Boeing est le symbole de ce qui ne tourne pas rond aux Etats-Unis – l’argent facile, la dette… et le complexe militaro-industriel en sont les causes.
Nous l’avons vu hier : en matière de dette, c’est uniquement grâce à la discipline exercée discrètement par le passé que les Américains pensent n’avoir pas besoin de discipline aujourd’hui.
Le secteur industriel américain, par exemple, s’est fait une réputation mondiale en termes de production efficace et de qualité. Prenez Boeing : la société sortait de bons avions à bon prix – parce que c’est ce qu’exigeaient les clients.
Il n’est pas facile de rester le meilleur au monde, dans l’industrie. Il faut investir de gigantesques quantités de temps et d’argent pour suivre les dernières évolutions de la technologie et des savoir-faire.
Mais… et si vous aviez un client dont les poches sont si profondes qu’il ne semble pas se soucier de ce que vous lui facturez… ou de la piètre qualité de vos produits ? Deviendriez-vous plus efficace et plus soucieux de qualité ? Ou moins ?
Et si votre équipe dirigeante et la sienne étaient composées des mêmes personnes, passant de l’une à l’autre en fonction des occasions ? Les deux parties seront-elles plus exigeantes l’une envers l’autres… ou moins ?
Un effet entièrement nocif
Andrew Cockburn dans le magazine Harper’s :
« Il y a une génération, Seymour Melman, professeur d’ingénierie industrielle à l’université de Columbia, a consacré une bonne partie de sa carrière à analyser ce même sujet. Il a conclu que l’effet des dépenses militaires sur l’économie dans son ensemble était entièrement nocif, une conséquence des mauvaises habitudes injectées dans le flux sanguin des dirigeants industriels américains par une culture militaire indifférente au contrôle des coûts et à la productivité.
Le secteur US des machines-outils, par exemple, a alimenté la domination industrielle américaine d’après-guerre grâce à une productivité rentable qui, à son tour, entraînait des salaires élevés pour les travailleurs. Mais, comme l’écrivait Melman, à mesure qu’une quantité croissante de cette production passait aux contrats militaires, la relation du secteur avec le Pentagone…
… ‘devint une invitation à se débarrasser de la vieille tradition de la réduction des coûts. C’était une invitation à éviter tout le dur labeur […] nécessaire pour compenser les augmentations de coût. Parce qu’il était désormais possible de répondre aux besoins d’un nouveau client pour lequel l’augmentation des coûts et des prix était acceptable – voire désirable’.
Par conséquent, comme l’a détaillé Melman, le secteur US des machines-outils a progressivement cessé toute concurrence efficace avec des pays comme l’Allemagne ou le Japon, où le contrôle des coûts régnait en maître suprême. »
Dans le cas de Boeing, au cours des six dernières années – durant lesquelles elle aurait dû se concentrer sur le 737 MAX –, l’entreprise a utilisé 43 Mds$ de son précieux capital pour racheter ses propres actions. Les cadres et les actionnaires ont touché de grosses primes, pour les récompenser d’avoir négligé l’activité principale.
Une boulimie de dettes
Boeing n’est qu’un exemple. Il en va de même au niveau national : les politiciens américains ont fait des efforts raisonnables pour équilibrer le budget, année après année, jusqu’au début des années 1970.
Ils n’avaient pas le choix. Un dollar adossé à l’or signifiait que la monnaie et l’épargne étaient limitées. Si les autorités empruntaient trop, elles étouffaient l’emprunt du secteur privé, menant à un resserrement du crédit et à une récession.
Là encore, c’est en grande partie pour cette raison que les 240 ans d’histoire de la dette américaine ne révèlent aucune grosse calamité. Les 190 premières années se sont écoulées avec une devise adossée à l’or, qui empêchait la dette de prendre le mors aux dents.
Mais le système monétaire a changé en 1971 – lorsque Richard Nixon a fermé la « fenêtre de l’or » du Trésor US. A partir de cet instant, les Américains ont utilisé une devise flexible sans boucle de rétroaction : les autorités pouvaient gonfler la masse monétaire presque autant qu’elles le souhaitaient.
Petit à petit, par intermittence, les déficits se sont creusés tandis que les conservateurs « à l’ancienne » luttaient encore pour tenir bon face aux dépenses galopantes. C’est uniquement au cours des 10 dernières années que les conservateurs ont cédé… et désormais, les autorités sont devenues boulimiques de dette – alors qu’elles ne sont confrontées à aucune urgence nationale… et qu’elles n’ont aucune intention de rembourser quoi que ce soit.
Nous avons vu ce que 240 ans de vigilance au sujet de la dette et les déficits ont provoqué. Nous allons maintenant voir ce que quelques années SANS s’en inquiéter vont engendrer.
Nous sommes d’avis que nous n’allons pas apprécier.