Depuis 12 ans, les autorités s’accrochent au sacro-saint « objectif d’inflation à 2% »… et depuis 12 ans, il leur échappe. Pourquoi ? Et que cache-t-il en réalité ?
Aucune donnée économique n’illustre mieux l’impuissance des autorités que l’inflation.
Cela fait plus de 10 ans qu’elles prétendent vouloir accélérer la hausse des prix et la faire passer au-dessus de 2%… et près de 12 ans qu’elles échouent.
Aux Etats-Unis, elles n’ont réussi – malgré les milliers de milliards de dollars de création monétaire, le crédit à taux nuls et les déficits budgétaires abyssaux – à dépasser la barre que pendant quelques semaines, à la faveur d’une hausse temporaire des prix du pétrole !
La question de l’inflation et de cet échec est centrale.
Bien entendu, elle ne fait l’objet d’aucun débat car nous sommes dans des « régimes d’autorité » ; les banques centrales détiennent « la vérité » et nul n’a le droit de les contester. Vous ne voyez aucun gouvernement interroger la banque centrale sur son objectif et sur les moyens qu’elle met en oeuvre pour l’atteindre.
Le facteur travail
Encore avant la crise du virus, alors que les taux de chômage étaient faibles ou, comme aux Etats-Unis, à des planchers records sur 50 ans, l’inflation avait tendance à baisser, non pas à monter. Ce qui remettait en cause l’interprétation imbécile que les économistes conventionnels font de la courbe de Phillips.
La baisse du chômage, le fait que le facteur travail soit plus demandé, ne produisaient aucune accélération des salaires et donc aucune accélération des hausses de prix. Et dire que ces pauvres banquiers centraux se fondent sur cette courbe de Philips pour déterminer leur action monétaire et la piloter ! Ils ne savent pas ce qu’ils font, je le répète.
C’est dire l’indigence de la pensée économique que de constater pareil échec – et en plus de ne pas remettre en question l’édifice d’ignorance sur lequel il repose !
Si l’action en faveur d’une accélération de la hausse des prix échoue, si aucun débat ne s’instaure, il faut se rendre à l’évidence : ce ne peut être que parce que l’on touche à quelque chose de sacré, quelque chose qu’il ne faut surtout pas critiquer.
La non-critique de l’objectif d’inflation d’une part et la non-critique de l’échec d’autre part prouvent à l’évidence que nous sommes dans l’idéologie et non pas dans la science ou le savoir honnête.
Pourquoi un tel objectif ?
L’objectif d’inflation annoncé par les autorités monétaires a une fonction idéologique, et cette fonction reste à mettre à jour, à analyser et à populariser. Il faut que cela se sache. Il ne faut pas se contenter de l’égratigner.
Le voile de l’inflation à 2% recouvre quelque chose de fondamental dans le système et dans sa recherche de solution, puisqu’il est maintenu malgré 12 ans d’insuccès.
Admettons-le.
Cet objectif n’a pas une fonction scientifiquement économique.
Quelle est la valeur d’un objectif que l’on ne peut atteindre pendant 12 ans alors que l’on a pratiqué le coûte que coûte monétaire et budgétaire ? Cette valeur est nulle, nous sommes dans le mythe.
La fonction de l’objectif d’inflation fixé à 2% est une fonction de communication, c’est une construction parallèle – une construction parallèle qui consiste à afficher un objectif simple, grand public pour en atteindre un autre qui, lui, est beaucoup moins présentable et acceptable.
Ce qu’on voit et entend, c’est l’objectif de hausse des prix de 2%. Ce qu’on cache, c’est le fait qu’on veut en fait obtenir un transfert de revenus, de ressources, au profit d’une partie du système économique et au détriment d’une autre.
Les politiques monétaires ne sont rien d’autre que des politiques de transfert, comme dans le bon vieux temps… mais avant, ces politiques de transfert étaient budgétaires. Désormais, elles sont monétaires, c’est-à-dire occultes.
La monnaie n’est pas neutre
Une politique monétaire, cela consiste toujours à prêter de l’argent. Ce que l’on ne vous dit pas, en revanche, c’est que selon que l’on prête aux uns ou aux autres la richesse se forme, circule vers les uns ou vers les autres.
La monnaie n’est pas neutre : elle sert à attirer à soi les richesses réelles, elle enrichit ou appauvrit, et tout dépend où elle tombe et à quoi elle sert.
Ceux qui sont près des tuyaux et des robinets n’ont pas le même sort que ceux qui sont en bout de course. Les agrégats masquent totalement la réalité de la politique monétaire, voilà ce qu’il y a derrière le voile de l’inflation désirable.
Je vous donne un exemple. Pour vous, le taux rendement de votre épargne est au mieux de 1% – et encore. Pour un hedge fund dont les parts sont possédées par les ultra-riches, en revanche, ce rendement est de 10% à 20%.
En effet, ce hedge fund a accès au crédit le moins cher, à 0,2% ; grâce à cela, il prend position en levier, c’est-à-dire avec un financement qui est un multiple de sa mise. Il collecte ainsi ces 10% ou 20% selon son appétit pour le risque.
Bernard Arnault, grâce à son accès à l’endettement quasi-gratuit, peut acheter en levier, à crédit, une société qui rapporte 12% de rentabilité de ses fonds propres.
L’inflation, si elle était générale, n’aurait aucun intérêt. Elle n’a d’intérêt que parce qu’elle est différentielle et qu’elle touche de façon très différente les grandeurs économiques. Ainsi, par exemple, l’inflation des prix n’est pas l’inflation des salaires.
Nous verrons la suite dès lundi.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]