▪ Les marchés ont perdu leur confiance béate de la mi-avril et se retrouvent au bord de la crise de nerfs… Les déclarations les plus contradictoires fusent de partout, il y en a pour tous les goûts et les débats officieux sur les risques majeurs liés au surendettement des Etats deviennent quasi officiels.
Si nous étions au courant, il est difficile de supposer que les banques d’affaires les mieux informées au monde ne l’étaient pas. Il serait encore plus inconséquent de supposer qu’elles ont fait l’autruche ou qu’elles n’étaient pas préparées à l’éventualité d’une correction.
Comme nous l’expliquions dans de nombreuses précédentes chroniques (entre mi-mars et mi-avril) puis de nouveau dans notre commentaire d’hier, nous soupçonnons fortement certains intermédiaires influents d’avoir délibérément orchestré l’écrasement de la volatilité durant près de 10 semaines, afin de parier massivement contre la tendance haussière qu’ils avaient eux-mêmes entretenue en endormant à dessein la méfiance des gérants et des médias. La volatilité que beaucoup pensaient muselée pour longtemps ressurgit spectaculairement (+75% en 15 jours) : elle se traduit par une envolée de l’indice VIX de 15,25 à 27,5.
Certains institutionnels savaient pertinemment que la crise grecque pouvait, en s’y prenant bien, engendrer un désarroi économique et politique tel que la Zone euro n’en avait pas connu depuis l’an 2000.
L’Allemagne, qui a sciemment fait traîner la mise en oeuvre de mesures de soutien à Athènes, a en quelque sorte donné carte blanche à la spéculation. Cette dernière s’est déchaînée contre la dette grecque, puis portugaise, sapant de facto la confiance dans la pérennité de l’euro.
▪ Alors que les places européennes ont maintenu perdu entre -10 et -15% depuis le 20 avril dernier, à quel "avis autorisé" les marchés vont-ils se fier ?
Se laisseront-ils convaincre par l’optimisme de Frédéric Oudéa (le CEO de la Société Générale) qui dénonce une "sur-réaction totale par rapport à la réalité des faits" ? Entendront-ils François Baroin, le nouveau ministre du Budget, qui évoque une France "déterminée à ne pas se laisser impressionner par une spéculation aussi immorale qu’absurde" ? Ou Angela Merkel qui exhorte le parlement allemand à voter le plan d’aide (22,4 milliards d’euros sur trois ans) accordé à la Grèce, rappelant que "l’avenir de l’Europe" était en jeu ?
Les investisseurs pourraient tout aussi bien s’inquiéter des dernières déclarations de Dominique Strauss-Kahn. Il affirme que la faillite de la Grèce "pourrait être la fin de l’euro" et souligne l’urgence de mettre en oeuvre "une meilleure coordination des politiques économiques" car la construction de la monnaie unique garde un fort arrière-goût d’inachevé.
Il y a encore plus troublant : Axel Weber (patron de la Bundesbank et membre du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne) évoque rien moins que l’instauration d’une procédure codifiée d’insolvabilité des Etats membre de l’Eurozone. Elle ressemblerait un peu à la loi de protection contre les faillites américaine ("Chapter 11") qui gèle dans un premier temps les remboursements de prêts et le paiement des fournisseurs puis met en place une procédure de redressement souvent draconienne.
Si cela s’avère impossible, le "Chapter 11" précise l’ordre de priorité des créanciers et cherche à tirer le meilleur parti des actifs non gagés et cessibles sous forme d’enchères.
Des économistes allemands ont déjà fait connaître leur intérêt pour le rachat de certaines îles grecques encore désertes mais parfaitement ensoleillées en toutes saisons !
Axel Weber n’est pas n’importe qui, ni un plaisantin comme les économistes évoqués ci-dessus. Il aurait convaincu Angela Merkel du bien fondé de ce projet… "à discuter lorsque le calme sera revenu sur les marchés". Sans vouloir faire de mauvais esprit, c’est très exactement le genre d’initiative qui risque d’encourager la spéculation à payer pour voir !
La simple hypothèse d’une sortie de la Grèce de la Zone euro était jugée folle et impossible… Et voilà que les déclarations des uns et des autres laisse supposer que l’on réfléchit maintenant à "l’après-crise grecque… avec ou sans la Grèce" ! 60% des Allemands préfèreraient que ce soit "sans"… et qu’Athènes se débrouille avec sa culture de l’Etat-providence, ses magouilles comptables et sa fonction publique kafkaïenne, tatillonne et hypertrophiée.
Les fonctionnaires grecs sont dans la rue… et ils ne sont pas contents ! Les chaînes d’information n’ont pas manqué de diffuser en boucle les images des émeutes dans le centre d’Athènes, des affrontements avec les forces de l’ordre (lesquelles vont voir leurs revenus chuter de 15% à 20% d’ici deux ans !) et le rappel que l’incendie criminel d’une succursale bancaire avait coûté la vie à trois personnes totalement étrangères aux manifestations.
De bien beaux reportages sur un chaos annoncé et qui devraient lever les dernières interrogations sur la volonté du peuple grec de se plier aux exigences du FMI et de Berlin.
▪ Et si la Grèce faisait défaut sur sa dette puis s’excluait volontairement de la Zone euro, serait-ce un si grand drachme pour ses partenaires européens ?
Nous dirons que cela créerait un précédent fâcheux… mais la facture semble supportable pour ceux qui resteront : 50% de la valeur des créances grecques seraient perdues, d’après les estimations les plus pessimistes. Cela les dispenserait en outre de remettre au pot 80 milliards d’euros en trois ans (plus les 30 du FMI qui pourraient être mieux employés par ailleurs).
Mais il y a un autre aspect que beaucoup de commentateurs semblent négliger : les ex-républiques yougoslaves sont très dépendantes du système bancaire grec, de même que certains pays en voie de développement riverains de la mer Noire. L’effet domino pourrait rapidement contaminer l’Autriche, la Suisse et par contrecoup l’Allemagne elle-même.
Le dépôt de bilan de la Grèce pourrait aussi envoyer un signal très négatif en direction des détenteurs de l’euro. Ce serait la preuve que cette devise peut partir en lambeaux en l’espace de quelques mois si la spéculation se déchaînait contre l’Espagne et l’Italie.
▪ L’Europe "vertueuse" qui voudrait encore durcir les normes du pacte de stabilité — et la France n’en fait pas forcément partie — serait bien en peine de voler au secours de ses partenaires en difficulté… Tout le monde vient d’en prendre conscience en l’espace de 48 heures, alors que l’euro s’enfonce sous les 1,2850 $.
Et si l’euro ne préservait pas ses planchers de la mi-avril 2009 et confirmait sa chute sous les 1,287 $… comment Wall Street réagirait-il à des turbulences monétaires incontrôlables qui n’auraient pratiquement que des conséquences négatives sur les firmes multinationales cotées sur le NYSE ?
Et si pour juguler ce péril, tous les pays surendettés ou frappés par un chômage de masse décidaient d’adopter des plans d’austérité comme la Grèce (50 milliards d’euros d’économies sur trois ans pour enrayer des déficits qui flirtent avec les 12%, soit quatre fois la norme maastrichtienne) ?
Quel visage aurait la croissance mondiale avec des Européens perdant 10% de leur pouvoir d’achat et s’imposant des cures d’austérité instituant un climat de récession comparable aux années 30 sur le Vieux Continent ? Les consommateurs américains prendraient-ils le relais alors que les exportations US s’effondreraient, entraînant Wall Street dans leur sillage ? Et à qui les Chinois vendraient-ils leur production devenue superflue ?
Beaucoup de questions sans réponse, nous direz-vous…
Le seul fait de se les poser en dit long sur l’état d’esprit qui règne désormais sur les marchés… dont le comportement redevient enfin le reflet d’une véritable psychologie.
▪ En tout cas, la secousse a de nouveau été rude mercredi. Paris chute de 5% en 48 heures… mais les opérateurs ont pu craindre en milieu d’après-midi que l’évolution des places boursières et de l’euro ne vire à la débâcle.
Il y avait de quoi éponger quelques sueurs froides avec un CAC 40 qui chutait de 2,1% et un Euro-Stoxx 50 qui plongeait de 2,5% vers 15h45, laissant craindre une réédition du scénario baissier de la veille. L’anxiété s’est toutefois quelque peu dissipée grâce au sang froid dont a su faire preuve Wall Street peu après l’ouverture : le Nasdaq a chuté de 1,4% avant de rebondir à -0,6% à 90 minutes de la clôture ; le S&P a reculé de 0,5% contre -1,2% vers 15h45.
Mais des achats d’arbitrage (actions, T-Bonds US) au détriment d’actifs libellés en euro sont-ils à proprement parler rassurants ?