dollar donne à nouveau des signes de faiblesse. Pour le moment, le billet vert profite d’un effet de refuge. Les capitaux qui se dégagent des marchés restent en dollar, monnaie qui a beaucoup de défauts mais possède l’immense mérite d’être liquide.
La généralisation de la crise financière aux quatre coins du monde a profité au dollar. Mais tôt ou tard, le monde redécouvrira que la crise concerne d’abord les Etats-Unis et que ceux-ci sont endettés. Le marché du papier et celui de l’or physique convergeront alors, par le haut.
(*) Simone Wapler est analyste, journaliste et ingénieur de formation. Elle a déjà contribué à des publications telles que Le Point, Enjeux, Les Echos, Chart’s… Spécialisée dans les valeurs industrielles, les matières premières, les énergies, l’or, les minières, Simone Wapler est passionnée par les investissements "tangibles". Elle analyse chaque semaine le secteur aurifère dans l’Investisseur Or et Matières.