La Chine a mis en place un ambitieux programme d’investissement à l’échelle mondiale – une sorte de nouvelle « route de la soie ». Quels en sont les enjeux… et les failles principales ? L’Occident doit-il s’inquiéter ?
L’escalade des tensions entre les Etats-Unis et la Chine sur le plan économique et géopolitique se poursuit sous l’administration Biden. Au cours du dernier sommet du G7 qui s’est déroulé à Carbis Bay, le président Biden a tenté de présenter un « front uni » face à la Chine avec ses alliés traditionnels du G7 ainsi que de nouveaux alliés tels que l’Australie, l’Inde, la Corée du Sud et l’Afrique du Sud.
Il a reproché à la Chine sa politique en matière économique, son mépris des droits de l’homme ainsi que l’aggravation des tensions en mers de Chine orientale et méridionale.
Les Etats-Unis ont également persuadé leurs alliés du G7 de soutenir un programme massif d’investissement dans les infrastructures des pays en voie de développement. Le partenariat, intitulé « Build Back Better World » (B3W), est de facto un rival du programme chinois « Belt and Road Initiative » (BRI).
Toutefois, il est loin d’être évident que l’Occident soit gagnant à vouloir imiter le projet chinois exorbitant et hautement controversé de nouvelle « route de la soie ».
L’ambitieux programme international d’investissement dans les infrastructures proposé par les Etats-Unis
Le programme B3W vise à réaliser « des centaines de Mds$ d’investissements dans les infrastructures » afin d’aider à réduire le déficit d’infrastructures dans les pays en voie de développement, estimé à plus de 40 000 Mds$.
Le B3W devrait être financé par le gouvernement américain au travers de ses agences d’aide au développement telles que la DFC et l’USAID ; par des institutions financières internationales telles que la Banque mondiale ; et par le secteur privé ainsi que les partenaires du G7.
Etant donné que le B3W est supposé pouvoir rivaliser avec le programme chinois, on peut s’attendre à ce qu’il soit doté d’un budget au moins égal à celui alloué par le gouvernement chinois, soit d’après la plupart des estimations plus de 1 000 Mds$ sous la forme d’investissements et de prêts accordés jusqu’à présent.
Cela représente plus de huit fois le montant des aides publiques au développement (113 Mds$, voir graphique ci-dessous) et des investissements privés (22 Mds$) financés par les pays du G7 dans le cadre de projets d’infrastructures à l’étranger au cours de la période 2015-19.
Afin de surpasser le projet de la Chine, le B3W ambitionne d’intervenir sur une plus grande zone géographique, d’avoir un champ d’action plus étendu ainsi qu’une gouvernance plus efficace et des normes plus strictes.
L’un des objectifs de la BRI est de créer une « ceinture économique de la route de la soie » qui rallierait la Chine au reste de l’Asie, à la Russie et à l’Europe par voie terrestre, ainsi qu’une « route de la soie maritime », qui rallierait les régions côtières de la Chine à l’Asie, au Pacifique Sud, à l’Afrique et à l’Europe.
Son concurrent occidental, lui, ambitionne d’avoir une portée à l’échelle mondiale.
Alors que l’initiative chinoise se concentre sur des projets d’infrastructure traditionnels (tels que les autoroutes, chemins de fer, ports et centrales électriques), le B3W vise également à investir dans la lutte contre le dérèglement climatique, la santé et le numérique.
Etant donné que les projets conduits par la Chine ont été durement critiqués pour leur manque de transparence, les problèmes de corruption et d’endettement qu’ils entraînent, ainsi que leurs conséquences environnementales et sociales néfastes, le B3W se présente comme « un partenariat d’amélioration des infrastructures fondé sur nos valeurs partagées, un engagement de transparence, des normes de qualité supérieures, avec à sa tête les plus grandes démocraties ».
Les failles de la « route de la soie » chinoise
Dès son annonce en 2013, ce titanesque projet chinois d’infrastructures a été accueilli avec suspicion en Occident. On craignait en particulier que la Chine ait pour ambition géostratégique de faire passer les partenaires de la BRI sous sa sphère d’influence.
Certains affirmaient également que la Chine poursuivait une stratégie diplomatique consistant à piéger certains pays en les endettant pour pouvoir ensuite s’approprier leurs actifs stratégiques clés tels que les réseaux électriques et les ports qui pourraient également être utilisés à des fins militaires.
Avec le temps, de nombreux analystes ont réalisé qu’une grande partie de ces critiques étaient exagérées.
Tout d’abord, près de 140 pays ont adhéré à la BRI à l’heure où nous écrivons ces lignes, dont 18 appartiennent à l’Union européenne (UE), ce qui démontre que de nombreux gouvernements trouvent que l’accord proposé par la Chine reste avantageux.
Par ailleurs, bien que la Chine n’ait pas encore financé en totalité l’enveloppe de 1 000 Mds$ d’investissements promis jusqu’à présent, elle a réalisé pour 190 Mds$ d’investissements et 390 Mds$ de travaux de construction (généralement financés à l’aide de prêts accordés par la Chine) entre 2014 et 2018. C’est davantage que le montant des prêts d’aide au développement (467 Mds$ au total) accordés par la Banque mondiale entre 2008 et 2019.
Deuxièmement, bien qu’on ait constaté une augmentation du nombre de demandes de renégociation et d’allègement de la dette, le gouvernement chinois a rarement procédé à des saisies d’actifs à l’étranger.
Troisièmement, de nombreux experts s’accordent à dire que les ports construits dans le cadre de la BRI ont été conçus à des fins commerciales et qu’il est presque impossible de les utiliser militairement.
Un objectif global désormais élargi
Il ne fait aucun doute que la Chine a tenté d’accroître son influence politique par le biais de la BRI ; elle est désormais perçue comme l’acteur économique le plus influent en Asie du Sud-Est ainsi qu’en Afrique. Mais ces avantages pour la Chine pourraient être rapidement menacés compte tenu du ressentiment suscité par certains des projets les plus onéreux, l’alourdissement du fardeau de la dette qu’ils ont provoqué et les scandales de corruption.
La Chine a donc commencé à améliorer ses standards en matière de prêt et d’investissement. Le champ d’action de la BRI a été étendu au-delà des infrastructures traditionnelles afin de couvrir également les télécommunications, les technologies numériques et la fintech. La Chine a également élargi l’objectif global de la BRI qui vise également désormais à aider à construire une zone de libre-échange favorable aux investissements afin d’accélérer la croissance économique de l’ensemble des pays partenaires.
Les principaux bénéficiaires de la BRI sont cependant les entreprises de construction chinoises, au détriment des contribuables. Lorsque le programme de grands travaux nationaux mis en place afin de relancer l’économie après la crise financière a pris fin, la BRI a fourni de nouveaux débouchés pour le secteur de la construction chinois surdimensionné.
Près de 90% des travaux de construction financés dans le cadre de la BRI ont été confiés à des entrepreneurs chinois, ce qui a alimenté les critiques selon lesquelles la BRI privilégie injustement les entreprises chinoises, qui sont ainsi devenues des leaders mondiaux. Sept des dix plus grandes entreprises de construction au monde en termes de chiffre d’affaires étaient chinoises en 2017.
Cependant, même si on suppose que la Chine aurait cherché à piéger par la dette certains pays à l’aide de la BRI, il semble que ce soit plutôt elle qui soit tombé dans le piège de la dette. La pandémie a amplifié le problème de l’augmentation des défauts de paiement et des demandes de renégociation d’emprunts. On estime à 94 Mds$ le montant des dettes qui ont déjà fait l’objet de renégociations jusqu’à présent (voir graphique ci-après), soit un quart de l’encours de prêts accordés par la Chine à des pays étrangers.
Les principaux bailleurs de fonds de la BRI, à savoir les deux plus grandes banques chinoises – la Banque de développement de Chine et la Banque d’import-export de Chine – ont échoué à financer correctement des projets qui étaient pourtant viables : le contribuable chinois devra donc probablement en supporter le cout à terme.
Compte tenu du montant considérable des projets d’investissements qui ont été mis en pause, revus à la baisse ou même annulés et la très faible participation des bailleurs de fonds privés, il est évident que les gouvernements participant à la BRI ont eux aussi commis de nombreuses erreurs dans leurs décisions d’investissement.
A suivre…
Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.