Michael Burry l’a montré : quand le réel renverse le narratif, les banques centrales paniquent. Entre records boursiers, injections massives et valorisations hors sol, le marché ressemble de plus en plus à un casino truqué.
Michael Burry, l’homme du Big Short contre les subprime dès 2007, sait ce qu’il en coûte — en pression psychologique et en « appels de marge » — lorsque l’on a « raison trop tôt ».
En réalité, à l’échelle d’un cycle haussier de quatre ans, se positionner douze mois avant un événement « inexorable » pour un esprit scientifique, c’est un gros écart de timing (pour ne pas employer le terme erreur, car Michael Burry ne s’est pas trompé). Nul ne connaît le moment où le réel anéantit brutalement le narratif et l’illusion. C’est rarement lorsque le mot « bulle » figure parmi les trois termes les plus recherchés sur Google, Bing, DuckDuckGo, etc.
Cela survient en revanche — certes de façon impromptue — lorsque la confiance est revenue, que les indicateurs de stress se sont détendus, que son baromètre, le VIX, retombe sous les 15, que les anticipations redeviennent uniformément bullish, pour cause de justifications imparables comme : « novembre et décembre haussiers dans 90 % des cas depuis 2009 ».
Et cette année, Wall Street présente une caractéristique inespérée : 88 % des trimestriels publiés par un peu plus d’un tiers des composantes du S&P 500 sont « supérieurs aux attentes » au troisième trimestre, contre une moyenne de 77 % depuis quinze ans.
Nous pouvons nous ébahir — comme les permabulls — de cette heureuse occurrence qui constitue, faut-il le préciser, une grande première historique. Ou alors soupçonner la plus grotesque tentative de falsification à grande échelle des « anticipations », consistant à divulguer systématiquement des prévisions délibérément minorées, en espérant que cela ne se verra pas trop. Mais pas de chance cette fois : les analystes y sont allés un peu fort, et ça se voit.
Ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont cru que cette stratégie devenait nécessaire, vu les niveaux de surévaluation de Wall Street (même s’il est de bon ton de mettre en avant les profits records des GAFAM — et ils le sont, tous les trimestres). Ils ont estimé que la situation exigeait de ménager un effet « waouh ! » pour occulter le côté vertigineux des valorisations.
Les trente-six ou trente-sept records battus depuis le 20 juin dernier font ressurgir des études qui démontrent que plus vite les records s’enchaînent, plus solide et durable sera le mouvement haussier. Les vendeurs à découvert, pris à la gorge (surtout s’ils ont opté pour du levier), sont obligés de « courir après le marché ». Les gérants, devenus trop frileux lorsque le mouvement s’accélère, doivent à leur tour jeter aux orties toute prudence, car leurs concurrents qui ne se posent pas de questions commencent à prendre trop d’avance — et la période des classements annuels arrive dans moins de six semaines.
Alors, au moment de retourner sa veste, afin de justifier une stratégie full risk-on avec un sourire conquérant sur les plateaux télé, il n’y a plus qu’à dérouler le narratif d’un nouveau paradigme : celui qui « va tout changer », « disrupter » notre façon de travailler et surtout de réfléchir, faire surgir des fortunes à la vitesse d’une crypto recommandée par Sydney Sweeney sur le perron de la Maison-Blanche, suite à une invitation de Trump à venir expliquer pourquoi elle se fait rémunérer ses prestations en bitcoin.
Mais tout comme l’anecdote de la Maison-Blanche, les scénarios de génération de richesse infinie relèvent de la pure spéculation intellectuelle… qu’il est extrêmement risqué d’oser démentir. Et Sam Altman, le CEO d’OpenAI, l’a très bien compris : à un journaliste qui lui demande comment supporter 1 400 Mds$ d’investissements (c’est ce qui a été dévoilé depuis six mois) avec 13 milliards de chiffre d’affaires, il a répondu que les revenus allaient « progresser très vite ».
Le problème, c’est que même multiplié par 100 d’ici cinq ans (ce qui tiendrait du miracle), cela ne suffira pas — d’où la tentation de shorter le titre si jamais il venait à être coté.
Et Sam Altman a fourni la réponse la plus pertinente compte tenu de l’état d’esprit actuel :
« Vous pourriez shorter autant que vous voulez, je vous trouverai toujours plus d’acheteurs… vous êtes voués à l’échec. »
Sam Altman, le bull, et Michael Burry, le bear, savent tous deux que les valorisations se sont complètement déconnectées de la réalité économique : une bulle dont le gonflement ressemble furieusement à celui de 1998-2000, avec une participation massive des particuliers. Mais cette fois, c’est effectivement différent.
En 2000, on pouvait parier à la baisse sur la frénésie boursière et attendre que la gravité — entreprises surendettées, faillites, promesses de profits bidon, levier en pagaille… — fasse son œuvre. Le système financier était encore intègre, les pertes avaient une réelle importance et une formation relativement libre des prix existait.
Mais aujourd’hui, l’ingénierie financière a intégré les mécanismes de dislocation des krachs de 2001-2003 et 2007-2009. Chaque fissure dans la tendance haussière est, depuis la crise du COVID, colmatée par un buy the dips ; chaque risque de correction est annulé par le système grâce à la surliquidité alimentée par les banques centrales, dont la plus grande hantise n’est plus de maîtriser l’inflation, mais de juguler tout début de correction boursière… qui mettrait en péril la fortune des plus riches.
La Fed a donc repris ses injections massives dans le marché interbancaire. Les cours, qui ne rebaissent plus jamais depuis la mi-avril (+50 % sur le Nasdaq, aucun retracement de plus de 3,5 %), entretiennent l’illusion d’une génération de profit… sans bénéfices générés par l’immense majorité des entreprises, lesquelles passent commande à une poignée d’acteurs qui réinvestissent une part impressionnante de leurs profits pour tenter de damer le pion à leurs concurrents. (Pour la rentabilité réelle, on verra plus tard : il faut continuer de faire rêver l’actionnaire.)
Michael Burry concède que l’on ne peut pas parier à la baisse sur une bulle que les banques centrales refusent de voir éclater : celui qui s’y risque affronte la planche à billets. Et dans ce cas, le meilleur moyen de le faire, c’est d’acheter de l’or, des métaux rares, des actifs tangibles et stratégiques.
La liquidité qui soutient les marchés est largement factice : l’encours des achats de titres à crédit dépasse le volume total des prêts à la consommation aux Etats-Unis (plus de 1 100 Mds$).
Depuis le début du shutdown, la Fed a doublé, quintuplé, décuplé ses injections d’argent frais au jour le jour. C’est révélateur d’un système financier au bord de la désintégration… mais les médias et les professionnels font comme si de rien n’était : « la Fed est là, et elle fait le job ».
Chaque signal susceptible de déclencher le krach est stérilisé par la politique monétaire : rachats d’obligations du Trésor, QE massif déguisé au quotidien (50 Mds$ le 31 octobre, pour maintenir Wall Street à flot).
Il n’y a plus de marché, seulement une parodie de marché : le casino est truqué depuis longtemps.
Mais sa version 2025 est un peu particulière et se résume ainsi :
« Venez miser… pas de perdants : avec l’I.A., tout le monde sort gagnant. »
C’est bien connu : la roulette, le blackjack, les machines à sous ne rapportent à coup sûr qu’aux actionnaires du casino… et aux élus du Congrès comme Nancy Pelosi. Pour les parieurs non initiés, venus en masse durant le COVID et qui ont remis des milliards en jeu depuis le gros creux de début avril, le miracle promis est bien au rendez-vous : ce sont tous d’heureux gagnants — mais des gagnants virtuels.
Tout le monde rejoue de façon compulsive, car chacun comprend que le casino se réserve le droit d’annuler la valeur des jetons à tout moment, au cas où certains impatients seraient tentés de passer à la caisse et de profiter de leur argent dans le monde réel.
Car les bénéfices — convertis en monnaie sonnante et trébuchante — qui serviraient en théorie à payer les joueurs n’existent pas encore. La direction du casino sait que ce ne sera jamais le cas, parce que les clients solvables — les consommateurs américains ou européens — sur lesquels tout le narratif repose… n’existent plus. Et ils existeront encore moins lorsque l’I.A. et les robots auront remplacé — gains de productivité oblige — des millions d’entre eux.
Seuls les 10 % les plus riches ont encore les moyens de dépenser (ils « pèsent » pour 49,5 % de la consommation totale aux Etats-Unis)… mais ce sont eux qui se retrouvent justement coincés dans le casino, à jouer et rejouer des mises qui ne leur seront pas payées.
La bulle de l’intelligence artificielle, c’est déjà un jeu de dupes XXL, qui ne se perpétue que grâce à des liquidités… tout aussi artificielles.
Et Michael Burry a compris que cette bulle est « voulue ». Personne ne peut savoir quand cette « volonté » sera, à son tour, mise en échec par le réel… Car la Fed sait que ce serait alors game over.
