▪ L’obnubilation haussière de Wall Street, qui semblait tourner un peu à vide depuis fin octobre, a retrouvé son régime de croisière. Il faut en remercier la prestation de Janet Yellen devant les membres du Congrès US il y a 48 heures. Tous les indices américains pulvérisent de nouveaux records historiques — cela tombe bien, ce vendredi, c’est une séance des « Trois sorcières ».
Nous retrouvons le S&P 500 à 1 791 points (+0,5% et à 0,5% des 1 800), un Dow Jones à 15 875 points (+0,35%, il ne manque plus que 0,8% pour inscrire 16 000) et un Nasdaq à 3 973 points (à 0,7% des 4 000 points).
Cela fait plein de beaux objectifs à atteindre… Et il n’y a qu’à presser sur le bouton des rotatives de la Fed et programmer quelques super-robots pour écrire une véritable page d’histoire : celle où Wall Street aura connu le scénario parfait dont rêvent tous les permabulls depuis que Janet Yellen est pressentie pour reprendre les rênes de la Fed… et imprimer des dollars à perte de vue.
La dauphine de Ben Bernanke n’a pas manqué hier de revendiquer « la pleine confiance d’Alan Greenspan » et de marteler que le QE doit se poursuivre jusqu’à ce que la croissance se renforce durablement.
Cela fait quatre ans que la Fed injecte… Autant dire qu’il ne s’agit que d’un hors d’oeuvre, d’un simple galop d’essai puisque cela fait 22 ans que le Japon use sans succès de la même stratégie.
▪ Baobabs et ultra-riches
Comme la planche à billets, ça ne fonctionne pas, Shinzo Abe a décidé de changer radicalement de méthode : fini les petits quantitative easings format bonzaï, on passe à la taille séquoia. Et si ce n’est toujours pas assez colossal, on rajoutera des baobabs pour donner une touche exotique à l’ensemble.
Le problème, c’est que ces géants dispensent de l’ombre, beaucoup d’ombre, de telle sorte que plus rien ne sort de terre dans un périmètre équivalent à un demi-terrain de football.
Là où les quantitative easings passent, l’herbe de l’économie réelle ne repousse plus.
Aux Etats-Unis, 90% de la population s’est paupérisée depuis 2007. Il reste 10% de privilégiés qui surnagent — et parmi eux, il y a les 1% dont la fortune s’est accrue de 90% depuis mars 2009 (et de 30% par rapport à octobre 2007).
La Fed prétend vouloir soutenir les 90%… mais elle déverse sa manne monétaire dans les poches des 1% de riches qui se repartissent désormais entre super-riches et ultra-riches.
A quoi reconnait-on un ultra-riche ? Eh bien, c’est celui qui n’a même pas levé la main quand le triptyque de Francis Bacon — baptisé Trois études de Lucian Freud (un autre peintre contemporain de renom) — a été mis aux enchères mardi à New York par Christie’s pour 30 millions de dollars.
Il a commencé à manifester son intérêt une fois franchie la barre de 100 millions… et il a commencé à vraiment s’amuser lorsque la barre des 120 millions (la précédente enchère la plus élevée de l’histoire des ventes d’art pour le mythique Cri d’Edvard Munch) a été franchie.
C’est là que la bataille entre ultra-riches s’est vraiment engagée. Les enchères se sont envolées jusqu’à 142 millions de dollars. Pour réaliser ce que représente un tel montant, sachez juste que cela équivaut à une tour de 30 étages, représentant une surface divisible de 10 000 m2 à la Défense… mais une tour, c’est d’un banal, je n’en voudrais pas dans mon patrimoine.
▪ Quand on n’est que super-riche…
Les super-riches, eux, ont dû se contenter d’enchérir sur des Balloon dogs de Jeff Koons présentés à 10 millions de dollars et dont le plus grand a été adjugé à 58,4 millions.
Preuve que les ultra-riches n’étaient pas dans le coup, le prix à progressé par tranches de 100 000 $, ce qui est absolument ridicule ! Quand on est ultra-riche, on annonce un million de dollars en plus ou on garde le silence pendant que les mini-riches se disputent dans le bac à sable avec leurs pièces jaunes…
Pour les enchérisseurs frustrés d’avoir dû abandonner la course dans la bataille pour le triptyque de Françis Bacon mardi, il n’y avait plus qu’à sauter dans un avion en partance pour Genève, où Sotheby’s mettait aux enchères le diamant rose Pink Star (59,60 carats, soit environ 12 grammes).
Il était estimé à 60 millions (ou un million de dollars le carat, super-riches s’abstenir, ce n’est pas dans vos moyens) et mis à prix pour 50 millions de dollars. Il a été adjugé mercredi soir à Isaac Wolf, un célèbre lapidaire de New York, au prix record de 83 millions de dollars (frais inclus), ce qui en fait la plus haute enchère de l’histoire de l’humanité pour une pierre précieuse.
Cette vente ridiculise l’enchère de 35,5 millions de dollars chez Christie’s qui avait permis la veille à un amateur éclairé d’acquérir une autre pierre exceptionnelle, un énorme et rarissime diamant orange vivid de 14,8 carats. Cela toujours à Genève, pendant que la vente de tableaux du siècle — avec 691 millions de dollars d’adjudications cumulées — se déroulait à New York.
Vous le constatez, nous vivons dans un monde ou pour s’extraire un tant soit peu du lot des hyper-riches, le no limit devient la règle.
▪ Pas de limite à l’assouplissement quantitatif
Vous conviendrez que pour que cela dure, il faut que les quantitative easings soient également no limit… et si possible, éternellement.
Janet Yellen n’a rien contre, même si certains de ses collègues se montrent parfois critiques. Elle estime que les bénéfices des achats massifs de T-Bonds et de MBS sont largement supérieurs aux inconvénients (risque de bulles d’actifs, suppression artificielle du rendement obligataire pour l’épargnant lambda).
Elle indique surtout qu’elle ne voit justement pas de formation de bulle sur les marchés… et que de toute façon, la politique monétaire ne vise pas à corriger de potentielles distorsions de valorisation d’actifs.
A 20,5 fois les bénéfices sur le S&P 500 (chiffre validé par un recoupement d’études publié par CNN) et des profits qui progressent quatre fois moins vite que les cours de bourse en 2013… aucune inquiétude à avoir : il y a déjà eu des PER plus élevés par le passé (ils étaient juste démentiels en l’an 2000), donc il y a encore de la marge !
Questionnée sur le risque d’hyperinflation des actifs à plusieurs reprises, elle a fini par indiquer que la Fed devrait prendre des mesures de resserrement monétaire aux cas ou une « surchauffe » des marchés se matérialiserait.
Nous lui faisons entièrement confiance, sa promesse est certainement sincère… Il faut juste se souvenir que la Fed n’a jamais détecté la moindre surchauffe des actions ou de l’immobilier depuis 1996 (et l’allusion d’A. Greenspan à l’exubérance haussière des marchés).
Mme Yellen entend donc poursuivre son soutien constant à une politique d’injection illimitée dans la durée. Elle ne voit pas de fenêtre de réduction des injections dans un avenir prévisible… même si le « QE ne peut être éternel » (comme les diamants ?).
Elle précise cependant qu’elle n’envisage pas que la Fed « soit » prisonnière des attentes des marchés. Elle aurait dû employer le verbe « rester », mais elle ne l’a pas fait, ce qui constitue un choix sémantique prometteur aux yeux de Wall Street.
Son discours coule comme une rivière de diamants vivid (couleur éclatante) et flawless (sans défaut)… mais de loin, les bulles ont le même aspect au soleil, et elles ne sont pas éternelles.