▪ "Les dieux étaient des dieux. Les hommes étaient des hommes", expliquait notre guide, Spiros.
"Les Grecs anciens pensaient qu’il y avait une différence. Les hommes devaient être conscients qu’ils n’étaient pas des dieux. Ils ne pouvaient pas faire les mêmes choses que les dieux. S’ils essayaient, ils provoquaient un désastre. Les dieux devenaient jaloux et les punissaient".
Qu’est-ce qui a changé ? Il y a toujours des choses que les humains peuvent faire… ou pas. Et lorsque l’être humain se hausse du col, les dieux le punissent encore.
En l’occurrence, le désastre que nous examinions n’avait rien à voir avec l’arrogance humaine. Il était géologique. Ayant construit leur cité sur la faille entre la plaque africaine et la plaque européenne, les anciens habitants des Cyclades étaient dans un lieu dangereux. Des feux d’artifice avaient lieu de millénaires en millénaires — et notamment en 1700 av. J.C. environ. La terre trembla… et un gigantesque volcan émergea des eaux près d’Akrotiri… avant d’entrer en éruption.
"Les gens avaient eu le temps de se préparer", continua Spiros. "Il n’y a pas d’os humains dans la ville. Personne n’a été tué par l’éruption. C’était un peuple de marins. Des pêcheurs. Ils sont probablement montés dans leurs bateaux pour aller en Crète, qu’on peut voir d’ici par beau temps. Ces gens n’étaient pas minoens, comme les Crétois. Mais ils faisaient du commerce et se connaissaient".
Notre bateau de croisière était entré dans le cratère tôt le matin. Des canots nous avaient amené à terre, où nous avions pris le bus pour nous rendre à Akotiri.
Nombre de personnes pensent que c’est là l’origine de l’Atlantide. Je ne sais pas |
"Je doute qu’ils soient arrivés jusqu’en Crète, cependant", a ajouté Spiros. "Parce qu’après l’explosion, la montagne s’est effondrée dans le lagon, créant le cratère géant que nous voyons aujourd’hui. Cela a déclenché un raz-de-marée qui a peut-être noyé les habitants d’Akrotiri. Lorsqu’il a atteint la Crète, il y a probablement effacé la civilisation minoenne. Nombre de personnes pensent que c’est là l’origine de l’Atlantide. Je ne sais pas".
L’île de Santorin a été habitée pendant des milliers d’années avant l’explosion du volcan. Ils avaient l’une des civilisations les plus avancées de l’époque — avec des systèmes de plomberie à domicile, des outils de bronze et des artistes professionnels pour décorer l’intérieur de leurs maisons. Ce n’était pas un peuple indo-européen, apparemment, et leur langage écrit n’a jamais été déchiffré.
Parcourir la mer Egée dans un luxueux navire de croisière n’est pas une manière désagréable de découvrir l’histoire ancienne. Mais nous ne sommes pas là simplement pour nous renseigner sur les Grecs et les Minoens. Si nous faisons partie de ce voyage, c’est parce que nous y avons été invité par notre collègue Merryn Somerset Webb, du magazine MoneyWeek à Londres. Nous avons rejoint la croisière à Catane, et nous resterons à bord jusqu’à Athènes, que nous atteindrons la semaine prochaine. Nous sommes censé examiner les désastres modernes, en plus des désastres antiques.
▪ Malheur à qui trafique l’intrafiquable !
"Les banques centrales n’ont jamais voulu aller jusqu’au taux zéro", a expliqué Merryn hier. "Ils ne sont pas idiots. Ils savaient que cela causerait des distorsions. Et ils savaient qu’ils pourraient se retrouver coincés".
Depuis l’époque d’Hammourabi et la construction des pyramides — c’est-à-dire depuis toujours — les taux n’ont jamais été si bas |
Merryn a montré à un groupe d’investisseurs un graphique remarquable. Partout ailleurs, il aurait été ridicule… Mais dans la mesure où nous visitons des ruines vieilles de 6 000 ans, il semblait parfaitement approprié.
"Il montre les taux d’intérêt sur les 5 000 dernières années. Comment ont-ils calculé les taux de prêt sur une si longue période, je n’en sais rien. Mais il nous dit que depuis l’époque d’Hammourabi et la construction des pyramides — c’est-à-dire depuis toujours — les taux n’ont jamais été si bas. Et lorsque vous réfléchissez à n’importe quelle décision financière… ou lorsque vous essayez d’analyser n’importe quel prix… vous devez vous rappeler que c’est dans le contexte des taux d’intérêt les plus bas de l’histoire du monde".
En général, des taux bas signifient une hausse des prix des actifs. Chaque actif financier rapporte un flux de revenus (du moins en théorie). La valeur de l’actif peut être envisagée comme la valeur présente de ce flux comparé à d’autres flux de revenus. Et dans un monde où on n’obtient quasiment rien d’un investissement "sans risque" — disons des liquidités investies dans des bons du Trésor US — un revenu d’investissement provenant d’une obligation d’entreprise ou d’une junk bond a une valeur quasiment infinie.
Mais malheur au bricoleur qui fixe le prix de l’argent trop bas… pendant trop longtemps… et tente ensuite de l’augmenter. C’est le pétrin dans lequel Mme Yellen se trouve actuellement. Elle est condamnée si elle augmente les taux — parce qu’elle effacera ainsi des milliers de milliards de dollars sur les cours des marchés d’actifs. Et elle est condamnée si elle ne les augmente pas — parce qu’elle empirera la situation en poussant encore plus d’argent dans des actifs dangereux.
Nous approuvons ; elle mérite d’être condamnée. Elle a tenté, en toute conscience, de faire ce que seuls les dieux peuvent accomplir : déterminer le prix correct de l’argent prêté.
Le bon taux d’intérêt — le taux naturel… le taux que les dieux fixeraient si on les laissait faire — pourrait être 2%. Ou 4%. Ou 1%. Ou 4,5%. Mais certainement pas zéro. Un taux d’intérêt zéro sous-entend que le capital — l’épargne — n’a aucune valeur. Et lorsque Janet Yellen (et Ben Bernanke) l’ont placé là… plus bas qu’il n’avait jamais été en 5 000 ans… les dieux ont dû rire, à coup sûr. Maintenant, ils veulent se venger.
Les êtres humains peuvent réussir à réparer des voitures. Ils peuvent trouver comment tricher au casino… et aux tests d’émissions diesel. Mais ils ne peuvent pas réussir à fixer les taux d’intérêt. Et ils ne peuvent pas vaincre les dieux.
Aujourd’hui, l’île de Santorin est à nouveau habitée. Des ânes portent des touristes sur les sentiers. Des maisons blanches ornent le bord du cratère comme du glaçage sur un gâteau. Mais la ville est si bondée de visiteurs saisonniers qu’il est difficile de circuler dans les rues étroites. Des foules en short suivent des guides tenant des panneaux pour guider leurs ouailles.
"Brad Pitt et Angelina Jolie ont une maison ici", a fièrement annoncé Spiros.