Le niveau des dettes continue d’augmenter, malgré les politiques supposément restrictives des banques centrales. Y aurait-il encore de l’argent pour tout et tout le monde ?
Je ne le dirai jamais assez face aux catastrophistes et autres Cassandre professionnels : le Système a des capacités d’adaptation exceptionnelles. C’est incontestable, il a touché ses bonnes vieilles limites. Mais il s’est ouvert de nouvelles perspectives en s’envoyant en l’air ! Il a reprogrammé son propre mode d’appréhension !
Et, certes, il dévale la pente qui le conduit à la destruction. Mais la pente est longue, beaucoup plus longue que tout ce que vous pouvez imaginer. Nous sommes non dans le temps des cycles que vous connaissez, mais dans le temps de l’Histoire avec un grand « H ».
Un cycle spécial nouveau s’est ouvert avec les découvertes de la modernité, puis de la post-modernité. Ces découvertes se résument à ceci : l’homme peut créer une fausse réalité qui s’impose aux autres.
La pesanteur vaincue
Les grands prêtres peuvent créer un autre monde dans lequel les règles anciennes, les bornes, les limites sont repoussées et repoussées. Les contradictions n’existent plus ; maintenant règne le « en même temps ». De même que l’homme a vaincu la pesanteur et fait voler les avions, il sait comment vaincre la pesanteur économique, financière et monétaire.
Bien sûr, la loi de la pesanteur ne disparaît pas. In fine, nous serons tous morts, mais on peut espérer…
Dans nos nouveaux systèmes, l’espoir et les promesses jouent un rôle central. Non seulement pour s’adapter, le système peut jouer sur les mutations réelles, mais il peut maintenant jouer sur les perceptions et l’imaginaire.
S’il en était resté uniquement au réel, il y a longtemps qu’il serait tombé. Mais, comme il a ajouté une corde à son arc, il peut explorer de nouveaux ajustements au niveau de l’imaginaire des agents économiques et des citoyens.
Les possibilités d’adaptation du système sont devenues colossales et ceux qui ne cessent de dire qu’il va se fracasser se trompent et ils vous trompent.
Il se pourrait bien que l’on ne soit qu’au début de l’exploration des nouveaux horizons ouverts par l’Imaginaire. Par exemple, la monnaie-jeton-crypto constitue l’ouverture d’un champ imaginaire présenté comme monétaire, mais qui est fondamentalement la négation… de la monnaie et de son essence. D’instrument anonyme de la liberté, elle devient ainsi chaîne de servitude et de contrôle !
Je résume : le système a maintenant deux niveaux d’adaptation ; le niveau du réel et celui de l’imaginaire social. Et cela a débuté quand on a nié le fondement de l’activité productive humaine – le travail – comme créateur de valeur et quand on l’a remplacé par le désir et la monnaie fétiche comme équivalent de tous les désirs.
Le miracle de la bulle
La valeur n’est plus une propriété des choses, objective, elle est dans la tête de celui qui la contemple ; elle est subjective, et tout ensuite a suivi… Cette propulsion de l’abstraction subjective a permis de tout envoyer en l’air.
Le concept de bulle qui flotte dans les airs, frivole et fragile, est central et ne se limite pas à son application à la finance ou la monnaie. Non, il a tout envahi. Parce que l’imaginaire détaché du réel et du symbolique est par essence envahissant car libéré de toute attache.
C’est le miracle ici si souvent décrit de la disjonction, le monde n’est plus le même depuis que les signes qui sont censés le représenter ont été disjoints de ce qu’ils sont censés représenter.
Le progrès, si l’on peut dire, est moins technologique dur, il est dans le mou, dans les découvertes des sciences sociales, dans les explorations de l’art, de la psychiatrie, de la psychanalyse, de la linguistique, de la déconstruction marxiste, de la communication, etc.
Je soutiens que nous sommes sortis des cycles traditionnels du business et de l’investissement ; nous sommes dans un cycle d’un autre type, très « mou », que l’on peut aussi appeler le cycle de la connerie humaine.
Records de dette
Lisez les deux extraits d’article ci-dessous en gardant à l’esprit que l’on nous dit que nous sommes dans une phase de resserrement monétaire, de hausse des taux, de raréfaction du crédit… mais que l’on bat des records de crédit !
Voici ce que nous dit Bloomberg :
« La dette des ménages américains a grimpé du plus haut montant en 20 ans au quatrième trimestre 2022, les jeunes emprunteurs en particulier ayant du mal à rembourser leurs prêts dans un contexte d’inflation et de taux d’intérêt élevés. Les ménages ont ajouté 394 Mds$ de dette globale, la plus forte augmentation nominale en 20 ans, portant le total à un record de 16 900 Mds$, selon la Fed de New York… »
Et le New York Times :
« Les Etats-Unis sont sur la bonne voie pour ajouter près de 19 000 Mds$ à leur dette nationale au cours de la prochaine décennie, soit 3 000 Mds$ de plus que prévu, en raison de la hausse des coûts d’intérêt, les paiements, les soins de santé des anciens combattants, les avantages des retraités et l’armée, a annoncé le Bureau du budget du Congrès […].
Les nouvelles prévisions […] anticipent un écart de 1 400 Mds$ cette année entre ce que le gouvernement dépense et ce qu’il retire des recettes fiscales. Au cours de la prochaine décennie, les déficits atteindront en moyenne 2 000 Mds$ par an, car les recettes fiscales ne parviennent pas à suivre le rythme de la hausse des coûts des prestations de sécurité sociale et d’assurance-maladie pour les baby-boomers à la retraite.
Pour donner un contexte à ces chiffres, le montant total de la dette détenue par le public sera égal à la production annuelle totale de l’économie américaine en 2024, passant à 118% de l’économie d’ici 2033. »
Perdues dans toutes les discussions fumeuses sur la politique monétaire soi-disant austéritaire pour casser la demande, l’emploi et l’inflation, les prévisions du marché, les perspectives économiques, et le crédit continuent de se développer de manière excessive.
Le cycle continue
En annualisant les données d’emprunt des ménages du quatrième trimestre 2022 de la Fed de New York, la dette liée aux cartes de crédit a augmenté à un rythme de 26% et la dette totale des ménages à un taux de 9,5% au cours du trimestre.
Les ménages américains empruntent davantage pour payer des biens plus chers, de la nourriture, des automobiles, des services, etc.
Le gouvernement dépensier emprunte davantage pour payer le coût croissant des dépenses, y compris le service de la dette.
Les entreprises empruntent davantage pour financer la hausse des coûts, ainsi que les booms des investissements directement et indirectement associés aux pressions inflationnistes du nouveau cycle, y compris la « démondialisation, les énergies renouvelables et le changement climatique ».
Il y a de l’argent – puisque cela s’appelle encore de « l’argent » – pour tout. Pour tout acheter, tout financer, le beurre, les canons, les achats d’actifs financiers…
La dynamique inflationniste du cycle précédent – où l’excès de crédit et de liquidité contournaient les canaux inflationnistes traditionnels pour favoriser le gonflement des bulles d’actifs – est en accélération, en plein momentum…
L’inflation du crédit et l’inflation monétaire renforcent désormais l’inflation des prix à la consommation et à la production des biens et des services.
Cette nouvelle dynamique de cycle, c’est la manifestation la plus claire du nouveau cycle de notre époque ; le cycle de la connerie.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]