▪ Nous avons beau savoir que les marchés sont tellement défoncés à la drogue monétaire qu’ils ont perdu tout contact avec le réel, c’est toujours une surprise lorsqu’ils semblent se reconnecter à une actualité qui concerne l’ensemble des acteurs du jeu économique.
Après quatre heures de stagnation à l’horizontale, tout comme lundi, Wall Street a été victime hier d’un brusque décrochage à deux heures de la clôture.
Avant-hier, le trou d’air indiciel avait été provoqué par deux tweets de Carl Icahn. Mercredi soir, il était dû aux minutes de la Fed. Cette dernière laisse « sur la table » le scénario d’une réduction de son QE3 à l’horizon mars 2014… si le marché de l’emploi s’améliore durablement ces prochains mois (cette condition a son importance).
Dès que Wall-Street voit — ou s’imagine voir — s’approcher une main suspecte des substances psychotropes qui lui sont destinées, confusion et paranoïa s’emparent de son esprit : et si un « malfaisant » animé de grands principes humanistes et démocratiques s’emparait des cachets pour les jeter dans les toilettes ?
Heureusement, Wall Street ne risque pas de voir un conseiller de la Maison Blanche ou un membre du Congrès (à l’exception de quelques illuminés ou de membres du Tea party) exiger un sevrage des marchés.
▪ L' »ancrage » de la Fed
La Fed nous semble cependant préparer une sorte de coup fourré. Elle se ménage la possibilité de refermer — juste pour voir — le robinet des liquidités… tout en promettant qu’elle s’abstiendra de débattre d’un relèvement des taux tant que le chômage restera par exemple supérieur à 6% (et il y en a pour 10 ans dans le meilleur des cas).
C’est ce que Ben Bernanke appelle « ancrer les anticipations ». Il affirme qu’une communication plus claire sur les intentions de la Fed contribuera à encourager les acteurs économiques à prendre de bonnes décisions du fait de la maîtrise du timing.
Attendez un peu… si une banque centrale s’impose une inaction complète durant des années parce qu’elle s’est ficelée avec des critères qui perdent toute pertinence au fil des mois, est-ce que cela va redonner confiance aux investisseurs ?
A part réduire les injections monétaires — ce que semblent lui interdire les faillites de municipalités qui menacent par centaines et les millions de prêts étudiants en situation de défaut –, à quoi Janet Yellen va-t-elle consacrer son mandat à partir de fin janvier prochain ?
Nous avons bien notre petite idée sur la question… Elle pourrait refermer symboliquement le robinet des liquidités en mars 2014 (non sans que Ben Bernanke ait préparé le terrain dès la mi-décembre) puis le rouvrir en mai, puis en juillet, puis en septembre, puis encore, et encore… jusqu’à ce que le flot de dollars envahisse New York et submerge le perron de Wall Street.
▪ Perspectives dégradées
Cela va certainement donner des résultats fantastiques dès l’an prochain. Il suffit de voir ce qu’en dit l’OCDE : elle a abaissé mardi ses prévisions de croissance mondiale pour 2014, de 4% à 3,6% — après avoir déjà réduit ses estimation 2013 à 2,7% contre 3,1% précédemment, c’est-à-dire trois mois auparavant.
L’OCDE fait état de « perspectives dégradées dans plusieurs pays émergents » (Inde, Brésil, Turquie, Russie, Indonésie…). A noter, la Chine « qui a été une exception » avec le retour d’une dynamique de croissance quelque peu émoussée au premier semestre.
Il semblerait que Pékin ait surtout affûté les chiffres depuis cet été, plutôt qu’avancé des preuves crédibles d’un redressement de l’activité. Les chiffres de la production industrielle sont apparemment en hausse impressionnante… mais auprès de qui la Chine écoule-t-elle tout ce qui sort de ses usines ?
La Chine semble surtout exceller dans la production de… chiffres conformes à ce qu’espèrent les Occidentaux.
▪ Belles histoires aux Etats-Unis
Nous critiquons, nous critiquons… mais en même temps nous ne savons trop comment qualifier la conjoncture aux Etats-Unis.
La Maison Blanche et Wall Street nous vantent un marché immobilier en plein essor et une consommation soutenue… mais les stocks des entreprises américaines ont progressé de 0,6% en octobre (au lieu de 0,3%) suite au ralentissement des ventes de détail. Parallèlement, les reventes de maisons anciennes chutent de 3,2% de façon inattendue selon la NAR (Association américaine des agents immobiliers).
Tout ce que nous savons de façon certaine, c’est que le pouvoir d’achat de la classe moyenne américaine continue de se désintégrer. Le degré de découragement chez les demandeurs d’emplois est encore plus élevé que fin 2008 à mi-2009. Enfin, le taux de circulation de l’argent dans l’économie réelle est au plus bas depuis 30 ans.
Mais aux Etats-Unis, il y a toujours de l’espoir et de belles histoires pour occulter ce qui précède… notamment le boom du gaz de schiste dans le Nord Dakota. L’immobilier s’envole, les vendeurs de voitures font fortune, les restaurants poussent comme des champignons… La prostitution tente de suivre le rythme (forer des puits, installer des centaines de kilomètres de lourdes canalisations, c’est plutôt un métier d’homme).
Voilà la version façon 21ème siècle de la ruée vers l’or.
Mais l’analogie ne s’arrête pas là ! Il y a 150 ans, ce sont surtout les vendeurs de pioches et les saloons qui faisaient fortune… pendant que les orpailleurs, confrontés aux rigueurs de l’hiver (sous la bourrasque et les pieds dans l’eau glacée), ne parvenaient souvent à collecter que quelques malheureuses pépites.
La différence avec le gaz de schiste, c’est que tout le monde en extrait, et en grande quantité… Résultat, le prix du mètre cube s’effondre alors que plus on avance dans le temps, plus les forages et l’adduction d’eau deviennent onéreux !
Essayez donc aujourd’hui de trouver une jeune major qui soit rentable.
Essayez donc de trouver des nappes phréatiques exploitables là où la fracturation hydraulique a été pratiquée de façon intensive.
Là où passent les foreuses, l’herbe ne repousse pas : il n’y a plus d’eau !