L’argent cher pose de nombreux problèmes, pour les Etats et l’industrie comme pour la consommation.
Nous avons vu la semaine dernière que la sortie de la spirale inflationniste causée par un décalage entre l’offre de biens et de services et la demande solvable ne peut se matérialiser que de deux manières.
La première est la destruction de la demande par insolvabilité progressive des acheteurs, la seconde serait une augmentation de l’offre.
La première voie de réconciliation est douloureuse : c’est la vague d’inflation que nous traversons actuellement. Si les salaires étaient restés stables, ce sont les actifs qui auraient perdu en priorité du pouvoir d’achat. Avec le bond des rémunérations en 2022, qui devrait se prolonger en 2023, la perte de pouvoir d’achat est transférée aux épargnants. Cette répartition de l’effort importe peu à l’échelle macro-économique : quelle que soit la catégorie la plus touchée, la spirale inflationniste ne s’achève que lorsqu’une baisse de pouvoir d’achat suffisante à eu lieu.
La seconde issue serait, a contrario, favorable aux citoyens et aux entreprises.
Si le tissu économique était capable d’augmenter sa production pour répondre à l’offre, un effet vertueux s’enclencherait. Plus de production, c’est plus d’emploi, plus de richesse à consommer, et une stabilisation des prix. Actifs, épargnants, rentiers, demandeurs d’emploi : tout le monde sort gagnant d’un tel scénario.
Mais cette solution idéale au problème de l’inflation nécessite d’être capable d’investir pour pouvoir fournir, toutes choses égales par ailleurs, plus de biens et de services. Or, la politique monétaire suivie par les grands argentiers pénalise l’investissement. Ce faisant, nos dirigeants, qui tentent de lutter contre l’inflation, l’alimentent.
L’argent cher décourage l’investissement
S’il est vrai que les « taux zéro » ont eu pour effet pervers de multiplier les entreprises zombies et d’encourager les investissements les plus hasardeux, des taux élevés ont l’effet inverse.
En rémunérant le capital sans risque bien au-delà de la rentabilité de nombreux projets industriels utiles, les banques centrales détruisent toute incitation à l’innovation.
Pourquoi construire un haut-fourneau ou une chaîne de production dont le retour sur investissement est de 3% par an quand il est possible d’investir son argent dans des obligations d’Etat à 10 ans à 4% ?
En pratique, le plancher de rendement imposé par la hausse des taux rend économiquement non-viables tous les projets dont la rentabilité intrinsèque est inférieure au coût de l’argent. Sans même parler de l’effet délétère sur les finances publiques avec l’augmentation induite de la charge de la dette, l’argent cher pèse sur la capacité d’investissement des entreprises et des ménages qui souhaitent financer l’économie réelle.
Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la seule hausse des taux d’intérêts sera responsable d’une contraction d’un point de PIB d’ici l’année prochaine. Il s’agit d’une vraie baisse de la production de richesse, qui sera perceptible dans le niveau de vie des citoyens, même si elle sera masquée par la hausse en trompe-l’œil du PIB du fait de l’inflation.
Le problème de la demande incompressible
Traditionnellement, les banques centrales utilisaient l’arme de la hausse des taux pour calmer une demande un peu trop vive et éviter un emballement de l’économie concentré sur certains secteurs au détriment d’autres.
Pour reprendre un argument répandu chez les adeptes de la redistribution, inciter quelques milliardaires à reporter la construction de leur yacht peut avoir un intérêt macroéconomique lorsque les matières premières se font rares. A court terme, elles peuvent être employées à meilleur escient pour construire des maisons et des usines, dont les acheteurs sont moins solvables.
A ce titre, calmer la consommation la plus volatile par une hausse des taux d’intérêt peut favoriser la croissance.
En revanche, la hausse des taux est totalement contre-productive si une offre insuffisante fait face à une demande incompressible. Nous ne sommes pas en 2008, et l’économie de 2023 n’est pas dans une phase d’euphorie dont il faudrait la faire sortir.
Lors des dix années précédant la crise des subprime, le PIB français avait cru de 95 %. Pour les dix ans précédant 1973, il avait gagné 214 %. En 1980, la hausse sur la décennie passée avait explosé de 373%. Lors de chacune de ces périodes inflationnistes, une partie de la demande marginale était née récemment et pouvait, à ce titre, être détruite (ou décalée dans le temps) sans grande souffrance pour les agents économiques.
Entre 2011 et 2021, la croissance de notre PIB a été de… 3,2%, soit 0,3% en rythme annualisé. Entreprises comme particuliers se serrent déjà la ceinture depuis dix ans, et ont optimisé leur budget pour éviter toute dépense inutile.
La quantité de demande à faire disparaître sans douleur est donc limitée, et la hausse des taux ne pourra pas avoir l’effet vertueux qu’elle pouvait avoir par le passé. Son effet délétère, en revanche, sera bien réel.
Un contre-sens fréquent chez les dirigeants
Augmenter les taux d’intérêt revient à « taxer l’investissement », en rendant impossibles les projets les moins rentables – même s’ils auraient été économiquement utiles.
Nos dirigeants espèrent résorber le déséquilibre offre/demande en empêchant l’apparition d’offre supplémentaire. Une politique totalement contre-productive… mais qui est loin d’être rare.
La France et l’Europe tombent dans le même piège avec la transition énergétique. Décarboner notre industrie nécessitera des investissements colossaux, qui se répercuteront nécessairement sur le prix des biens et services. Pour tenter de juguler cet effet inflationniste prévu par tous les experts, les instances européennes ont imaginé un mécanisme de taxation à l’importation de certains produits hors de nos frontières, le MACF. Il couvrira les produits issus de cinq secteurs de base : fer et acier, puis ciment, aluminium, engrais et production d’énergie électrique.
Appliqué à ces matières premières, le MACF viendra renchérir les coûts d’approvisionnement des industries manufacturières. Le Made in Europe deviendra ainsi plus coûteux que les produits fabriqués hors du Vieux Continent, y compris dans les secteurs où nous avons encore un avantage concurrentiel comme la robotique, les composants mécaniques, la pharmacie, le nucléaire ou la santé.
Dans notre marché intérieur, les fabricants européens auront le plus grand mal à concurrencer les importations de produits finis qui ne seront, paradoxalement, pas concernées par le MACF. A l’international, nos exportateurs perdront en compétitivité du fait de coûts d’approvisionnements plus importants que les concurrents.
Pour l’Europe, le MACF se traduira donc immédiatement par un renchérissement du coût des approvisionnements et une baisse de la production industrielle. L’effet le plus paradoxal est que les acheteurs auront tout intérêt à privilégier les produits importés très consommateurs de CO2 par rapport aux produits européens « verts ». Le MACF aura réussi à avoir l’effet inverse que ce pour quoi il était prévu !
Transition énergétique, épargne : nos dirigeants sont adeptes de formules magiques qu’ils pensent pouvoir réutiliser dans toutes les situations. Ils ne réalisent pas que ces mesures interventionnistes peuvent avoir l’effet inverse de celui recherché, et que l’économie des années 2020 ne réagira pas comme celles des années 1970 aux stimulus car elle n’est pas soumise aux mêmes facteurs limitants.
Peu leur importe : qu’il s’agisse de taxer la consommation, la production, ou de décourager les investissements, nos grands argentiers restent des adeptes de la méthode de la saignée économique pour guérir tous nos maux. Avec les résultats que l’on sait.