Il existe des seuils techniques ou psychologiques qui sont perçus comme des défis ; et un défi, c’est fait pour être relevé. Les planchers théoriques du dollar (moyen terme ou historiques) sont dans toutes les têtes –enfin de tous ceux qui brassent des milliards — et il existe un principe qui ne souffre guère d’exception : il faut tester les limites de parité suggérées par les banquiers centraux, juste histoire de vérifier qu’ils disposent des moyens de leur politique.
Gare à celui qui se contente de gesticulations verbales… gare à celui qui se retrouve isolé… gare à ceux qui agissent à contretemps. Ils remportent initialement une courte victoire avant de subir une défaite calamiteuse qui les guérit pour très longtemps de l’illusion de pouvoir infléchir les cours à leur guise.
La Banque du Japon ne voulait à aucun prix d’un dollar sous les 83 yens… le voici qui teste 82,2. Les cambistes pensaient voir la BCE s’inquiéter de l’enfoncement des 1,38/euro mais le voici 24 heures plus tard sous les 1,40/euro.
Il faut bien que quelqu’un "paye pour voir". Ce sont les derniers vendeurs qui vont régler l’ardoise : leurs graphiques leur disent de vendre, les fondamentaux vont dans le même sens, la spirale baissière s’emballe, les esprits s’échauffent… et voici que retentit la fin de la récré !
▪ C’est Dominique Strauss-Kahn qui a endossé jeudi le costume du directeur d’école : non pour mettre un terme à la guerre des boutons… mais bien à la guerre des devises.
La tension sur le FOREX était encore montée d’un cran cette semaine: Tim Geithner a dénoncé dans un discours prononcé à Washington "les pays qui cherchent à abaisser artificiellement la valeur de leur monnaie, ce qui incite leurs concurrents à faire de même".
Cette fois-ci, c’est certain, cette question sera traitée à l’occasion de la réunion du G7 qui se tient ce soir. La Chine va encore sentir ses oreilles siffler après les nombreuses piques qui lui ont été adressées par la Maison Blanche, le Congrès US et… Nicolas Sarkozy.
A Wall Street, les opérateurs continuent de croire qu’il n’existe aucun problème budgétaire ou systémique qui ne puisse être résolu par la planche à billet. Tout ce qui peut affaiblir le dollar est bienvenu, tout ce qui le renforce ne saurait être que temporaire.
C’est pourquoi sa soudaine consolidation parvenait tout juste à enrayer le rally haussier des indices américains. Le Dow Jones progressait d’ailleurs de 0,3% à l’ouverture… Il allait sans aucun doute tester les 11 000 points, mais il rate cet objectif à deux points près !
Pour bien faire, il aurait dû combler dans la foulée le gap baissier des 11 009 points du 4 mai dernier. Toutefois, cela ne validerait pas forcément le retracement du zénith annuel des 11 250.
▪ Les marchés européens, qui avaient entamé la journée en léger repli (-0,3%), terminent parfaitement à l’équilibre (score nul à Francfort, +0,05% sur l’Eurotop 100, +0,15% à Paris) après avoir affiché jusqu’à 1% de hausse vers 16h.
Le CAC 40 testait alors les 3 800 points (3 799,7 pour être précis), le DAX les 6 320 points, l’Euro-Stoxx 50 les 2 810 points… autant de seuils de résistance bien identifiés.
Ils ont été atteints une demi-heure après la parution des inscriptions hebdomadaires au chômage. On enregistre un recul de 11 000 aux Etats-Unis lors de la semaine close au 2 octobre, à 445 000 — c’est une indication plus positive que l’enquête d’ADP publiée la veille.
J.C. Trichet affirmait à l’issue de la réunion de politique monétaire que même si les incertitudes demeurent élevées, l’Europe semble à l’abri d’un retour à une croissance zéro (elle est même revue à la hausse de 1% à 1,7% par le FMI). Les banques ont quant à elles un peu trop pris l’habitude de se fournir en liquidités auprès des guichets de la banque centrale ; elles devraient pouvoir s’en passer dans un avenir proche.
Cela est interprété comme un premier pas vers un retour à une politique monétaire plus orthodoxe. Tout le contraire de celle poursuivie par la Fed, qui s’apprête au contraire à remettre au goût du jour des mesures non conventionnelles.
▪ Dans un tel contexte, le pétrole — qui fait plus que jamais figure de valeur refuge — compensait la chute du billet vert par une nouvelle progression de 1%. Il a franchi les 84 $ le baril… mais est retombé de 2% jeudi soir, sous les 82 $. Il a ainsi plombé les valeurs parapétrolières et les distributeurs de produits de base.
L’or inscrivait de son côté un nouveau record historique absolu à 1 366 $. Là encore, l’envol simultané du métal précieux et des actions constitue un paradoxe historique.
▪ Dans le même temps, les taux hypothécaires à 30 ans atteignent un plancher de 4,3% aux Etats-Unis. En fait, plus le coût du crédit baisse, moins il y a d’emprunteurs "éligibles" : les banques durcissent symétriquement les critères de sélection des dossiers. C’est une des conséquences directes la dégradation du marché de l’emploi et de la montée en puissance du chômage de longue durée.
Ce phénomène n’est pas propre aux Etats-Unis. En Europe également, les banques proposent des prêts à 3,5% sur 20 ans… mais le nombre de transactions immobilières est en chute libre (-65% à Paris en deux ans).
Un curieux équilibre des prix s’est d’ailleurs instauré en France car les propriétaires préfèrent louer plutôt que de vendre leur bien. Le rendement locatif est en effet beaucoup plus attrayant aujourd’hui qu’un placement monétaire ou obligataire.
Les prix ne baissent pas à Paris bien que le pouvoir d’achat réel des ménages français recule ; les Américains et les Russes préfèrent détenir de la pierre dans les beaux quartiers plutôt que du rouble ou du dollar dans leur propre pays…
Avec la hausse de la pression fiscale (au niveau local), du prix des soins et des carburants, le nombre de primo-accédants solvables demeure faible.
▪ Demandez à un Japonais si ce que nous décrivons ne lui rappelle pas quelque chose : 30 ans après l’éclatement de la bulle immobilière dans l’Archipel, les "taux zéro ou négatifs" (la Bank of Japan vient d’y revenir ce mardi) ne sont toujours pas parvenus à ranimer le marché immobilier.
En ce qui concerne les actions japonaises, chaque campagne d’assouplissement quantitatif a effectivement dopé les cours… Mais ils sont retombés chaque fois plus bas lorsqu’il est apparu évident que cette stratégie se soldait par un échec.
Au Japon, le prétexte du rendement relativement élevé des actions par rapport aux obligations n’a pas fonctionné pas au-delà de la troisième année après l’éclatement de la bulle du crédit — le temps de comprendre que les banques mettraient entre 10 et 15 ans avant d’assainir leur bilan.
Avec la crise des "muni-bonds" et de l’immobilier commercial qui se profile aux Etats Unis (alors que les comptes sont encore plombés dans des proportions inconnues par les dérivés de crédit), croyez-vous que les créanciers étrangers sont prêts à parier que le problème sera réglé d’ici 2015 ?