▪ Cela faisait une semaine que la communauté des chartistes guettait la cassure des 4 120 points — elle représentait un point majeur de rupture à la baisse, le grand tournant vers un scénario de consolidation. Cette occurrence s’est présentée moins d’une heure après l’ouverture du marché parisien.
Et bingo ! Ce fut un splendide bear trap ! Dès que quelques vendeurs ont commencé à s’enhardir, enfonçant l’indice jusque vers 4 105 points (-1,5%), un nouvel algorithme haussier a été mis en route. Le CAC 40 a ensuite progressé implacablement jusqu’à revenir à l’équilibre… soit une remontée de 60 points sur ses plus bas du jour. Et l’indispensable clôture au plus haut du jour (4 165,6) a été obtenue grâce à un « bonus » de 10 points durant le fixing.
Ce dernier coup de Jarnac à l’encontre des vendeurs est d’autant plus difficile à justifier que Wall Street ne parvenait plus à réduire ses pertes après une entame de séance comparable à celle des places des places européennes quelques heures auparavant.
L’EuroStoxx 50 (-0,2%) n’a pas réussi à repasser positif. Cependant, il limitait largement la casse à 2 923 points contre 2 891 points au plus bas du jour.
Quelle bonne nouvelle a motivé cette remontée inexorable façon « train à crémaillère » ? Aucune en particulier (actualité particulièrement pauvre en ce lundi) ; il pourrait s’agir tout simplement de l’anticipation d’une reprise d’un dialogue « constructif » entre démocrates et républicains sur les questions budgétaires.
▪ « Inévitable », le compromis ?
Autrement dit, les marchés ont vendu lundi matin sur le constat d’un blocage total des négociations ce week-end… Mais une fois libérés d’un accès de mauvaise humeur initial, ils se sont remis à anticiper le scénario d’un compromis « inévitable » d’ici la mi-octobre. Car personne n’envisage un défaut des Etats-Unis après le 17 octobre !
Vous qui nous lisez, vous savez que ceux qui prétendent cela soit sont mal informés, soit se payent votre tête.
Tout d’abord, une date butoir, cela se repousse. Il suffit de se mettre d’accord pour reconnaitre qu’il existe un désaccord et de se donner deux semaines de plus pour s’en dépêtrer.
En second lieu, il ne saurait y avoir de défaut quand la banque centrale d’un pays peut imprimer des centaines ou des milliers de milliards de dollars au gré de sa fantaisie. Il suffit de jouir d’un statut de superpuissance et de hausser les épaules — ou de bombarder — lorsque des impudents osent remettre en cause la suprématie du dollar.
Tous ceux qui sont allés au-delà de simples menaces verbales ou qui ont entrepris de révolutionner le commerce international en s’abstenant d’utiliser le dollar ont été victimes de campagnes d’espionnage (comme le Brésil l’a découvert récemment)… Ou bien ils ont vu leur économie frappée d’un boycott extrêmement sévère (Venezuela) — et quand cela ne suffisait pas, des missiles ont commencé à pleuvoir (sur l’Irak et la Libye… et l’Iran attend son tour).
▪ La Chine en embuscade
Cependant, les Etats-Unis se heurtent désormais à un adversaire d’un tout autre calibre : la Chine. Elle est désormais le pays le plus avancé dans l’instauration d’échanges bilatéraux puisque c’est elle qui propose, chaque fois que c’est possible, d’échanger directement des biens et services en excluant toute transaction en dollar (grâce à des contreparties telles que matières premières, denrées agricoles, produits semi-finis, etc.).
La Chine a encore enfoncé le clou ce week-end en exhortant les pays d’Asie à faire preuve de solidarité… en renforçant les liens commerciaux certes, mais surtout en adoptant un système de règlement bilatéral permettant de se passer du dollar.
A Washington et à la Fed, on enrage.
Hors de question d’en faire état, toutefois : cela ferait immédiatement éclater au grand jour à quel point les Etats-Unis perçoivent que la remise en cause du système basé sur l’étalon-dollar constitue une menace pour leur suprématie géostratégique.
Afin de garder la main, l’Amérique se retrouve contrainte de manipuler la valeur du billet vert. Pour ce faire, elle modifie artificiellement le cours de certaines monnaies secondaires entrant dans la composition de vastes paniers de devises qui servent à mesurer l’indice global du dollar.
Des enquêtes viennent d’être ouvertes afin de mesurer dans quelles proportions la valeur du dollar a pu être faussée ces derniers mois. Cela alors que la Fed devrait continuer d’injecter 85 milliards de dollars par mois (et pourquoi pas bientôt 100 milliards) durant encore très longtemps.
Si la Fed n’avait pas joué au petit jeu du « on arrête d’imprimer quand on veut » et laissé s’installer l’anticipation d’un QE3/4/5 illimité, le dollar aurait poursuivi son inexorable dégringolade. Au lieu de cela, ce sont les devises émergentes qui ont plongé, mettant de nombreux pays en grande difficulté budgétaire et sociale cet été.
Imaginez maintenant quel retentissement pourrait avoir une proposition chinoise de recourir à une autre monnaie d’échange, plus stable et plus équitable… impossible à manipuler par le biais d’une planche à billets ou par des modifications de sa rémunération !
Oui, au-delà de la guéguerre entre politiciens du Congrès US au sujet d’un plafond de la dette — dont tout le monde parie qu’il sera relevé –, les Etats-Unis se retrouvent confrontés à des problèmes de gabarit planétaire. Face à eux, la Fed devra jouer très serré… Non pas pour gagner la partie — qui est perdue d’avance — mais pour rester dans le jeu le plus longtemps possible avant que la Chine ou une autre puissance émergente ne décide de clamer haut et fort que le Roi dollar est nu.
▪ Et l’Europe dans tout ça ?
Le billet vert est parvenu à se maintenir une séance de plus au-dessus des 1,36 contre l’euro. Avec le psychodrame de Washington, les investisseurs oublient un peu de se préoccuper du sort du dollar s’il devient évident que la Fed est prise à son propre piège et ne peut que continuer de presser de façon compulsive sur la touche « imprimer ».
Le dollar a tenu bon, mais pas Wall Street. Les marchés américains se sont finalement désolidarisés des places européennes, lesquelles ont joué à fond la carte de l’accord imminent entre démocrates et républicains sur la question du plafond de la dette.
Oui, l’Europe s’est montrée très (trop ?) optimistes et Wall Street très (trop ?) timoré alors que l’on peut lire partout que chaque repli du marché est une opportunité d’achat.
Les indices américains ont plafonné durant plus de cinq heures autour de -0,5% avant de décrocher au cours de la dernière heure. Le Dow Jones et le S&P 500 ont chuté de 0,9% et le Nasdaq de 1%.
Le véritable fait marquant de cette séance de consolidation — apparemment en bon ordre — c’est l’explosion à la hausse de l’indice du stress, le VIX. Il fait un bond de 16% à 19,4, un niveau qu’il n’avait jamais approché depuis fin juin dernier.
La disproportion entre le repli relativement bénin des indices US et l’envolée du VIX nous invite à envisager que certains opérateurs commencent à pressentir que « le problème est ailleurs ».