▪ Il y a quelques mois, l’analyste James Grant, fin observateur des marchés financiers, a fait une comparaison entre « la sorcellerie d’un côté et les banques centrales modernes de l’autre ».
Grant a présenté cette comparaison inédite lors d’une conférence sur « Les décisions d’investissement et la finance comportementale » à la Harvard Kennedy School.
« Je ne vais pas définir les termes en détail », a commencé Grant. « Les sorcières, comme vous le savez, jettent des sorts, appellent la tempête et volent sur des balais pour se rendre à des rendez-vous nocturnes diaboliques. Les banques centrales modernes court-circuitent les mécanismes de prix, font apparaître de l’argent à partir de rien et cherchent à stimuler la croissance économique en faisant grimper les prix des actions ».
En d’autres termes, les deux activités sont en grande partie basées sur une sorte de mysticisme — qui commence avec la notion que combiner des ingrédients étranges dans un chaudron peut faire de la magie… et se termine avec la notion que de simples mortels peuvent se vanter de posséder des pouvoirs surnaturels.
L' »oeil de triton » de Ben Bernanke, c’est l’assouplissement quantitatif, ou quantitative easing (QE). Selon le folklore, Bernanke jette des sorts bénéfiques simplement en ajoutant la bonne quantité de QE dans le chaudron économique, au bon moment.
« On pourrait presque appeler cela de la sorcellerie », conclut Grant dans son discours.
Grant soulignait également un parallèle extrêmement frappant, et quelque peu alarmant, entre la sorcellerie et la banque centrale. Les deux superstitions ont émergé puis prospéré durant des périodes de relatif progrès. Les deux croyances ont été adoptées par des populations éduquées et éclairées.
Citant un essai intitulé « La folie de la sorcellerie au 16ème et 17ème siècle », de l’historien britannique H.R. Trevor-Roper, Grant a remarqué que « ‘la croyance dans les sorcières n’était pas’, écrit Trevor-Roper, ‘une antique superstition qui survivait en attendant de disparaître. C’était une nouvelle force explosive, qui s’est développé de manière régulière et terrible au fil temps’… »
« ‘La crédulité augmenta même en haut lieu ; ses moyens d’expression s’aggravèrent, on leur sacrifia plus de victimes. Les années 1550-1600 furent pires que les années 1500-1550, et les années 1600-1650 furent pires encore… Si ces deux siècles ont été un âge de lumières, nous devons aussi admettre que, sous un aspect en tout cas, le Moyen-Age était plus civilisé’. »
▪ Quand la Fed croit à sa propre magie
Après avoir réfléchi aux observations de Grant, un investisseur aurifère ne pouvait s’empêcher de penser au « Moyen-Age » de l’étalon-or, par contraste avec les « Lumières » de la banque centrale.
Durant le Moyen-Age monétaire, les devises adossées à l’or évoluaient seules, sans l’appui des enchantements tissés par les banques centrales.
Mais l’Age des Lumières monétaires a changé tout cela. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale a commencé à jeter ses sorts il y a 100 ans, et depuis, le dollar US est ensorcelé. Le billet vert a perdu 97% de son pouvoir d’achat depuis que la Réserve fédérale est née.
L’envoûtante magie de la Fed continue malgré tout. Ben Bernanke concocte ses bouillons de QE1 jusqu’au QE Infini, tandis que d’autres alchimistes de la Fed publient des manuscrits aussi édifiants que le récent Calculer les modèles d’équilibre stochastiques dynamiques avec les préférences récursives et la volatilité stochastique.
Etant donné leur impressionnant assortiment de charmes et de potions, il n’est pas étonnant que les magiciens de la Fed croient à leur propre science occulte ; la surprise, c’est que les investisseurs et le public y croient aussi… et restent sous le charme des sortilèges de la Fed.
Cette semaine encore, le président Bernanke a répété son incantation familière : « plus de QE… plus de QE… quoi qu’il arrive… plus de QE ».
Les marchés ont promptement rebondi. Les masses ont été impressionnées par son pouvoir.
« Dans l’environnement économique actuel, les avantages des rachats d’actifs et plus généralement d’une politique accommodante sont clairs, » a déclaré Bernanke mercredi à un comité du Sénat US, en faisant allusion aux 85 milliards de dollars de bons du Trésor et titres adossés aux créances hypothécaires que la Fed rachète par le biais de son programme d’assouplissement quantitatif.
« La politique monétaire fournit un soutien important à la reprise », a continué le président-magicien, « tout en maintenant l’inflation proche de l’objectif de 2% [fixé par la Fed] ».
Des mots enivrants, certes. Mais les sorts de Bernanke ne sont peut-être pas aussi puissants qu’il aimerait nous le faire croire. L' »important soutien à la reprise » fourni par le QE est littéralement invisible.
La soi-disant reprise des quatre dernières années a fourni le taux de croissance le plus lent — et de loin — de toutes les reprises depuis la Deuxième guerre mondiale, en dépit du fait que Bernanke a mis en place plus de 2 000 milliards de programmes d’assouplissement quantitatif sur cette période.
De nombreuses données remettent en question le « succès » de l’assouplissement quantitatif. Pour commencer, le PIB américain s’est contracté durant le dernier trimestre 2012. Par conséquent, le chômage reste obstinément élevé et les dépenses de consommation obstinément basses.
Néanmoins, très peu d’investisseurs semblent vouloir envisager à une baisse possible des marchés. Peut-être avec raison. Pourquoi s’inquiéter des conséquences des bulles quand le président Bernanke s’assure que nous en restions uniquement au stade de la bulle ?
En dépit des pouvoirs douteux de Bernanke sur l’économie, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il est doué pour faire apparaître un rebond boursier. Le Dow a grimpé de près de 250 points depuis son discours au Sénat US.
On pourrait presque appeler cela de la sorcellerie.