Coronavirus ou pas, le Brexit est acté… et cela fait une chose de plus à anticiper pour une année 2020 déjà bien agitée.
Il faut donc voir ce que va devenir la période de transition – qui s’étendra jusqu’au 31 décembre 2020 –, et ce qu’elle nous réserve sur le plan des négociations entre le Royaume-Uni et la Commission européenne d’Ursula von der Leyen. Pour cette ancienne ministre fédérale allemande de la Défense, ce sera sans doute le véritable baptême du feu.
D’ici-là, Ursula von der Leyen devra bâtir une majorité au sein du Parlement afin que les futurs textes de la Commission puissent être approuvés. Elle a également grand intérêt à ce que les dirigeants des Etats membres se mettent d’accord sur un cadre financier pluriannuel (CFP) de l’UE pour 2021-2027 aussi large que possible. Son Green Deal en dépend.
Pour ce qui est du premier point, on ne peut pas dire que les relations entre la Commission et les députés soient au beau fixe.
Une Commission « extrêmement affaiblie » face à un « Parlement déstructuré »
C’est dans ces termes que Jean-Sébastien Lefebvre, journaliste spécialiste des questions européennes à Contexte, décrivait le champ de bataille européen au lendemain de l’éviction de Sylvie Goulard.
Et Jean-Sébastien Lefebvre de poursuivre :
« Dans des conditions pareilles, c’est à se demander comment le Green New Deal va pouvoir émerger. Idem pour la réforme des règles de concurrence/commerce. »
Quand je vous parlais de seconds couteaux recyclés, voici en pratique à quoi je faisais référence :
« Exemple. Le commissaire polonais à l’Agriculture, lors de sa première audition, a répondu tout et son contraire. Aucune cohérence, aucune vision. A été approuvé après une deuxième audition, où là, il avait appris des fiches par cœur. Note : on est en pleine réforme de la PAC.
Le commissaire au Commerce, même genre. Il a passé trois heures à enchaîner les banalités. Aucune colonne vertébrale ou réflexion au-delà de répéter les éléments de sa fiche de mission. Petit sujet là aussi…
Le vice-président slovaque, Maros Sefcovic, est celui qui doit mettre en place le futur ‘droit d’initiative du Parlement’. En trois heures d’audition, aucune info.
La commissaire estonienne à l’Energie, pareil, approuvée de justesse. Et on va éviter de parler du niveau de la vice-présidente à la Démographie ou Démocratie lors de son audition… ça deviendrait dérangeant.
Sur 27 commissaires, vous en avez donc déjà quatre complètement dans les choux. Pour le reste :
« Vous avez quelques futurs commissaires qui sauvent un peu l’honneur. Le Luxembourgeois Nicolas Schmit par exemple (Emploi), la Portugaise Elisa Ferreira (Fonds régionaux), voire le Belge Reynders (Justice, mais […] il n’y connait rien en données personnelles…). On peut aussi citer Vestager bien entendu. Mais bon, les questions qui lui ont été adressées n’étaient pas non plus très difficiles. C’est resté très poli. Quant à Timmermans, sur son Green Deal, il est resté flou. Comme d’hab. »
Jean-Sébastien Lefebvre conclut ainsi :
« Donc si vous ajoutez à tout cela : un Parlement qui ne sait plus où il habite [60% de nouveaux élus] ; un PPE qui veut montrer qu’il reste le patron [tendance nihiliste] ; des Renew qui n’ont pas encore construit une cohérence politique ; des socialistes qui naviguent à vue ; des Verts qui croient encore avoir gagné l’élection de mai ; et des extrêmes qui profitent du spectacle, eh bien les cinq années à venir vont être sportives. #banzai »
L’une des nombreuses questions en suspens est donc de savoir comment ce Parlement va se comporter une fois qu’il aura fini de se recomposer.
Vers une rébellion des eurodéputés ?
A en croire Jean Comte, un autre journaliste de Contexte, les dirigeants des Etats membres, constatant que certains de leurs candidats au poste de commissaire se sont fait recaler devant le Parlement…
… se sont quelque peu émus de l’influence inhabituelle des députés européens.
Avec la fin de la « grande coalition », les termes du bras de fer au sein du Parlement mais également entre d’une part les eurodéputés et, d’autre part, la Commission et les Etats, ne sont plus les mêmes. Plus grand’chose ne peut être fait sans avoir un réseau d’alliés structuré au sein du Parlement.
La situation promet de devenir encore plus intéressante si les députés européens obtiennent le droit d’initiative législative qu’Ursula von der Leyen leur a promis.
La présidente de la Commission a déjà commencé à faire des concessions aux eurodéputés… verts
Le premier impératif d’Ursula von der Leyen a été de réunir une majorité au Parlement afin de faire approuver son collège de commissaires.
Pour ce faire, elle a notamment été amenée à assouplir sa position en ce qui concerne les membres qui composent son cabinet.
Ursula von der Leyen le 21 octobre :
Ursula von der Leyen le 8 novembre :
Cette stratégie a fini par payer puisque la Commission von der Leyen a été approuvée par le Parlement le 27 novembre à 461 voix pour, 157 contre et 89 abstentions. C’est 38 voix de plus que la Commission Juncker en octobre 2014, mais c’est surtout beaucoup mieux que les neuf voix qui ont permis le 16 juillet à Ursula von der Leyen de se faire élire présidente de la Commission… sans les voix des Verts.
Pour autant, « la présidente de la Commission européenne sait qu’elle ne pourra faire approuver tous ses futurs textes sur une telle base. Elle continue donc ses appels du pied aux écologistes », expliquent Jean-Sébastien Lefebvre et Jean Comte sur Contexte.
Le premier enjeu crucial de la relation entre le Parlement et la Commission sera la validation du budget de l’Union européenne pour la période 2021-2027.
A quoi va ressembler le premier budget post-Brexit de l’Union européenne ?
La négociation du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) de l’UE est un chantier de longue haleine qui a débuté le 2 mai 2018, et dont l’issue a été repoussée du fait du Brexit.
Négocié entre Etats sur la base de la proposition de la Commission Juncker, avant d’être validé par le Parlement, ce CFP a vocation à déterminer les grands axes de dépenses de l’UE et leurs plafonds sur un horizon de sept ans.
Comme l’explique très bien un bulletin de la Banque de France publié le 22 novembre, il s’agit de se mettre d’accord sur trois axes :
– les recettes ;
– les dépenses :
– les modalités d’un budget pour la Zone euro.
Commençons avec les recettes, c’est-à-dire le montant du budget. La grande particularité de ce CFP est évidemment que l’UE va devoir se passer de la contribution nette britannique qui représente tout de même 5% du budget de l’Union (soit 10 à 12 Mds € par an).
Je vous passe les détails, mais les négociations portent en particulier sur le fait que la redistribution des contributions au budget européen ne sera pas mécanique, c’est-à-dire qu’il va falloir modifier les quotités de participations nationales au budget de l’UE.
Avant de vous indiquer où l’on pourrait arriver, je vous rappelle d’où l’on part : « pour la période 2014-2020, le CFP s’est élevé à 908,4 milliards d’euros, soit un peu plus de 1% de la richesse produite chaque année par les pays membres de l’UE », comme le rappellent les bureaucrates de la Banque de France, lesquels seraient très heureux de voir grossir le sac de billes de leurs camarades bruxellois.
En effet, ces derniers soulignent :
« Cette proportion a crû lentement tout au long de l’histoire de l’intégration européenne, mais reste très marginale comparée aux budgets nationaux : en 2018, le budget national d’un Etat membre pesait en moyenne 46% de son Produit national brut. »
Comme je vous l’indiquais, le CFP est discuté par les Etats membres et par le Parlement sur la base d’une proposition de la Commission. En l’occurrence, la Commission Juncker a présenté en mai 2018 un projet affichant « 1 135 Mds€ en engagements, soit une moyenne de 1,11% du RNB », rappelle la Banque de France, soit une coquette augmentation d’environ 10% sur sept ans.
En décembre, la présidence finlandaise du Conseil de l’UE a cependant recentré le débat sur le chiffre de 1087 Mds €. Naturellement, Ursula von der Leyen a très peu apprécié :
A noter que la Commission a des idées pour lever elle-même de nouveaux impôts, ce que nos bureaucrates de la Banque de France nous présentent (bien entendu) comme une innovation :
« Enfin, la Commission innove en proposant la création de nouvelles ressources propres [NDLR : 16% du total des recettes de l’UE en 2018] : un système rénové d’échange de quotas d’émission, une redevance sur les emballages plastiques, et un taux d’appel de 3% sur une nouvelle assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). »
Une fois ce programme de recettes validé, vient ensuite la question des dépenses, c’est-à-dire ce qu’on fait de tout ce pognon. Ici la Banque de France rappelle ceci :
« Les dépenses d’intervention liées aux actions et aux politiques de l’UE mobilisent 94% du budget. L’essentiel de ces dépenses est consacré à la PAC (37% du budget en 2018) ainsi qu’à la politique de cohésion et aux fonds structurels (48%) […]. »
Et nos bureaucrates français de souligner :
« Les dépenses de fonctionnement (salaires et retraites des fonctionnaires européens, dépenses liées aux immeubles et au matériel) ne représentent que 6% du budget. »
Sous-entendu : continuons à dépenser des millions d’euros en jets privés, hôtels de luxe, cocktails et autres dépenses somptuaires pour nos camarades bureaucrates de Bruxelles.
Conjointement à cette question des postes de dépenses est traitée la question des régions qui ont vocation à en bénéficier au détriment des autres. La situation actuelle est la suivante :
Enfin, il s’agira pour les Etats membres de se mettre d’accord sur la forme que prendra le budget de la Zone euro. Comme j’ai déjà eu l’occasion de vous en narrer les détails, je vous propose un résumé de la situation par la Banque de France :
« Le débat est loin d’être tranché. Pour le prochain CFP, les Etats membres se sont accordés, à l’issue du sommet du 21 juin 2019, sur la mise en place d’un instrument budgétaire de convergence et de compétitivité de taille modeste, compromis entre deux positions très éloignées : l’une qui prône un instrument commun de stabilisation économique, et l’autre qui rejette le principe même d’un budget de la Zone euro. Si la portée initiale de ce nouvel instrument est limitée, au vu de son montant et de l’abandon de l’idée d’en faire un instrument de stabilisation, il n’en augure pas moins le cadre d’un budget propre à la Zone euro. »
Voilà pour les grandes lignes du CFP. La semaine prochaine, nous rentrerons dans les détails en évoquant le fameux Green Deal d’Ursula von der Leyen.