** A peine notre rédaction vient-elle de vous inviter à réagir sur le contenu de nos différentes Chroniques que certains lecteurs s’empressent de nous adresser des e-mails très éloignés du concert de louanges auxquelles nous nous attendions légitimement… Vous pensez sans doute la chose suivante : à l’image de leurs idoles (Jean-Claude Trichet et Alan Greenspan), si certains rédacteurs tombaient du haut de leur ego… ils feraient à coup sur une chute mortelle !
Rassurez-vous, si nous nous juchons sur un piédestal, nous le choisissons juste assez haut pour que l’entreprise qui assure l’entretien de nos locaux puisse passer l’aspirateur sous nos pieds pendant que nous répondons à nos messages ou tapons nos articles.
A propos de messages, nous en avons sélectionné un qui résume — avec juste ce qu’il faut d’acide dans la plume — l’opinion de nombre de lecteurs peu habitués à une ligne contrarienne ainsi qu’à des éditos qui n’hésitent pas à grossir le trait… alors que tant d’articles ornés des signatures les plus prestigieuses s’acharnent à démentir avec élégance la nudité du roi : « si vous n’en croyez pas vos yeux, braves gens, c’est que vous êtes effectivement victimes d’une hallucination collective… chassez de vos mémoires ces scories d’une coupable imagination ».
Voici donc un des reproches qui nous est couramment adressé : « vous ne vous lassez donc jamais d’annoncer la fin du monde à longueurs d’éditos ? », se demande un de nos lecteurs. « Vous me faites penser aux gourous des sectes apocalyptiques qui disent à leurs disciples ‘rejoignez-nous, ainsi vous serez sauvés, mais n’oubliez pas de nous apporter tous vos bien si vous voulez vraiment être sauvés’. »
Ce à quoi nous lui avons répondu : « tremblez, simple mortel, lecteur de peu de foi, car en vérité je vous le dis, l’Eternel guide nos choix et vous ne médirez ni ne mettrez en doute impunément les écrits des infaillibles rédacteurs des publications Agora ! »
En ce qui concerne « tous vos biens », nous les accepterions avec joie si nous n’étions au coude à coude dans nos bureaux… et si nos étagères ne débordaient déjà de documentations et de publications financières, de classeurs et de consommables destinés aux imprimantes et aux photocopieuses — sans oublier quelques coupes sportives (ski, tennis, voile, natation…) témoignant d’exploits dérisoires et qui nous rappellent que nous pesions quelques kilos de moins à la fin du siècle dernier.
En d’autres termes, vous ne serez pas « sauvé » tant que nous n’aurons pas fait un peu de ménage dans nos archives… Cela risque de prendre un peu de temps, car en plus d’être passablement désordonnés, nous devenons paresseux lorsqu’il faut s’attaquer à des piles de papier chargés de poussière qui rendent en quelques minutes nos cheveux aussi gris que si nous découvrions le numéro 491 de MoneyWeek, daté du 17 juin 2018.
** Plus sérieusement, nous ne prédisons pas « la fin du monde » — mais la fin d’un monde où l’argent était gratuit et où les banques pouvaient transférer sans vergogne le risque aux marchés, de façon quasi-illimitée. La fin d’un monde où le dollar était considéré comme la devise de référence… la fin d’un monde où l’énergie était abondante, moyennant un coût dérisoire… la fin d’un monde géoéconomique dominé par les seuls Etats-Unis. Pour résumer l’esprit de nos Chroniques : en cas de fin du monde, suivez les panneaux « déviation » que nous installons à votre intention.
Nous avons en tout cas vécu la fin d’un monde où le pronostic d’un doublement du prix de l’or par rapport à notre zone d’achat de 330/350 $ passait comme un objectif démesuré : l’once a culminé à 1 030 $ en début d’année.
Goldman Sachs s’est distingué, au milieu de l’été 2007, en prédisant un baril à 100 $, puis, fin mai 2008, en pariant sur un objectif de 150 $ (tutoyé à 10 $ près ce lundi 16 juin vers 16h) : dans ce cas, pourquoi ne pas rester fidèle à la « Transaction de la Décennie » chère à Bill Bonner en rêvant d’un cours de 2 000 $ l’once d’ici 2010… pour peu que l’inflation résiste aux efforts de la BCE tandis que le dollar atteindrait une parité de deux contre l’euro et de cinq contre le yuan (contre 6,88 $ actuellement) ?
Nous parions que la matérialisation de ce scénario ne sera pas très favorable aux actions — et nous n’avons pas changé d’avis depuis février 2007. Cela n’a toutefois pas empêché le Dow Jones et le S&P 500 de battre leurs records historiques peu après la crise des subprime du mois d’août, au milieu de l’automne dernier.
Malgré tout, et contrairement aux assertions du lecteur qui nous juge « apocalyptique » (étymologiquement, le terme signifie simplement « révélateur »… un rôle que nous assumons bien volontiers), nous ne négligeons pas de vous avertir lorsqu’une opportunité de gain se présente, même s’il ne s’agit que d’un rebond passager des indices boursiers.
** Notre pronostic haussier court terme pourrait d’ailleurs prendre de la consistance : il suffit de voir le peu de réactions négatives des places européennes face à la déferlante de mauvais chiffres économiques qui s’est abattue sur les deux rives de l’Atlantique à quelques heures d’intervalle.
La série noire avait commencé mardi matin par un plongeon de 11 points de l’indice ZEW. Le baromètre de la confiance des milieux d’affaires allemands s’établit à -52,4 points, après -41,4 en mai, -40,7 points en avril et -32 points au mois de mars : la décrue est vertigineuse !
L’institut ZEW souligne que l’indice demeure nettement en dessous de sa moyenne historique de 29,2 points. Il explique ce piètre score par un recul des commandes, par la poussée de l’inflation qui lamine le pouvoir d’achat des consommateurs, et par le durcissement des conditions de crédit, qui désolvabilise les ménages les plus fragiles.
Mais cela ne remet pas en cause l’anticipation d’une hausse de taux début juillet à l’initiative de la BCE… Cela pourrait éclairer la stagnation du dollar vers 1,5510/euro alors que l’or noir vient de reperdre 5% en quelques heures, à 134 $.
Le billet vert est simultanément victime du recul de 0,2% de la production industrielle aux Etats-Unis le mois dernier et de l’effondrement des mises en chantier de logements neufs (-3,3% en mois de mai, -32% sur un an) — sans oublier les dépôts de permis de construire (-1,3% et -36,3% par rapport à mai 2007 et -50% sur mai 2006).
Pour qu’une embellie durable des indices boursiers se mette en place, il faudrait que cessent les sautes d’humeur du baril de pétrole sur le NYMEX. Il était redescendu sur les 133 $ mardi matin… contre 139 $ la veille vers 18h, avant de tutoyer les 135 $ vers 17h30, ce qui a gâché la fin de la séance sur les places européennes.
** Les indices américains n’étaient pas au mieux de leur forme en fin d’après-midi (le Dow Jones cédant -0,5%), mais les gérants tentaient de retrouver leur optimisme grâce à des résultats trimestriels de Goldman Sachs au-dessus des attentes. La société annonce un produit net bancaire de 9,42 milliards de dollars et un bénéfice net de 2,09 milliards de dollars au titre de son deuxième trimestre.
C’est un évènement devenu trop rare depuis 18 mois pour que les marchés fassent la fine bouche. Ils feront bien d’en profiter car de nouvelles déconvenues commencent à poindre à l’horizon : il y a notamment le redressement de la courbe des taux, annonciateur de tensions sur les signatures obligataires les plus fragiles et d’exercice en cascade des primes de couverture offertes par les CDS.
Nous redoutons que ressurgisse, comme au milieu de l’été dernier, cette même question lancinante concernant la liquidité du marché des CDS. Ce dernier est devenu, au fil des ans, beaucoup plus spéculatif que « protecteur » pour une majorité d’acteurs manifestant une avidité démesurée pour le risque et surestimant la liquidité du marché en cas de soudaine crise de confiance.
Nous anticipons l’ouverture d’une petite fenêtre haussière d’ici la fin du premier semestre 2008, voire le tout début du second… mais il pourrait s’agir d’un modèle bien connu des Anglo-Saxons : le modèle « guillotine » !
Philippe Béchade,
Paris