▪ La question des finances publiques et des déficits induit plus que jamais l’évocation du Titanic : l’image fait désormais figure de lieu commun — mais elle conserve toute sa pertinence. L’évolution des marchés financiers nous fait penser quant à elle au Bateau Ivre d’Arthur Rimbaud : au premier degré, les indices boursiers semblent avoir rompu leurs amarres et dérivent, chahutés par « le clapotement furieux des marées », au gré des caprices du vent.
Au second degré — pour coller d’un peu plus près au message plein de contradictions du poète — le marché semble effectivement osciller entre la contemplation d’images somptueuses et le surgissement de visions plus sinistres. Nous avons donc un peu de mal à trouver des mots pour décrire les errements des indices… Mais au niveau du ressenti, c’est un peu plus facile à exprimer : nous commençons à éprouver un sérieux mal de mer !
Quel contraste avec la mer d’huile que nous avons connue de la mi-août 2009 aux premières séances de janvier, puis de la fin février à la mi-avril. A l’époque, il suffisait de se laisser porter par les courants chauds du Gulf Stream ; c’est à peine si l’on percevait un peu de tangage au moment de la parution des statistiques économiques où des résultats trimestriels.
Mais le Gulf Stream finit par se perdre et se dissoudre dans les Quarantièmes rugissants. Ceux qui ne mettraient pas rapidement le cap au sud se retrouvent rapidement aspirés par les Cinquantièmes hurlants — une région particulièrement inhospitalière où des vents déchaînés font se lever d’énormes vagues d’eau glacée et où de furieuses déferlantes peuvent engloutir les navires trop frêles et les marins imprudents.
▪ Mais laissons là les images marines. Revenons-en plutôt à des considérations plus terre à terre : quand les marchés adoptent un biais haussier, les opérateurs s’efforcent collectivement de lisser les courbes jusqu’à ce qu’ils obtiennent un processus d’auto-réplication du schéma haussier.
Chacun sait à quel point il est confortable de se reposer sur des programmes informatiques qui ont largement fait leurs preuves lors les phases de gonflement des bulles boursières. Mais lorsque la visibilité disparaît, lorsque la confiance s’évanouit, lorsque l’enveloppe de la bulle rencontre une aspérité… elle se fragmente soudain en milliers de micro-particules qui se dispersent dans tous les sens.
Il en va de même pour les opérateurs. C’est soudain le règne du chacun pour soi, avec comme seule préoccupation de sauver sa peau (c’est-à-dire d’éviter de perdre plus que le concurrent ou le collègue).
Il en résulte un marché chaotique, qui danse comme un bateau ivre et qui — vu les latitudes où il se met à naviguer — peut à tout moment croiser la route d’un iceberg… ou pas !
C’est ce qui inspire les stratégies très prudentes que nous avons mises en application depuis la vague de baisse « scélérate » du 29 juin dernier : invisible, imprévisible, elle avait valeur d’avertissement ! Les marchés ont pénétré, sans s’en rendre compte, dans cette zone du cercle polaire que redoutent tous les marins. A l’émerveillement des aurores boréales peuvent succéder des tempêtes de neige en pleine mer qui rendent les voiliers si lourds qu’ils peuvent chavirer à tout moment.
▪ Les vents et le tumulte sont retombés mercredi en fin de matinée. La féérie de l’ionisation des couches supérieures de notre atmosphère illumine maintenant la nuit arctique d’une magnifique lueur verte (+3,8% à Madrid, +2,2% pour l’Euro-Stoxx50, +1,8% à Paris en clôture et à Wall Street en fin de matinée).
Si nous prenons nous aussi le temps de jouir un peu du spectacle, nous ne manquons pas de profiter de ces conditions plus favorables pour commencer à mettre le cap au sud (c’est-à-dire nous préparer à une poursuite de la baisse, dans le langage imagé des chartistes).
Nous ne sommes évidemment pas surpris que s’amorce un rebond technique après sept séances et demie de repli ininterrompu et plus de 12% perdus en ligne droite. Il ne faut cependant pas oublier que ce mouvement a débouché sur la cassure des planchers annuels 2010 sur l’ensemble des indices de référence américains.
Alors que l’actualité du jour était quasi inexistante outre-Atlantique, il faut reconnaître que la bonne tenue des places européennes a favorablement impressionné Wall Street.
▪ Par ce jeu des influences positives réciproques, la Bourse de Paris termine au plus haut du jour, à 3 483 points, dans le sillage des quatre valeurs bancaires figurant dans le CAC 40. Elles ont littéralement explosé à la hausse avec Dexia (+7,85% à 3,06 euros), Société Générale (+7% à 37,575 euros), Crédit Agricole (+6,95% à 9,20 euros). Comptez aussi BNP Paribas (+5,95% à 47,97 euros) et Natixis, qui a également flambé de 5% au sein du SBF 120.
Ce soudain regain de confiance bénéficiant au secteur financier résulte de l’éclaircissement d’un détail méthodologique concernant les stress tests en Europe. Le risque des dettes souveraines sera pris en considération mais les décotes devraient demeurer limitées (de l’ordre de -15% à -17% par exemple sur les emprunts grecs), le risque de défaut étant jugé négligeable.
▪ Quelle volatilité ! Le CAC 40 a varié de plus de 120 points entre les extrêmes du jour (soit 3,5% d’écart en quelques heures)… Toutefois, les volumes restent bien étroits (3,4 milliards d’euros) en regard de tels écarts en intraday.
Les indices avaient mal commencé la journée, avec des pertes supérieures à 1,5% en début de matinée suite à la parution de statistiques économiques bien décevantes. Les commandes à l’industrie allemande ont reculé de 0,5% en mai, alors que les économistes prévoyaient une progression symétrique de 0,5%.
Toujours sur le front macro-économique, le PIB de la Zone euro et celui de l’Union européenne ont augmenté de 0,2% par rapport au trimestre précédent, selon les deuxièmes estimations publiées par Eurostat qui confirme ainsi sa dernière publication.
En France, la balance du commerce extérieur se dégrade très nettement (-5,5 milliards d’euros) sous l’effet d’un net recul des très grands contrats aéronautiques au mois de mai.
Ceci posé, ce genre de mauvaises nouvelles était en grande partie intégré dans les cours, les indices étant revenus revisiter leurs plus bas annuels.
▪ Après avoir manqué de peu l’inscription d’une huitième séance de repli consécutive la veille, alors que les opérateurs ne semblaient ne rien discerner qui puisse les sortir de leur déprime, il a suffi que la banque State Street révise ses estimations de résultats du deuxième trimestre à la hausse pour que Wall Street explose de +3%.
Si le Dow Jones prend « seulement » 2,8%, la barre symbolique des 10 000 points est refranchie — et 28 titres sur 30 terminent dans le vert. Plus volatil, le Nasdaq s’envole de 3,15% (+65 points à 2 160 points) avec un ratio hausses/baisses de 95/5.
Tout ceci peut paraître échevelé mais les indices US reprennent 3,5% en 48 heures, et +5% sur leurs planchers du vendredi 2 juillet… Exactement comme les indices européens mais avec un décalage horaire de 24 heures.
L’effet State Street (+9,9%) a littéralement euphorisé l’ensemble des valeurs financières ; l’indice sectoriel des banques a bondi de 5%.
Les industrielles et les technologiques ont également signé un retour en force grâce à un soudain basculement psychologique des opérateurs : « et si la saison des résultats qui démarre lundi prochain réservait davantage de bonnes surprises que de mauvaises ? ».
Mais une fois encore, quel virage à 180 degrés en moins de 24 heures… C’est comme si Wall Street, incapable de confirmer la rupture de ses supports moyen terme, n’avait d’autre choix que de renoncer à ses anticipations baissières et de retourner au plus vite les positions à découvert.
Cette séance de mercredi, c’est comme si le bateau ivre — prêt à couler à pic le 1er juillet — s’était transformé en hors-bord au beau milieu d’un champ d’icebergs !