A peine entamée, la seconde présidence Trump semble déjà avoir consumé ses cartouches. Entre comparaisons militaires, réformes avortées et ambitions budgétaires sabordées, ce mandat débute comme une offensive mal calibrée.
« Les Russes ont déjà appris certaines choses. » – Général Heinz Guderian, après avoir vu les obus de ses Panzer rebondir sur le blindage du T-34
Aucun historien sérieux ne risquerait sa crédibilité à écrire déjà sur la fin de la seconde administration Trump. Elle n’en est qu’à ses débuts.
Traditionnellement, les historiens attendent au moins un demi-siècle avant de tirer des conclusions sur un événement majeur. Le temps que les faits soient oubliés et que le public soit prêt à écouter une histoire palpitante. A ce moment-là, ils élaborent un récit – une construction cohérente, une intrigue – qui donne une apparence de sens à ce qui s’est passé. Puis, au fil des décennies, d’autres récits émergent, chacun conforme aux sensibilités intellectuelles de son époque.
Et pourtant… Il semble déjà que les lignes blanches de Trump II soient en train d’être tracées. Certaines s’engagent sur des routes plaisantes, évitant les dérives woke de l’administration précédente ; d’autres bifurquent dans des ruelles sombres, où l’on règle de vieux comptes. Et certaines mènent à des contrées nouvelles, étranges, inattendues.
Annexer le Canada ? Développer Gaza ? Ordonner à Apple où fabriquer ses téléphones ?
Les grandes artères, elles, sont également bien tracées. Deux sont déjà clairement visibles.
L’une s’est écrasée contre un mur, lorsqu’il est apparu qu’Elon Musk n’était pas de taille face à la bureaucratie fédérale. Musk a peut-être effrayé quelques fonctionnaires, mais sans le soutien du Congrès, ses efforts n’ont débouché sur rien.
La seconde nous a fait penser à l’assaut de la Wehrmacht sur Stalingrad : chargée de sturm und drang, elle a englouti une armée entière – mais en fin de compte, la prendre était une opération vaine, voire suicidaire. De la même manière, la guerre commerciale de Trump s’est révélée coûteuse : pour les consommateurs, qui paieront des prix plus élevés, et pour le président lui-même, qui y a sacrifié un temps précieux et une part importante de son capital politique pour un objectif peu digne d’intérêt.
En juillet 1941, la Wehrmacht progresse à une vitesse fulgurante en Union soviétique occidentale : elle capture des millions de prisonniers, détruit la majorité des avions soviétiques au sol, et anéantit une large part de la capacité de combat de l’Armée rouge.
Mais les Allemands commettent alors une erreur stratégique majeure : ils divisent leurs forces pour lancer trois offensives simultanées. Au nord, ils se heurtent aux fortifications de Leningrad. Au sud, Stalingrad se révèle être une voie sans retour : on peut y entrer, mais pas en ressortir. Seule l’attaque vers Moscou présente un véritable intérêt stratégique. S’ils parvenaient à prendre la capitale, ils auraient une chance sérieuse d’imposer leurs conditions de paix. Une hypothèse incertaine, certes, mais pas impossible – et les Allemands savaient pertinemment qu’ils ne pouvaient pas se permettre une guerre longue et indéfinie.
L’objectif était clair : dans un délai de quatre mois, l’armée commandée par von Brauchitsch devait atteindre Moscou. Mais l’assaut fut retardé jusqu’en septembre. Et les forces disponibles pour l’attaque furent amoindries, dispersées entre les fronts nord et sud, privées de chars, d’artillerie, d’aviation et d’hommes.
Le 7 octobre, la première neige tombe. Les routes deviennent impraticables, transformées en bourbiers. Plus tard, selon le général Fedor von Bock, les températures chutent jusqu’à -49 °C – l’hiver le plus rude du siècle. Les troupes allemandes, exténuées, grelottantes, avec les dômes du Kremlin en ligne de mire, ne peuvent plus avancer.
Cet échec condamne tout l’effort de guerre. Les Soviétiques ont plus d’hommes, plus de carburant, plus de chars, plus d’armes. Certes, ils étaient mal organisés et mal équipés au début de la campagne – mais, comme le fit remarquer Heinz Guderian, ils ont rapidement « appris quelques trucs ». Après que la Wehrmacht eut gaspillé ses « cent premiers jours », il n’était plus qu’une question de temps avant que l’Armée rouge n’atteigne Berlin.
Donald Trump semble ignorer cette leçon. Lui aussi n’avait que quelques jours pour accomplir quelque chose d’essentiel. Son objectif stratégique était clair : mettre fin aux déficits publics chroniques du gouvernement fédéral. Tant que ces déficits continueront de dépasser le rythme de croissance du PIB, la crise financière américaine ne fera que s’aggraver et se rapprocher.
La maîtrise des dépenses aurait dû être la priorité absolue de Donald Trump. Et pourtant, il s’est lui-même rendu la tâche presque impossible. D’abord, en promettant aux électeurs de ne pas toucher à la sécurité sociale. Ensuite, en augmentant le budget de la défense. Et enfin, alors que la Chambre des représentants tentait de contenir l’explosion des coûts liés à Medicaid, en demandant aux Républicains de ne pas « faire n’importe quoi avec Medicaid ».
Mais si l’on ne peut pas réduire ces grands postes de dépenses, que peut-on réduire ? Que reste-t-il ? Pour atteindre l’équilibre budgétaire, Trump aurait dû supprimer 2 000 milliards de dollars de dépenses. Au final, il n’a rien supprimé du tout.
Son « grand et beau projet de loi budgétaire » s’est révélé être une autoroute sans destination.
« Bien que j’apprécie certains aspects de ce texte, écrivait le représentant Warren Davidson, promettre que quelqu’un d’autre fera des coupes plus tard ne revient pas à faire des coupes aujourd’hui. Les déficits sont bien réels, et ce projet de loi ne fait que les aggraver. »
Mais Davidson, comme les rares conservateurs qui l’ont soutenu, a été battu par M. Trump et par ses collègues, bien décidés à éviter toute confrontation.
Ainsi, à l’issue des 120 premiers jours, les ambitions de l’administration Trump se sont évaporées.
Elon Musk est hors-jeu : ses efforts pour lutter contre le gaspillage et l’inefficacité n’ont donné aucun résultat tangible. La guerre commerciale a été abandonnée à peine une semaine après son lancement officiel. Et le grand texte budgétaire des Républicains a entériné la poursuite des dépenses et de l’endettement.
Le déficit reste proche des 2 000 milliards de dollars par an. La dette fédérale est toujours en route pour atteindre 60 000, voire 70 000 milliards de dollars d’ici dix ans. Le coût des intérêts s’élève à 1 500 dollars par citoyen et par an. Et les taux d’intérêt continuent de grimper.
Trump II a déjà épuisé toutes ses munitions.
Laissons aux historiens de demain le soin de remplir les blancs de l’histoire.
1 commentaire
J’aurais tendance à proposer aux historiens d’aujourd’hui d’attendre quelques années avant d’écrire l’histoire.
I would tend to suggest that today’s historians wait a few years before writing history.