▪ Vous ne trouverez pas beaucoup de journalistes dans la presse française pour venir vous expliquer de quoi il retourne en Irlande.
Ne leur en veuillez pas, ils sont rarement compétents sur le sujet — et s’ils l’étaient, ils auraient trop peur de vous ennuyer avec un mélange indigeste de politique intérieure, d’erreurs stratégiques assumées (pour complaire à Londres ou Wall Street), de fierté nationale (la sacro-sainte indépendance si chèrement arrachée à la couronne britannique).
Et il ne faut pas négliger cette autre particularité de l’Irlande : la pluie. Ah, si vous saviez ce qu’il tombe sur Dublin au mois d’octobre, novembre et décembre… C’est presque aussi déprimant qu’en janvier, février, mars et avril : sept mois de fortes pluies entrecoupées d’averses !
Les Irlandais sont habitués, pas nos journalistes qui s’y font aussi rares que les touristes à la mauvaise saison. Laquelle dure en réalité neuf mois et demi par an… nos amis irlandais nous pardonneront cette plaisanterie, ils revendiquent d’en être les auteurs.
Et s’il pleut des ennuis sur les banques irlandaises durant des mois, cela ne présente aucun caractère inhabituel aux yeux d’un peuple qui voue un culte aux bottes en caoutchouc et aux pardessus en toile cirée. Lorsqu’ils les remisent au placard, ça leur fait tout drôle.
Si les banques locales devaient échapper à la faillite grâce à la solidarité européenne ou disparaître comme le recommande implicitement la BCE — c’est comme si l’averse de milliards d’euros (déjà 50 milliards engloutis pour permettre la survie d’Anglo-Irish et Allied Irish Banks puis Bank of Ireland) qui dure depuis deux ans cessait soudainement : ce serait presque perçu comme une anomalie climatique !
A ce propos, il est assez cocasse de noter que c’est d’abord la spéculation immobilière qui menace d’acculer l’Irlande à la faillite, tout comme Dubaï à l’automne dernier. Ces pays représentent les deux extrêmes en matière de pluviométrie, avec une sécheresse désespérante à l’est de la péninsule arabique et des précipitations sans fin à l’ouest du continent européen.
Trop de soleil ou trop de pluie semble embrouiller les esprits. En dehors des questions de climatisation ou de déshumidification, il n’est pas inutile de rappeler que Dubaï comme l’Irlande constituent de véritables paradis fiscaux pour les entreprises ; cela prouve bien que l’absence de taxes et impôts ne garantit en rien la prospérité et le plein emploi à court, moyen ou long terme.
▪ Nous touchons là un des aspects les plus choquants du dossier irlandais. En effet, ce pays a profité au maximum des aides européennes dans les années 90, tout en jouant en solo sa partition sur le plan fiscal, sur le dos de ses bailleurs de fonds continentaux — lesquels ont vu beaucoup d’entreprises délocaliser leur siège social dans la zone des docks de Dublin.
Il s’agit d’une sorte de Delaware ou de Monaco local… mais avec un ratio d’ensoleillement inversement proportionnel à celui de la riviera méditerranéenne.
La morale de cette histoire, c’est que ce sont les contribuables des pays fondateurs d’une Europe élargie qui s’apprêtent à payer une deuxième fois pour les nouveaux entrants. La première fois, c’était dans la louable intention de favoriser leur rapide « mise à niveau ». La seconde fois, c’est pour leur éviter la faillite après qu’ils se soient exonérés des règles auxquelles les pays « vertueux » se conformaient — en pratiquant soit le dumping fiscal dans le cas de l’Irlande, soit la falsification à grande échelle de la comptabilité nationale dans le cas de la Grèce.
Mais que ceux qui vouent ces mauvais joueurs ou ces tricheurs aux gémonies s’interrogent sur le laisser-faire qui a prévalu durant presque une décennie. Que penser de l’étrange cécité à l’époque de ceux qui fustigent aujourd’hui l’ampleur du désastre et constatent que les milliards d’aides accordées ces derniers mois ne règlent aucun problème sur le fond ?
Qu’il nous soit également permis d’ironiser sur les commentaires de Tim Geithner. Ce dernier estime que le problème irlandais pourrait être rapidement réglé si les Européens intervenaient rapidement pour déverser sur l’Irlande un flot de liquidités… vraisemblablement inspiré du TARP mis en place aux Etats-Unis au début de l’automne 2008.
Cela reviendrait à offrir à Dublin les moyens de nationaliser ses banques avec l’argent du contribuable allemand, français et même grec ou espagnol ! On peut comprendre que Bruxelles hésite — sauf si l’Irlande se plie à toute une série d’exigences qui se heurtent à un refus catégorique — et le FMI également, puisque son principal bailleur de fonds est américain et qu’il ne veut pas rajouter un dollar pour ça !
Nous allons cesser de vous agacer avec ce dossier qui sent le moisi parce que si nous continuons dans la même veine, vous n’allez pas tarder à devenir aussi europhobes… que les Irlandais eux-mêmes !
▪ Chassons donc ces nuages océaniques de nos esprits pour nous consacrer à un ciel boursier redevenu radieux, comme nous l’avions anticipé dès mercredi. Les indices boursiers ont clôturé en forte hausse jeudi : +2% à Tokyo, Francfort ou Paris, +1,85% pour l’E-Stoxx50, Hong Kong, ou la bourse helvétique.
La plupart des commentateurs affirment que cela tient beaucoup au succès de la réintroduction de General Motors (GM) à Wall Street (+8% dès les premières cotations). Il serait cependant tout aussi légitime de se demander si la surliquidité orchestrée par la Fed n’a pas gonflé la demande, le reste de la cote apparaissant notoirement survalorisé.
Cette opération ne pouvait qu’être un succès, tous les fonds de retraite étant incités à « faire leur devoir » par leurs partenaires… En particulier les banquiers proches de la Fed qui, outre la manne déversée par « Bubble Ben », engrangent des commissions pantagruéliques pour le placement des 23 milliards de dollars de titres General Motors.
C’est Noël pour Wall Street une bonne semaine avant Thanksgiving !
Il ne faut pas non plus négliger le rebond de l’euro au-delà des 1,3625 $ mais chut !… Cela nous amènerait à évoquer de nouveau le cas irlandais, donc nous zappons soigneusement le sujet !
▪ Intéressons-nous plutôt au CAC 40, qui en termine au contact des 3 870 points. Partis sur les chapeaux de roues dans le sillage des valeurs automobiles — opération GM oblige –, les opérateurs s’étaient rapidement assoupis au volant après moins d’une heure de cotation.
Heureusement que les robots avaient placé Paris en pilotage automatique alors que l’indice semblait bien installé dans la zone des 3 850 points… Facile puisqu’il s’agissait de gérer une longue ligne droite de près de six heures, comme dans les plaines de l’Arkansas.
Les investisseurs n’avaient pas réagi à la hausse symbolique des inscriptions hebdomadaire au chômage américain (+2 000 à 439 000). Ils se sont quand même réveillés en sursaut, le CAC 40 s’envolant de 20 points en quelques secondes, avec le coup de klaxon qui a retenti lors de la publication de l’indice d’activité de Philadelphie (au-delà du seuil des 20).
L’indice des indicateurs avancés du Conference Board a progressé comme prévu de 0,5% en octobre, après avoir déjà pris 0,5% aussi le mois précédent… et tout le monde s’est rendormi sagement jusqu’à la clôture. Rien de tel qu’une bonne sieste avant la journée des « Trois sorcières » qui se déroule ce vendredi : la semaine prochaine, ce sont les habillages de bilan qui démarrent à Wall Street. Et nous suggérons le port de tenues bien étanches !