▪ Comme les marchés le prévoyaient, Mario Draghi n’a fait aucune révélation ni modifié le taux directeur de la BCE… Mais il ne s’est apparemment produit aucun phénomène de vente sur le fait accompli si l’on se fie aux scores de clôture.
Goldman Sachs s’est donc livré une fois encore à une opération d’intoxication et de tromperie des non-initiés. La banque d’affaires a divulgué auprès du grand public une note d’un de ses stratèges, dénommé Stuart Kaiser ; cette note invite les clients à liquider leurs actions (et à vendre le S&P 500 avec un objectif de 1 285 points) compte tenu du trop grand risque de voir les marchés déçus par les annonces de la BCE, lesquelles auraient l’objet d’attentes bien trop optimistes par rapport à leur efficacité potentielles.
Bon, ce n’est pas sorcier. Si Goldman Sachs laisse fuiter la moindre parcelle d’information, le moindre conseil d’investissement, c’est forcément un piège : dès que vous en prenez connaissance (ce qui n’arrive jamais quand il s’agit d’informations « sincères »), faites systématiquement le contraire, ou si cela paraît trop suspect, ne faites rien du tout.
La note de Stuart Kaiser appelle cependant un petit commentaire de notre part. Le recours à des rachats illimités de bons du Trésor d’une maturité comprise entre un et trois ans ne constitue-t-il pas le « remix » des LTRO du 20 décembre 2011 puis du 28 février dernier ?
Le but avoué était d’offrir aux banques des liquidités en quantité quasi illimitées (c’était les banques qui fixaient elles-mêmes les montants dont elles souhaitaient disposer) afin qu’elles achètent les yeux fermés des emprunts d’Etat de maturité comparable provenant de pays en difficulté. Tout cela afin de provoquer la décrue des taux longs après avoir entraîné une chute immédiate — tout autant que mécanique — des taux courts.
C’était une façon de refinancer l’Espagne et l’Italie sans apparaître en première ligne, mais — allez comprendre pourquoi — les banques n’ont pas joué le jeu. La BCE a vu revenir en moins de trois mois tout l’argent qu’elle avait prêté sous forme de liquidités ou d’instruments de court terme n’ayant rien à voir avec des bons du Trésor espagnols.
▪ Quoi que fasse la BCE, il est désormais trop tard
Décidément, on ne peut se fier à personne ; si on veut que les choses soient bien faites, il faut les faire soi-même. Et tomber le masque pour intervenir directement sur les marchés.
Sauf que c’est justement ce dont la Bundesbank et une bonne partie des peuples au nord de l’Europe ne veulent pas. Ils ont doublement raison : d’une part cela fait des contribuables allemands ou finlandais les cautions — sans limite d’engagement — des emprunteurs impécunieux… et d’autre part, même si cela aurait pu éviter les crises du printemps 2010 et de l’été 2011, c’est beaucoup trop tard.
Il fallait intervenir avant la noyade, ou juste après avoir entendu le « plouf »… mais pratiquer des soins de réanimation alors que la victime a passé des heures au fond de l’eau, c’est une perte de temps et de moyens. Au mieux, le miraculé de la BCE sera un légume.
▪ Les indices s’emballent
Goldman Sachs n’a donc pas tort sur le fond mais ceux qui l’ont écouté s’arrachent les cheveux : non seulement les indices n’ont pas corrigé jeudi mais ils gagnaient plus de 3,4%. Ils ont par ailleurs terminé au plus haut du jour dans le sillage des valeurs bancaires qui s’envolaient de 8% en moyenne.
Le scénario haussier n’est pourtant pas aussi franc du collier ni exempt d’interrogations que beaucoup d’opérateurs le pensent. Lorsque Mario Draghi a eu fini d’exposer, vers 14h45, tous les éléments de sa stratégie et de ses prévisions économiques, le CAC 40 ne gagnait plus que 0,7% contre 1,5% vers 14h25.
Plus troublant encore : vers 15h, alors que tout était connu et déjà abondamment commenté dans toutes les langues, les trois grandes banques inscrites sur le CAC 40 avaient reperdu tous leurs gains initiaux. Le Crédit Agricole se retrouvait même en légère baisse. 90 minutes plus tard, ce même Crédit Agricole affichait +9% et Société Générale +8%.
En fait, la hausse des indices s’est emballée (elle a rapidement doublé d’intensité) dès que Mario Draghi s’est levé de son siège et a quitté la salle de conférence. Les opérateurs se montraient prudents tant qu’il affrontait les questions des journalistes — le CAC 40 franchissait alors les 3 460 points pour filer tout droit vers 3 500 puis 3 510 points au fixing de clôture.
▪ Wall Street n’est pas en reste
Les bons chiffres américains publiés à 16h ont pour leur part donné un coup de fouet aux indices US : +2% au final… après cinq heures de stagnation complète sur les plus hauts du jour.
Wall Street renoue ainsi avec ses records annuels et ses meilleurs niveaux du mois de mai 2008 ou de décembre 2007 ; le Dow Jones teste pour la quatrième fois de l’année les 13 300 points.
L’indice ISM des services est ressorti en hausse à 53,7 alors que les anticipations tablaient plutôt sur 52,5. Les créations d’emploi dans le secteur privé se monteraient à 201 000 au mois d’août, selon le cabinet ADP, au lieu des 150 000 anticipés.
▪ Du côté de la BCE, pas de surprise…
Pour en revenir à la conférence de presse de la BCE, aucune surprise en définitive. Elle confirme en effet tout ce que les marchés anticipaient depuis 48 heures, c’est-à-dire des rachats (baptisés « OMT ») illimités d’emprunts d’Etat de un à trois ans dès qu’une demande d’aide formelle a été formulée, ainsi que la réduction des exigences en matière de qualité des collatéraux lorsque les banques souhaitent se procurer de nouvelles liquidités.
La Banque centrale annonce également renoncer à son statut de créancier privilégié. Peu après la clôture des marchés, la Bundesbank a publié un communiqué rageur où elle s’inquiète ouvertement de la « quasi monétarisation » des dettes et d’un « aléa moral » qui consiste à favoriser les « gestions laxistes » en leur assurant la garantie des pays vertueux.
Les marchés, complètement euphoriques, occultent complètement le volet « prévisions économique ». La BCE anticipe pourtant une récession comprise entre -0,6% et -0,2% en 2012 et une « croissance » comprise entre -0,4% et +1,4% en 2013. Tout cela tendrait à démontrer qu’elle anticipe peu d’impact des précédents LTRO puis des futurs OMT sur la croissance réelle.
Ces piètres prévisions n’émeuvent nullement les acheteurs : pas de croissance à l’horizon mais les indices boursiers flambent, seul compte la détente ponctuelle des taux d’intérêt. Si les rendements sont déjà parvenus à zéro sur les maturités de un à trois ans dans certains pays de l’Eurozone, les perspectives bénéficiaires des entreprises tendent également vers zéro !
2 commentaires
Cher Monsieur Bechade,
Que vos articles sont bien écrits, pour un amateur de roman policier. En manque de lecture dans un hall de gare, ou une salle d’embarquement je conseillerais sûrement vos petits feuillets à la lecture. L’évasion est assurée le temps du trajet trop routinier. Malheureusement, c’est un feuillet que l’on ne peut lire qu’une fois ! Pourquoi me direz-vous ? Eh bien parce que l’intrigue est connue dès la première ligne.
Monsieur Béchade, vous êtes un baissier fondamental. A reprendre certaines de vos oeuvres, on le comprend dès la première ligne. Et quelques soit l’environnement des marchés, vous comprenez rarement la hausse qui ne se font que sans volume, sous l’action des robots etc ….
Je reprends ci dessous certaines de vos expressions utilisées depuis de nombreux mois. Celle ci sont la marque de votre grosse plume épaisse, nous expliquent la hausse des marchés :
– Manipulation de cours savamment orchestrées,
– De la triche,
– Profits de la tromperie,
– Surréalisme,
– Tapis volant,
– Les robots contrôlent tout,
– Marché à sens unique,
– Hausse somnambulique,
– Gros brasseurs d’argent,
– Les robots algorithmiques maintiennent les indices en apesanteur,
– Des mains invisibles font monter les cours,
– Les places ne font que progresser dans le vide,
– L’action mécanique des robots algorithmiques,
– La montée du baobab haussier jusqu’au ciel,
Sachez quand même que ce ne sont pas les volumes qui font les cours, que les robots fonctionnent dans les deux sens. Et arrêtez de voir des manipulateurs partout.
Pour un néophyte il est amusant de se prendre au jeu de vos articles. Mais pour un habitué, ils sont très ennuyeux. L’intrigue y est cousue avec de la corde blanche, et le coupable y est démasqué dès la première ligne.
A suivrez vos conseils, je suis ruiné depuis que le CAC40 vaut moins de 3000 points. Alors maintenant que vous nous avez conseillé une nouvelle fois de tout revendre à 3500 points, que devons nous faire face aux robots algorithmiques qui semblent tout aussi puissants que votre analyse de la situation est légère.
Monsieur,
Je vous réponds sans déplaisir et sans aucune animosité, de surcroît votre prose est d’une lecture agréable, ce qui ne gâche rien croyez-moi.
Vous avez effectué un relevé presque exhaustif de mes argumentaires baissiers et je m’y reconnais parfaitement: mieux… pas une seule formule dont je regrette la maladresse ou le manque de pertinence.
Bref, j’assume totalement mes écrits et certaines tournures qui ont au moins réussi à vous faire sourire parfois.
Il y a cependant une de vos recommandations qu’il m’est impossible de suivre, c’est d’arrêter de « voir de la manipulation partout ».
Nos marché sont tellement manipulés depuis l’été 2009 qu’il en devient difficile de détecter des séances où les marché reflètent un semblant de psychologie humaine.
Quand des robots exécutent plus de 80% des ordres chaque jour, il est difficile d’espérer que les choses fonctionnent autrement.
Il faut donc faire avec… et après tout, je me moque un peu qu’une séquence haussière ou baissière soit gérée par des algorithmes, ce qui m’importe, c’est la cohérence du mouvement par rapport à l’actualité et le niveau de valorisation du marché.
C’est donc là que j’y trouve « matière à redire » car la seule « règle » qui fonctionne est la suivante: attendez qu’un consensus se dessine… et faites l’inverse.
Cela vous apparaîtra presque idiot, ne relever que de la tentation de faire un bon mot… mais cela recouvre une autre réalité peu reluisante: l’une des principale source de profits des opérations « pour compte propre » des banques et des hedge funds, c’est d’exploser (l’expression n’est pas de moi) les positions des investisseurs particuliers et des « non initiés » en général.
Cela consiste à laisser se développer un matelas de positions « short » ou « longues » (selon les circonstances, peu importe) puis de faire décaler les cours en sens inverse afin de déclencher les « stops » ou les barrières désactivantes, d’obliger les opérateurs qui jouent en levier à solder leurs positions (quelle qu’elles soient) face à un risque de perte totalement imprévu et à la limite incompréhensible, ce qui augmente encore le « trouble » et l’inconfort psychologique de ceux qui sont pris à contrepied.
Le problème, c’est qu’à force de « tondre » les opérateurs disposant de peu de couverture, cette catégorie a pratiquement disparu (heureusement que le marketing agressif de certaines plateformes de trading permet de recruter de nouveaux pigeons, de plus en plus rares d’après de nombreux témoignages).
Ceux qui se sont fait « déchirer » en Bourse tenteront de se refaire une fois… en vain.
Ensuite, on ne les y reprendra plus, et c’est pourquoi il n’y a plus personne en Bourse, sauf ceux qui peuvent « travailler » en sachant que le jeu est truqué, qu’on ne parle plus d’investissement mais seulement de « faire du fric »… en se posant en « suiveur systématique » et en étant capable de réagir presque au 100e de seconde.
Donc, n’imaginez pas que derrière l’humour se cache une vision naïve de ce qui se passe et répondez vous aussi à cette question: suis-je prêt à placer mes économies en Bourse sachant qu’au su des manipulations intenses dont font l’objet les indices — et vu qu’il n’y a plus de particuliers en Bourse –, un « flash krach » de type 6 mai 2010 peut survenir à tout instant, la hausse des dernières semaines étant totalement artificielle ?
Cordialement,
PhB