** Les investisseurs ont maintenant compris qu’un grand bol de punch était proposé en même temps que la paie mensuelle remise à chaque début de mois à Wall Street.
Dans ces conditions — très particulières pour une période de récession –, aucun fait troublant, aucun discours critique ne saurait avoir la moindre conséquence négative sur les indices américains, asiatiques ou européens… tout du moins pendant les 48 premières heures du nouveau mois.
Pour ceux qui s’émerveillent de ces bouffées d’euphorie semblant surgir de nulle part, il nous apparaît important de souligner qu’il reste des dizaines de milliards de dollars d’augmentation de capital à placer auprès d’investisseurs "consentants" — ou qui sont structurellement acheteurs d’émissions obligataires assorties d’un rendement attractif.
Comme par hasard, au lendemain même du franchissement de résistances datant de début novembre ou de mi-octobre 2008, voici qu’American Express, JP Morgan ou Morgan Stanley annoncent une nouvelle rafale d’offres de titres. Ils sont en outre assortis d’une décote qui ne peut que séduire les retardataires — c’est-à-dire tout ceux qui pensent avoir manqué le train de la hausse façon TGV.
Tant que les grandes banques cherchent à accumuler le maximum de plus-values boursières pour rembourser le TARP, les indices boursiers semblent pouvoir être maintenus en lévitation électromagnétique. Une lévitation qui durera jusqu’à ce que tout le monde ait compris le truc et réalise que le magicien est un charlatan qui multiplie les tours de passe-passe avec l’argent du contribuable.
** Sitôt revenu de leur sidération, les opérateurs ne devraient pas maintenir longtemps le Dow Jones au dessus des 8 700 points, le DAX 30 au contact des 5 150 points, ni l’Euro-Stoxx 50 à proximité des 2 550 points. Mais les brasseurs d’argent de Wall Street assurent qu’ils ne lâcheront pas l’affaire tant que le S&P 500 n’aura pas rejoint le seuil psychologique des 1 000 points.
A près de 950 points hier (contre à peine plus de 900 points fin mai), le S&P semble en mesure d’aller tester l’objectif sans devoir consentir un effort considérable. C’est d’autant plus vrai que beaucoup de vendeurs se sont délibérément mis sur la touche avec pour seul mot d’ordre de serrer les stops au cas où la tendance haussière enregistrerait une défaillance.
Mais si personne ne profite des cours actuels pour mettre ses gains à l’abri, le rally boursier peut en effet se perpétuer de façon quasi mécanique en totale déconnexion par rapport aux chiffres concernant la consommation, les défauts de paiements ou la hausse des taux longs.
** S’il paraît bien ici ou là quelques statistiques "encourageantes", c’est l’occasion rêvée pour tirer les cours sans éveiller de soupçons — ni soulever d’objection parmi les professionnels de la gestion d’actifs. Personne n’est fâché de voir Wall Street sur-réagir positivement, même à partir d’indices de reprise économique particulièrement fragiles.
Prenons par exemple l’enquête mensuelle réalisée par la NAR, la National Association of Realtors. Son baromètre des réservations de biens immobiliers est ressorti en forte hausse puisque les transactions pourraient avoir progressé de 6,7% en avril après une hausse de 3,2% en mars. Le bémol provient de la stagnation des ventes en Californie et en Floride, les deux états les plus touchés par la crise. En revanche, un phénoménal rebond de 32,6% a été observé dans toute la région s’étendant de Washington aux Grands Lacs en passant par toute la côte est, Philadelphie et New York.
Les ménages américains auraient profité — nous explique-t-on chez les professionnels du secteur immobilier — de taux hypothécaires très bas en début d’année. C’est un fait établi que nous ne contestons pas… mais il en est un autre qui est totalement passé sous silence. Les conditions d’emprunts se dégradaient en effet fortement fin mai alors que le rendement des T-Bonds de référence à 30 ans remontait au-delà des 4,5%.
** Le facteur chômage nous a également été présenté le mois dernier comme rassurant puisque le rythme de l’hémorragie d’emplois tendait à se réduire. Forcément, quand 48,5% des salariés du secteur bancaire, de l’assurance et du crédit ont perdu leur emploi sur la côte est en 18 mois — ce sont là des chiffres quasi officiels, fondés sur les déclarations de revenus collectées par la ville de New York –, le nombre de personnes susceptibles de perdre leur job diminue proportionnellement.
Le cumul mensuel des licenciements devrait donc continuer de diminuer — hors "effet restructuration" chez Chrysler et General Motors. Cependant, le taux de chômage va continuer d’augmenter pour dépasser rapidement les 10%.
Il risque de progresser d’autant plus vite que nombre de futurs retraités vont différer la cessation de leur activité pour éviter de se voir servir une pension inférieure de 30% à 40% à ce qu’ils espéraient percevoir lorsque Wall Street culminait en octobre 2007.
Pour ceux qui devront déposer leur badge et signer leur solde de tout compte de fin de carrière, et à moins de retrouver un petit boulot, les fins de mois s’annoncent difficiles. Le nombre de retraités pauvres (ou très pauvres) va exploser, impactant lourdement la consommation. Il suffit d’observer le renflement de la pyramide des âges autour de 1969, sommet de l’euphorie économique américaine, avec le premier homme sur la Lune, le mouvement hippie, etc.
Cet effet induit — et inéluctable — de la crise financière, sur fond de saut générationnel, que traversent les Etats-Unis ne figure pas dans beaucoup de modèles de prévisions économiques, ou sinon de façon très furtive. C’est une perspective par trop angoissante que la remontée des cours de Bourse permet pour l’instant d’occulter.
** Aucun modèle non plus ne permet de justifier le comportement Wall Street qui peut s’envoler de 2,6% le lundi et ne plus rien faire le mardi, et ce malgré un contexte macro-économique identique à celui de la veille. Les volumes sont retombés très en dessous de la moyenne mensuelle du mois de mai. Ce phénomène de stop & go est sans précédent dans les précédentes phases de rebond de fin 2001 et fin 2002.
Le S&P 500 aligne néanmoins une quatrième séance consécutive de hausse ; le cumul des gains dépasse les 6% depuis mercredi dernier. Le Dow Jones, qui a pris 0,2% au final, a effectué symboliquement deux brèves incursions au-dessus des 8 776 points — soit le cours au 31 décembre 2008 — en tout début, puis peu avant à la fin de séance. Cependant, l’indice n’a pu se maintenir du fait de la lourdeur de quelques poids lourds du secteur bancaire — ainsi que d’IBM et Intel.
** De son côté, le dollar a poursuivi sa décrue sous les 1,432 euro et a inscrit un nouveau plancher annuel tandis que le pétrole affiche symétriquement une progression de 0,8% et un record annuel de 68,6 $.
Pas de quoi susciter l’émoi sur les places européennes qui ont clôturé à l’équilibre, comme s’il ne s’était rien passé la veille et comme si rien de spécial n’était censé se produire aujourd’hui. Mais il faudra cependant faire attention à la publication de l’enquête mensuelle d’ADP sur les licenciements dans le secteur privé au mois de mai. La restructuration du secteur automobile va commencer à se faire durement ressentir, si ce n’est déjà le cas !
Philippe Béchade,
Paris