▪ La boutique d’un souffleur de verre. Un magasin de meubles d’occasion. Des immeubles de standing protégés par une double barrière électrifiée. Des bars. De beaux restaurants. Des sushis. De la pizza. Des immeubles en verre ultra-modernes abritant de luxueux bureaux.
Le quartier d’Itaim, à Sao Paulo, semble avoir été épargné par les prescriptions ennuyeuses des urbanistes. Des bureaux, des boutiques, des maisons… tous se côtoient sans vergogne. Une petite bicoque modeste… bon marché… construite dans les années 50, se trouve juste en face de notre hôtel, oubliée par le temps, entourée par le commerce du 21ème siècle. Une autre maison, sur la Rua Florian, est située sous un complexe de bureaux. Les propriétaires ayant refusé de vendre, les promoteurs ont construit une gigantesque tour luisante juste au-dessus.
"C’est une ville géniale", déclare un collègue. "Il n’y a qu’une poignée de cités de ce genre dans le monde. Londres, Shanghai, Bombay… Pékin. Paris est une petite ville, en comparaison".
Petit à petit, nous commençons à nous orienter.
Mais nous ne sommes pas là pour nous amuser. Nous ne sommes pas là simplement pour boire des caïpirinhas et en regardant passer les Sao Paulistas. Non, ce serait égoïste. Nous sommes là pour vous, pour apprendre. Pour étudier. Pour tenter de comprendre comment fonctionne une économie.
Ce n’est qu’une coïncidence si c’est l’été ici. Et si c’est Carnaval ce week-end. Et si nous avons un billet pour Rio en poche.
▪ Une démonstration
Ces derniers temps, nous parlons de la dette. Selon Krugman, personne ne la comprend. Il a démontré ce principe dans un article du New York Times ; enfin, il a au moins démontré qu’il n’avait pas la moindre idée de la manière dont les choses fonctionnent.
Cela suggère que l’impact net de la dette est égal à zéro. Est-ce bien le cas ? |
Cet argent, nous nous le devons à nous-mêmes, a-t-il écrit en substance. Cela suggère que l’impact net de la dette est égal à zéro. Est-ce bien le cas ?
Quoi qu’il en soit, notre collègue Simone Wapler nous dit que les partisans de "la dette n’a pas d’importance" voient leurs rangs grossir. La France et l’Allemagne, entre autres, ont garanti la dette de la Grèce. Si cette dernière ne paie pas, il faudra — logiquement — que les contribuables de ces pays endossent cette dette. Un calcul met le coût total par contribuable en France, par exemple, à 731 euros.
Mais sur le Vieux Continent comme sur le Nouveau, la dette n’a plus d’importance. Voici Ivan Best dans La Tribune :
" […] l’Etat — et donc les contribuables — ne rembourse jamais la dette publique. Quand un emprunt arrive à échéance, l’Etat le rembourse, via l’Agence France Trésor (AFT), en empruntant à nouveau. Le budget de l’Etat, qui retrace toutes ses recettes et dépenses, ne comprend aucune ligne ‘remboursement des emprunts’. Car, de fait, il s’agit d’une opération dite de trésorerie, gérée par l’AFT : ainsi, elle a emprunté 186 milliards d’euros en 2013, afin de rembourser notamment 106 milliards d’euros d’obligations arrivant à échéance".
Vous voyez : les dettes des Etats n’ont pas d’importance, parce que les gouvernements ne les remboursent jamais. Ils empruntent plus.
Plus l’on vous doit d’argent, moins il y a de chances que vous soyez remboursé |
▪ Attendez. Est-ce vraiment aussi simple ?
Certains doivent de l’argent. A d’autres, on doit de l’argent. Importe-t-il qui doit quoi à qui ? Et comment ! Il est plus facile de rembourser un peu de dette que d’en rembourser une grande quantité. De sorte que plus l’on vous doit d’argent, moins il y a de chances que vous soyez remboursé. Continuez à empiler les dettes, et la probabilité d’être payé passe à zéro.
C’est alors que les créditeurs encaissent une perte. Vous direz peut-être que ça n’a pas d’importance, puisque pour chaque perte du créditeur, le débiteur engrange un profit. Sauf qu’il a déjà dépensé l’argent : il a disparu.
Hélas, c’est l’argent même que les créditeurs espéraient dépenser. Ce sont des gens eux aussi — avec des factures à payer… des retraites à financer… des obligations en termes d’assurance, de niveau de vie, de soins de santé… Bref, des gens qui comptent sur cet argent. Lorsqu’on découvrira que l’argent n’est pas là, il se produira un tsunami de douleur et de souffrance dans l’économie.
Ce raz-de marée frappera probablement en premier — et le plus durement — au Japon. Les Japonais ont plus de dettes que quiconque. Sur le papier, ils ont aussi plus d’actifs. Mais regardez lesdits actifs — des obligations japonaises gouvernementales — et vous verrez pourquoi l’idée que "nous nous le devons à nous-mêmes" est une escroquerie.
Voilà 34 ans que le gouvernement japonais est atteint de fièvre emprunteuse. A présent, il doit plus de deux fois et demi son PIB. A qui ? A son propre peuple. Oui, si la phrase "nous nous le devons à nous-même" a un sens, c’est bien au Japon.
Et alors ? Ce n’est pas simplement de la comptabilité double ; c’est la vraie vie ; et dans la vraie vie, la quantité de dette seule ne compte pas. Il faut aussi s’intéresser à la qualité. Les retraités japonais ont utilisé leur épargne pour acheter des obligations gouvernementales. Ils avaient "de l’argent". Maintenant, ils ont des reconnaissances de dette de la part du gouvernement. Ils pensent que ce dernier a leur argent. C’est faux. Il a disparu de longue date.
Le gouvernement a-t-il pris cet argent pour l’investir, de sorte qu’il gagne désormais des dividendes et des plus-values… avec lesquelles il peut remplir ses obligations ? Bien sûr que non. Il a pris l’argent et l’a gaspillé dans des "relances" (souvent superflues) d’infrastructure et autres.
A présent, les malheureux retraités japonais ouvrent le placard. Qu’y trouvent-ils ? Du vide ! Tout l’argent qu’ils pensaient avoir épargné a disparu. Il a été gaspillé par le gouvernement.
Le taux d’épargne chute… la balance commerciale est dans le rouge… le yen a dégringolé ces 12 derniers mois… et des millions de gens vieillissent, comptant sur le gouvernement pour remplir les promesses qu’il a faites.
Ce n’est qu’une question de temps avant que la vérité n’apparaisse. Ils se doivent peut-être cet argent à eux-mêmes. Mais ils sont sur le point de comprendre que leur débiteur est un panier percé et leur créditeur un idiot.