La croissance allemande est paresseuse, voire inquiétante. La France pourrait-elle profiter de la faiblesse de son puissant voisin ?
Les économies qui reposent sur le « modèle mercantiliste » risquent de connaître des années difficiles. Si l’Allemagne n’adapte pas son industrie à la nouvelle demande industrielle, elle risque fort de voir ses exportations – donc sa croissance – décliner au profit de la concurrence asiatique, en particulier chinoise.
Quel effet aurait un éventuel déclin allemand sur la France ?
Croissance française : toujours largement inférieure au déficit budgétaire
Aux dernières nouvelles, la Commission européenne a maintenu ses anticipations pour l’économie française à 1,3% pour 2019, et à 1,5% pour 2020. L’OCDE a quant à elle révisé ses prévisions à la baisse au mois de mars, puisqu’elle ne table plus désormais que sur 1,3% en 2019 (comme le FMI) et en 2020, contre 1,6% et 1,5% auparavant.
Pour 2019, on est certes loin devant l’Allemagne et ses 0,5% de croissance mais, n’en déplaise à Gérald Darmanin, la France n’est pas l’économie qui avance le plus vite d’Europe – elle n’est en fait même pas dans le peloton de tête.
Cette fake news ministérielle ainsi corrigée, on peut effectivement se rassurer en se comparant à l’objet de ses fantasmes, comme l’a récemment fait François Villeroy de Galhau.
La joie de ces orateurs aurait cependant été de courte durée si le président de la Banque de France n’avait pas oublié de mentionner que notre 1,3% de croissance pour 2019 est financé par un déficit budgétaire de 107 Mds € (3,1% du PIB).
A votre avis, fanfaronner parce qu’on est parvenu à aligner un taux de déficit un peu moins pire que prévu mais qui reste bien en-deçà du taux de croissance de l’économie… est-ce une attitude raisonnable ?
La France va-t-elle profiter des difficultés de l’Allemagne ?
Ceci posé, envisageons les conséquences du constat que nous avons établi au sujet du ralentissement allemand. S’agit-il d’une bonne nouvelle pour la France, ou bien nos dirigeants doivent-ils au contraire s’inquiéter ?
Natixis s’est posé la question dans un Flash Economie en date du 18 mars.
Voici ce que pronostique la banque :
« Une croissance très faible en Allemagne :
– contribue fortement au maintien de taux d’intérêt bas dans la Zone euro ;
– affaiblit davantage les pays de la Zone euro qui ont des exportations de grande taille vers l’Allemagne : France, Italie ;
[A titre de comparaison, les exportations des PECO (Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovénie, Slovaquie et République Tchèque) vers l’Allemagne représentent en moyenne 14% de leur PIB.]
– va affaiblir l’économie des pays d’Europe centrale ;
– ne sera sans doute pas suffisante pour faire changer l’Allemagne d’avis sur la politique budgétaire de la Zone euro. »
Alors que l’Allemagne était l’un des pays de la Zone euro qui enregistrait la croissance la plus forte depuis la crise, elle risque de devenir l’« un des pays à la croissance la plus faible de la Zone euro », comme le dit Natixis. L’homme malade de l’Europe, en somme.
Et la banque de conclure que « les effets induits sur la politique monétaire et les autres pays sont évidemment très importants ». Rien de très positif pour nous, donc.
Outre le déclin allemand en tant que tel, l’une de ses causes va frapper le bloc européen dans son ensemble.
La décomposition des chaînes de valeur globales va contraindre l’Union européenne (UE) à se concentrer sur sa demande interne
Comme nous l’avons vu dans notre précédent billet, l’organisation de la production dans le monde est en train de se déformer au profit de chaînes de valeur régionales.
Cela est dû à « la hausse des coûts de production dans les pays émergents, de l’exigence de contenu local dans les productions formulée par les gouvernements et de la hausse anticipée des coûts de transport ».
Non seulement ce processus est défavorable aux économies mercantilistes comme l’Allemagne, mais Natixis explique que l’UE dans sa globalité va être défavorablement touchée par ce phénomène.
Comme l’explique la banque :
« Ceci implique que les capacités de production vont se déplacer surtout vers les régions (Amériques, Asie-Pacifique) où la demande intérieure est en croissance forte, ce qui est défavorable à l’Union européenne.
Dans ce nouveau modèle, l’Europe pourra, moins que dans le passé, doper sa demande, en exportant vers les régions en croissance plus forte, et produira davantage de biens à destination de son propre marché intérieur. »
En d’autres termes, « avec le passage à des chaînes de valeur régionales, l’Union européenne perd le supplément de croissance qui vient des exportations vers le reste du monde en croissance plus forte ».
Comme vous pouvez le constater sur ce graphique, l’UE est une zone économique très ouverte commercialement. Si ses entreprises devaient se contenter de leur marché intérieur, nul doute qu’elles le sentiraient passer !
A ce stade, peut-être vous dites-vous que le cas échéant, la BCE ne resterait certainement pas les bras croisés. Et vous auriez sans doute raison.
La BCE a toujours réagi lorsque la première économie de la Zone euro s’est trouvée en difficulté par rapport au reste de la zone
Cela s’est produit à deux reprises : au début des années 2000, lorsque l’Allemagne avait une compétitivité/coût dégradée, avant que les lois Hartz ne viennent réduire les coûts salariaux entre 2003 et 2005, et à nouveau dans la période actuelle, pour les raisons que nous avons évoquées plus haut.
Dans ces situations inhabituelles, Natixis relève que la BCE a fait preuve d’une « réaction significative […] dans la fixation du taux repo €, à l’écart de PMI composite entre l’Allemagne et l’ensemble de la Zone euro. Cette réaction est apparemment de taille forte : pour un point d’écart de PMI, l’effet serait de 25 points de base ».
Si les difficultés allemandes devaient se prolonger, il y a donc fort à parier que la BCE ressortirait son arsenal de mesures « non-conventionnelles ». Peu importe cependant que les effets de ces dernières sur l’économie réelle soient tout à fait marginaux, comme nous avons eu maintes fois l’occasion de le constater dans ces colonnes…
Voilà pour le contexte général auquel on peut s’attendre dans les années à venir. Demain, nous en viendrons à des considérations bien plus concrètes.
La France va-t-elle profiter du déclin du modèle économique allemand ? (2/2)