** Nous critiquons régulièrement les consensus imbéciles qui se construisent sur la foi de quelques observations semblant découler du simple bon sens et de déductions à l’emporte-pièce de niveau « TD de première année d’économie ». Nous venons en fait de nous faire prendre à revers comme des bleus… et avec la même naïveté que des Schtroumpfs, ajouteraient des lecteurs mécontents.
Poser comme nous l’avons fait ces derniers jours un diagnostic baissier — sans nuances — sur la foi d’une longue série d’indicateurs économiques pitoyables de part et d’autre de l’Atlantique… alors que la sévérité de la déprime dans le secteur immobilier aux Etats-Unis surprend jusqu’au plus pessimiste des spécialistes de la construction individuelle… et alors que le dollar vient de se désagréger de -6% au cours de l’été… c’était à l’évidence une commettre erreur de débutant.
Qu’UBS et Citigroup publient un profit warning à quelques heures d’intervalle lundi matin, et cela nous a suffi à plonger dans le piège tête baissée — en même temps que le CAC 40, qui rechutait de 0,8% jusque sur 5 660 points, dans le sillage des futures US qui se repliaient encore de 0,3% à quelques minutes de la reprise des cotations à Wall Street.
Comment n’avons nous pas flairé la bonne affaire, le coup facile, le claquement de doigts complice de la « main invisible » lorsque le Dow Jones rouvrit en hausse de 50 points (au lieu des 30 points de baisse attendus) ? Un de nos amis chartistes lâchait, laconique et sans la moindre émotion : « tiens, le marché passe haussier ». Il a acheté sans état d’âme quelques calls warrant sur les bancaires et une dizaine de contrats CAC 40 échéance octobre à 5 750 points… et il a eu fichtrement bien raison !
** Nous enrageons de ne pas avoir suivi ce sage exemple : la barre des 5 800 points était effacée dans la foulée dès mardi matin dans le sillage des valeurs financières, avec l’ouverture d’un beau gap d’impulsion à la clé entre 5 780 et 5 810 points. En outre, aucun obstacle graphique ne semble plus se profiler avant les 5 950 ou les 6 000 points — mais nous verrons que ce n’est pas exactement le cas dans la mesure où la zone des 5 800 points correspond au plafonnement du CAC 40 un certain 26 février dernier, date officielle de l’éclatement de la crise du subprime !
Plus sérieusement, nous n’imaginons pas un seul instant que Wall Street ait rouvert aux antipodes des anticipations par la magie d’un élan d’optimisme spontané, les opérateurs considérant que les actions avaient beaucoup trop baissé durant l’été… alors que le Nasdaq 100 a grimpé de 10% dans l’intervalle, tandis que le S&P 500 tutoie ses sommets !
Même en admettant que Citigroup ait définitivement purgé de ses comptes les effets de la crise du subprime (nous n’en croyons rien, naturellement, et de nombreux contacts dans les salles de marché sont bien placés pour savoir que nos doutes sont fondés)… Même en admettant que la Fed consente un nouvel assouplissement monétaire d’ici trois semaines… Nous ne voyons pas comment les ménages américains pourraient s’endetter d’avantage pour acheter les 4,5 millions de maisons en attente d’un acquéreur potentiel (plus de 10% des demandes de prêts émanant de ménages solvables sont rejetés), alors que 120 000 incidents de remboursement — et bien plus en réalité depuis début juillet 2007 — et des dizaines de milliers de saisies/ventes aux enchères sont constatés en moyenne chaque mois depuis l’automne 2006
Mais notre raisonnement boursier pêche en effet par un excès de prise en compte de l’environnement macro-économique. L’effondrement des promesses de ventes de maisons neuves (-6,5% au mois d’août, -22% en six mois), la chute des prix, qui avoisine 7,5% en un an (induisant des pertes sèches pour les promoteurs), les primes qui se tendent sur les émissions obligataires du secteur privé (entre +70 et +80 points par rapport au cours officiel de l’argent au jour le jour depuis fin février)… rien de tout cela n’a empêché le Dow Jones de passer la barre des 14 000, ni le CAC 40 de culminer vers 6 160 points le 17 juillet (tiens, tiens, en tout début de trimestre également, serais-ce un singulier hasard ?)…
** Mais si les cours de bourses ne sont plus déterminés ni par les anticipations conjoncturelles (qui s’orientent toutes vers un ralentissement de la croissance et l’émergence d’un terreau plus inflationniste en 2008) ni par le coût des liquidités sur le marché — et non pas aux guichets de la Fed… alors dans quelle sphère les indices boursiers puisent-ils leur dynamique haussière ?
Nous soupçonnons une nouvelle fois que des stratégies fort complexes sur les dérivés débouchent sur des évolutions pour le moins paradoxales des indices boursiers : un petit afflux de liquidités supplémentaires sur fond de rachats de couverture… et le tour est joué.
L’effet conjugué des prises de positions « longues » de début de trimestre et le déclenchement de programmes d’achat stop sur le franchissement de résistances annuelles ou historiques — que nul opérateur n’ignorait — a déclenché une spirale haussière dont il est difficile d’évaluer le potentiel, tant son assise fondamentale et technique demeure fragile.
Car en dépit des apparences avec un Wall Street uniformément « vert » en clôture lundi, les volumes d’échanges sont demeurés bien minces pour une première séance mensuelle — et bien plus encore trimestrielle. Sans aller jusqu’à prétendre que le marché américain est monté dans le vide, nous pouvons envisager que les vendeurs — intrigués par l’impulsion haussière initiale du Dow Jones ou du Nasdaq — se soient prudemment retirés sur le banc de touche. Après tout, pourquoi se priver d’un bonus inespéré tout en regardant les autres se fatiguer et prendre des risques à leur place, même si cela ne dure que 24 ou 48 heures ?
** En ce qui concerne la transparence de certaines banques au sujet de leurs pertes, y a-t-il matière à les féliciter d’avoir attendu près de six mois avant de les dévoiler au grand public — alors que la rumeur a eu des effets terriblement dommageables sur les cours dans l’intervalle ?
Se sont-elles résolues à une « opération vérité » un peu tardive mais qui solde pour de bon une mauvaise passe… ou n’avaient-elles pas d’autre choix ?
Les pertes, en matière de titrisation de créances, résultent d’opérations complexes dont les impacts financiers sont décalés dans le temps. Cependant, elles ne peuvent être éternellement dissimulées aux commissaires aux comptes puis aux analystes.
Dans cette seconde hypothèse, de nouvelles annonces désagréables du même ordre sont à redouter d’ici fin 2007 pour les raisons que vous connaissez par coeur au sujet de la conjoncture immobilière aux Etats-Unis.
Est-il pertinent de prétendre que la crise du subprime est un phénomène qui se circonscrit au marché de la dette (devenu un véhicule de spéculation comme un autre), et n’affecte que l’ingénierie financière dédiée à ce secteur ?
Allez demander leur avis aux épargnants qui ont déposé leurs économies chez Northern Rock… ou aux actionnaires de cette banque qui ont perdu 90% de leur mise en un an. Allez demander son avis à la Bundesbank, qui a ordonné un sauvetage en catastrophe (pour en éviter une pire encore) d’IKB ou de Sachsen LB.
Mais le marché fait le pari d’accidents isolés, comme pour certaines grandes banques généralistes françaises et une banque privée parisienne du quartier de la Madeleine. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, évoque une exposition extrêmement faible des établissements de crédit tricolores au risque du subprime.
Les maisons-mère apparaissent en effet à l’abri de tout souci majeur — sur le papier. C’est souvent le fruit d’un mensonge par omission, car nombre d’entre elles sont mouillées jusqu’au cou via leurs filiales offshore, dont les activités et les engagements à terme demeurent (à dessein) parfaitement opaques pour la Banque de France. Il s’agit une nouvelle fois de « hors bilan » ; le meilleur (c’était à la belle époque) y côtoie le pire (nous y sommes) depuis que les subprime sont devenus illiquides.
J.C. Trichet a publiquement abordé ce sujet sensible lundi. Il se pose des questions, il envisage de demander des éclaircissements, de réclamer plus de transparence.
Nous parions que les marchés préfèreront qu’il annonce ce jeudi qu’il consacrera toute son énergie à combattre une inflation fantôme (même si cela devait déboucher sur un gel des taux — ou pire, une hausse, d’ici la fin de l’année) plutôt qu’à forcer les gonds de la boîte de Pandore du « hors bilan ».
Philippe Béchade
Paris