▪ Les marchés oublient vite ! La défaillance des plus gros émetteurs obligataires de Dubaï il y a une semaine est déjà ravalée au rang d’anecdote sans conséquences. Les Bourses occidentales et asiatiques auraient joué à se faire peur — rien de nouveau sous le soleil de plomb des Emirats.
Vous êtes sceptique ? Les stratèges boursiers, eux, n’ont pas froid aux yeux ! Vous pensez comme nous que le marché immobilier et les grands travaux devraient connaître un sévère coup d’arrêt dans les pays du golfe Persique… mais la plus forte hausse de la semaine est un champion du BTP. Le titre Eiffage engrange 14,5% — soutenu, il est vrai, par une recommandation d’Exane/BNP-Paribas, peut-être rédigée avant l’annonce du défaut sur la dette de Dubai World.
Les Emirats devraient également commander moins d’avions et même chercher à différer des livraisons… Pourtant, la deuxième meilleure performance de la semaine est Zodiac Aerospace (+11,1%), principal partenaire d’Airbus (le plus gros fournisseur des compagnies Emirates et Qatar Airways)… EADS terminait quant à lui leader du CAC 40 vendredi avec un gain de 3,9%.
L’arrêt progressif (France) ou brutal (Allemagne, Etats-Unis) de la prime à la casse devrait peser sur les commandes de voitures dès le mois de décembre… mais Renault monte sur la troisième marche du podium hebdomadaire avec +10,6% ; Valéo le talonne de près avec +10,3%.
▪ Pas moins de 36 valeurs sur 40 ont progressé sur les quatre premiers jours de décembre. La séance de vendredi a constitué une apothéose haussière, dans des circonstances qui n’ont pas fini d’intriguer les économistes et les chartistes (nous allons y revenir en détail).
Les performances de Paris et des autres places européennes auraient toutefois été bien plus modestes si les cotations s’étaient prolongées un quart d’heure de plus — ou si Wall Street avait dévissé à la baisse un quart d’heure plus tôt.
Le Dow Jones évoluait encore nettement dans le vert à 17h30. Les opérateurs n’ont pas imaginé que l’envol du dollar au-delà des 1,49/euro ne tarderait pas à lui faire reperdre 200 points sur ses meilleurs niveaux du jour. Le Dow a affiché jusqu’à -0,5% par deux fois en cours de séance — pour en terminer in extremis sur une hausse symbolique de 0,2%, le S&P grappillant 0,55%.
Le CAC 40 (+1,25%) a été propulsé en quelques minutes de 3 775 points vers les 3 850 points et invalidait la formation d’un « diamant » — que nous avions évoqué vendredi en fin de chronique.
Reste cependant le risque baissier induit par une « structure en porte-voix » (traduisant une fuite en avant haussière sans volumes pour étayer la hausse) et une « tête/épaules » que les puristes remettent en cause du fait du soulèvement en séance de la résistance des 3 860 points.
▪ La publication de chiffres de l’emploi quasi surréalistes aux Etats-Unis a provoqué un scénario de séance rarissime avec un écart de 2% à la hausse — sans qu’il y ait eu la moindre cotation sur les contrats sur indices CAC 40 ou DAX 30. Nous avons observé un gap intraday de presque 60 points sur ces deux indices.
L’indice parisien a par ailleurs repris jusqu’à 100 points en moins d’une heure, de 3 775 points jusque vers 3 876 points. L’Euro-Stoxx obéissait au même schéma, avec 2,7% gagnés en ligne droite. Le gain hebdomadaire des indices européens dépasse au final les 3% en moyenne ; le CAC 40 engrange 3,35%.
La violence de la réaction des opérateurs a été à la mesure de la surprise causée par l’ampleur de la contraction du chômage américain au mois de novembre. Non seulement les pertes d’emplois sont pratiquement tombées à zéro (-11 000) mais les pertes des mois précédents auraient été largement surévaluées — alors qu’elles avaient déjà fait l’objet d’une révision… à la hausse le mois dernier : on croit rêver !
Les chiffres de septembre s’établiraient à -139 000 au lieu de -219 000. Ceux d’octobre seraient à -110 000 au lieu de -190 000 : la différence est de 160 000 sur une estimation initiale de -409 000 !
Une révision de 40% par rapport à des chiffres déjà réajustés, c’est aussi une manière de record en la matière. Cependant, les marchés européens n’ont voulu retenir que l’aspect le plus positif de l’annonce : il s’agit du meilleur chiffre publié concernant l’emploi depuis décembre 2007. Peu importe qu’il apparaisse en contradiction totale avec l’enquête d’ADP (-169 000 en novembre) publiée 48 heures auparavant et dont les données sont reconnues plus fiables que celle du département du Travail US.
▪ A Wall Street également, les opérateurs se sont réjouis de l’extraordinaire élasticité des statistiques américaines concernant le marché de l’emploi. Le rebond du dollar (+1,5% à 1,4850/euro) les a toutefois rapidement fait déchanter.
La principale victime de cette divine surprise de l’emploi aux Etats-Unis, c’est l’or. Il a rechuté de 4,5%, à 1 161 $/once. L’euro a lui aussi chuté de 1,25% à 1,4880 $ ; le yen chute même de 2% — cela pourrait faire du dégât à Tokyo cette semaine.
Les marchés obligataires accusent également le coup avec une tension de +15 points de base sur les T-Bonds 2014 ; le 2019 a vu son rendement grimper soudainement de 0,15%, à 3,5%.
Si le mécanisme du carry trade déraille cette semaine, le franchissement des 3 840 points par le CAC 40 constituera le quatrième faux signal graphique en six séances, dont trois consécutifs mercredi, jeudi et vendredi. Pas de jaloux puisqu’il s’agit chronologiquement de deux bear traps puis de deux bull traps.
Pour les amateurs de trading intraday, les séances de jeudi et vendredi ont été un cauchemar — et une magnifique illustration du syndrome des « portes de saloon ». Pour ceux qui ont parié sur la chute du dollar, gare à la chute de la « fenêtre guillotine » !
Beaucoup d’opérateurs réalisent rétrospectivement que si les chiffres du chômage de septembre et octobre avaient été dévoilés avec une plus grande rigueur méthodologique, le discours de la Fed aurait été tout différent et le dollar n’aurait probablement pas enfoncé le palier des 1,50/euro.
Ceci confirme la thèse que nous soutenons depuis la fin du mois d’août : les marchés ne progressent que tant que les nouvelles économiques sont mauvaises — surtout sur le front de l’emploi. Il n’est pas impossible que le gouvernement américain ait délibérément usé de certaines marges d’imprécision pour entretenir la faiblesse du billet vert et doper les cours à Wall Street, avant que Bank of America n’annonce par exemple une augmentation de capital record de 19,3 milliards de dollars.
Ce genre d’opération est impossible à réaliser dans un marché baissier, surtout lorsque le taux de défaillance des créances immobilières (15% à l’heure actuelle) et sur les emprunts à risque des entreprises dépasse les 11%.
Quand autant d’argent est en jeu, rien ne survient sur les marchés par hasard !