Une inversion de la courbe des rendements n’est pas qu’un indicateur théorique sans lien avec l’économie réelle : les répercussions sont profondes… et bien concrètes.
Nous nous demandions hier en quoi une inversion de la courbe des rendements affecte l’économie réelle – voici la réponse…
Pendant les phases d’expansion du crédit, les banques sont heureuses d’accorder de nouveaux prêts car les taux d’intérêt qui y sont appliqués dépassent généralement leur coût de financement (via les dépôts et autres choses analogues).
Lorsque les banques enregistrent ces prêts dans la colonne « actif » de leur bilan, elles créent simultanément de l’argent en plus (masse monétaire) dans la colonne « passif » de ce même bilan.
Une masse monétaire croissante signifie généralement qu’une abondance d’argent afflue dans l’économie, ce qui est nécessaire pour honorer le service des anciennes dettes restant dues. Les déficits publics américains et l’élargissement du bilan de la Fed font également augmenter la masse monétaire, mais celle d’aujourd’hui a surtout été créée via les prêts émis par le système bancaire.
Dans un contexte où les « marges nettes d’intérêts » des banques se contractent, celles-ci se montrent plus pointilleuses dans leur décisions d’attributions de prêts. A mesure que la croissance des prêts ralentit, la croissance de la masse monétaire ralentit.
Un problème dans le contexte actuel
La courbe des rendements préfigure la tendance des futures marges bénéficiaires des banques, et on ne dirait pas qu’elle est haussière. Si les banques ne réalisent pas des marges correctes sur les nouveaux prêts qu’elles accordent, cela pose un problème, dans le contexte d’une économie très endettée, où beaucoup d’emprunteurs refinancent constamment leurs prêts.
En quelques mois, les défauts de remboursement sur prêts s’envolent. Et, lorsque les défauts s’intensifient au point de menacer le système bancaire, la Fed panique et abaisse les taux.
Nous n’avons pas constaté beaucoup de défauts dans les récents rapports financiers des banques, mais il y a des tendances inquiétantes en ce qui concerne les défauts sur les cartes de crédit.
Le cycle de crédit actuel a été extraordinairement long car la Fed a maintenu une politique monétaire digne d’une situation d’urgence de 2008 à décembre 2015, date à laquelle elle a commencé à relever timidement les taux.
Cette politique super accommodante a permis à une interminable expansion du crédit – notamment dans le domaine des obligations d’entreprise – d’atteindre des sommets sans précédent. Le fardeau des dettes bancaires et obligataires étant plus lourd que jamais, l’économie américaine devient, avec le temps, moins tolérante à une courbe des rendements aplatie.
Le melt-up arrive
Avant de vendre leurs actions et d’atténuer le risque au sein de leurs portefeuilles, beaucoup d’investisseurs attendent six à douze mois après le point d’inversion de la courbe des rendements.
Ces investisseurs sont convaincus que nous nous trouvons dans une phase du cycle équivalente à celles de 1999 ou 2006, alors ils s’attendent à un ultime « melt-up » (envolée à la hausse).
Le net rebond opéré par les actions depuis fin décembre 2018 ressemble certainement à un melt-up. Et ce n’est peut-être pas fini. Mais la plupart des actions ont grimpé bien au-delà du stade où leur évaluation peut les soutenir, et la poursuite de leur rally dépend de l’entrée sur le marché de nouveaux acheteurs.
Cependant, d’un cycle économique à l’autre, il est clair que l’économie américaine – lourdement endettée – tolère moins bien le resserrement monétaire, l’inversion de la courbe des rendements et le ralentissement de la croissance de la masse monétaire.
Les bénéfices des entreprises se contractent depuis plusieurs trimestres, mais les investisseurs l’ont largement ignoré. La seule chose qui leur importe, c’est que la Fed a fait rapidement volte-face en 2019, en passant à un assouplissement monétaire radical.
Une nouvelle baisse de 25 points de base des taux, mi-2020, pourrait-elle déclencher une nouvelle vague de spéculation ?
Peut-être. Mais la prochaine baisse des taux de la Fed surviendra probablement en réaction à une détérioration des conditions de crédit. Or les actions opèrent rarement un rally dans de telles circonstances.