Les tentatives de résoudre les problèmes de l’économie par des solutions tirées de l’imaginaire financier seraient-elles arrivées à leur terme ?
J’avoue que c’est à contrecœur que j’écris sur les événements qui secouent le monde bancaire et financier en ce moment.
Quand on a tout expliqué, tout analysé depuis le début des années 1980, que l’on a tout prévu, et que tout se passe comme anticipé, l’actualité a comme un goût de vomi.
Tout a été voulu. Rien n’est le fait du hasard.
Tout était écrit depuis le milieu des années 1960, puis 1971, puis 1973… puis les multiples crises qui ont nécessité l’instauration du put par Greenspan… puis 2008 qui a déclenché la grande fuite en avant…. puis 2020 qui a traité les effets de la crise sanitaire par une débauche de transferts sociaux, puis une production colossale de crédit et de monnaie… puis 2022 quand on a militarisé la finance et les changes… puis quand les Etats-Unis ont voulu forcer tous les pays occidentaux à s’aligner derrière eux pour respecter les sanctions et transformer l’Otan en une alliance offensive contre la Russie et la Chine.
Nos gouvernements sont coupables lorsqu’ils vous dissimulent la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Ils refusent de nous informer, de faire alliance avec nous dans cet affrontement terrible, féroce, souterrain.
Tout était prévisible et prévu. Tout a été traité de la même façon arrogante et unilatérale, c’est-à-dire pour durer et non pour traiter les problèmes.
Crise systémique
C’est le système Bretton Woods II qui est en train de craquer, de se fissurer. C’est le marché de l’eurodollar qui tangue. C’est le grand cycle du crédit, qui a pris naissance à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui a touché ses limites et qui subit les soubresauts, les spasmes de sa prolongation par les artifices.
La dislocation n’est pas cantonnée, localisée, ni à la banque, ni à la finance, ni à l’Europe, ni aux Etats-Unis.
Le système est un tout, et les pièces de ce tout sont interdépendantes. Je ne dis pas tout, je survole juste ce qui est nécessaire pour la compréhension.
Je ne vais par résumer tout ce que j’ai écrit depuis le début des années 1980, lorsque j’ai étudié la dérégulation, mais je vais faire quelques remarques.
La dérégulation et la financiarisation sont des évolutions qui ont pris naissance à l’intérieur de la sphère de la production :
- Les problèmes, les antagonismes et les contradictions qui ont produit la constitution d’un système pervers s’originent dans la production.
- Ce qui implique que les problèmes qu’il faudrait traiter pour résoudre les dysfonctionnements financiers ne sont pas prioritairement dans la sphère financière, mais dans l’économie réelle.
Sur le socle des déficits
C’est ma divergence fondamentale avec la masse des commentateurs. On a cru résoudre des problèmes de l’économie réelle en s’envoyant en l’air dans l’imaginaire financier : on a séparé les corps (l’économie réelle) des ombres (les signes monétaires et financiers). On a autonomisé la sphère financière, on a décrété qu’elle était capable de créer de la valeur. On a cru que rajouter des zéros dans les livres de comptes créait de la richesse.
On est entré dans le monde des magiciens et des alchimistes.
L’origine du système actuel, c’est l’ordre mondial à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le système monétaire consacrait à la fois le rôle central du dollar, la puissance américaine et la vassalité des autres pays à l’égard des Etats-Unis.
Tout le monde savait que le système était dangereux, car il reposait sur les déficits américains. Cela signifie qu’à long terme, la poursuite de ce système reposait sur sa marche vers sa propre destruction.
Une période de prospérité s’en est suivie, liée à la reconstruction keynésienne post-conflit. Cette prospérité s’est accompagnée de taux de profitabilité élevés, de taux d’investissements satisfaisants et d’une bonne croissance.
Au début des années 1960, la gestion financière américaine a été pervertie. On a voulu à la fois financer la guerre, la défense et les dépenses sociales. On a voulu également sauver la livre sterling, mais c’est une autre histoire.
Les règles de l’orthodoxie financière ont été assouplies puis bafouées, le dollar a commencé à être contesté, en particulier par les européens profiteurs qui voulaient le parapluie américain sans participer à ses coûts.
Nixon a réagi.
Recyclage de dollars
Les Etats-Unis se sont fâchés. Ils ont renié leur parole et libéré le dollar de toute contrainte, ils ont pu en créer autant qu’ils le désiraient et produire autant de crédit qu’ils en avaient envie. Ils ont développé leur seigneuriage. Les vassaux ont baissé la tête.
Les Etats-Unis se sont installés dans le déficit chronique et croissant, et ils se sont organisés dans un régime de déficit systémique. Ils ont prélevé les richesses réelles du monde entier en échange de promesses de papier qui ont constitué le socle/sous-bassement de la financiarisation. La financiarisation a fait un bond considérable, elle a produit ses structures, ses superstructures, son appareil, ses théories, ses justifications, son ordre global. Mais elle était hiérarchisée. Tout reposait sur le socle américain.
Un marché du dollar hors Etats-Unis s’est développé, il est devenu la matière première bancaire. Et les banques mondiales y ont vu une aubaine. Elles ont établi des business plans pour capter les excédents du système hors Etats-Unis, business plans qui consistaient à recycler les dollars issus des déficits américains vers les Etats-Unis, de moins en moins pour financer les échanges commerciaux et de plus en plus pour financer les acquisitions d’actifs et les dépenses d’investissements.
Elles ont gagné un pognon de dingue, mais, en contrepartie, elles se sont dollarisées. Elles se sont rendues dépendantes des dollars hors des Etats-Unis, de la City, de la Fed, de la SEC et de la juridiction américaine.
La suite au prochain article…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]