Dans un pays fédéral aux multiples contraintes et avec un partenaire de coalition ancré à gauche, pourra-t-il réellement transformer l’Allemagne et peser sur l’avenir de l’Europe ?
Les récentes élections fédérales en Allemagne marquent un tournant dans la politique du pays. Les chrétiens-démocrates, menés par Friedrich Merz, ont remporté le scrutin et sont actuellement en pourparlers pour former une coalition avec les sociaux-démocrates, battus lors de cette élection. Présent depuis longtemps sur la scène politique allemande, M. Merz s’est positionné plus à droite que l’ancienne chancelière Angela Merkel, qui a refusé de lui apporter son soutien.
Les élections ont été marquées par une progression du parti d’extrême droite, Alternative für Deutschlandv (AfD), connu pour ses positions anti-immigration, son euroscepticisme et son orientation ouvertement pro-russe. L’ensemble des partis représentés au parlement allemand ont maintenu un cordon sanitaire autour de l’AfD, celui-ci étant souvent perçu comme politiquement trop proche du lourd passé national-socialiste de l’Allemagne.
Friedrich Merz dispose ainsi d’un mandat serré, après avoir finalisé les négociations de coalition avec le centre-gauche, tout en s’imposant comme l’un des dirigeants les plus influents d’Europe.
Ancien président du conseil de surveillance de BlackRock, il est réputé pour son libéralisme économique et sa ligne plus stricte en matière d’immigration. Sous son impulsion, l’image conservatrice de la CDU retrouve une place centrale – d’autant plus que des sujets tels que la productivité et le développement industriel reviennent au premier plan, tant en Allemagne qu’à l’échelle européenne.
Merz est souvent décrit comme un modernisateur de droite.
Une anecdote célèbre à son sujet, lorsqu’il était chef de la minorité, illustre bien son approche pragmatique. Un jour, alors qu’il arpentait les couloirs du Parlement, il se mit soudain à crier : « Fax ! Fax ! Fax ! » avant de s’exclamer, en retroussant ses manches devant ses collaborateurs : « Qui a le temps de fouiller dans toutes ces montagnes de papier ? Pourquoi les gens n’envoient-ils pas de courriers électroniques ? J’ai trouvé ! Nous leur enverrons à tous un dernier fax. Et dessus, il sera écrit : nous ne voulons plus de fax ! »
Sur le plan économique, les ambitions de M. Merz témoignent d’un revirement par rapport aux politiques réglementaires restrictives qui ont entravé le développement industriel de l’Allemagne. Dans son programme électoral, il promet de plafonner l’impôt sur les sociétés à 25% (il est actuellement d’environ 30%) et de supprimer la taxe solidarité, payée par les entreprises et les personnes à hauts revenus.
En outre, M. Merz souhaite débureaucratiser l’Allemagne, qui jouit aujourd’hui d’une réputation péjorative en raison de son amour pour l’Etat bureaucratique. La CDU veut se débarrasser de la loi sur la chaîne d’approvisionnement, qui fixe des règles de diligence raisonnable en matière de normes de travail et de droits de l’homme au niveau mondial, et promet un « contrôle préalable de l’UE ». Selon elle, elle empêchera la mise en place de réglementations européennes qui entravent à la croissance avant même qu’elles ne soient créées.
Friedrich Merz entend également renforcer la politique de défense de l’Europe, alors que les Etats-Unis choisissent de réduire leur soutien à l’Ukraine dans sa guerre défensive contre la Russie. Dans une Europe fracturée, où seule la Première ministre italienne Giorgia Meloni apparaît comme une dirigeante solidement établie, sans majorité fragile, M. Merz pourrait s’imposer comme une voix nécessaire pour impulser une renaissance politique.
Friedrich Merz a beaucoup à offrir, mais je ne peux m’empêcher de me demander s’il ne risque pas de suivre le même chemin qu’Emmanuel Macron, avec des promesses ambitieuses qui s’érodent face à la réalité. Rappelez-vous les aspirations économiques libérales du jeune ministre de l’Economie, arrivé à l’Elysée en promettant une simplification bureaucratique et un Etat qui ne vivrait pas au-dessus de ses moyens. Macron s’était forgé une réputation de réformateur audacieux, prêt à affronter des mois de manifestations pour moderniser la France.
Pourtant, nous nous retrouvons aujourd’hui avec un mélange confus de politiques et un président qui, à l’image de son prédécesseur, se tourne vers la politique étrangère pour compenser l’érosion de son capital politique, miné par des taux d’approbation en berne.
Le succès de Merz reste incertain, car il n’a pas toutes les cartes en main. Chaque réforme qu’il ambitionne repose sur la volonté des institutions de s’adapter et d’évoluer. L’Allemagne, en tant qu’Etat fédéral, doit composer avec 16 juridictions distinctes, dont certaines ne partagent pas sa vision politique.
De plus, son probable partenaire de coalition défend des politiques axées sur des restrictions climatiques strictes et une forte justice redistributive, ce qui pourrait limiter sa marge de manoeuvre. Dans ce contexte, il est difficile de mesurer l’ampleur réelle de l’impact que Merz pourra avoir sur la politique intérieure allemande.
Cependant, une chose est certaine : en soutenant une CDU dirigée par Friedrich Merz, les électeurs allemands ont envoyé un signal clair en faveur d’une rupture avec la politique performative de la gauche et d’un retour au développement industriel.