▪ On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif !
Ce dicton, répété à l’envi depuis 2010, continue de passer bien au-dessus de la tête des "colombes" de la Fed. Elles persistent à stimuler le crédit par la surabondance d’argent gratuit.
Mais que pèse le "bon sens paysan" — qui traîne ses sabots keynésiens boueux — en regard des mécanismes ultra-subtils qui régissent l’univers prodigieux du "non-conventionnel" dans lequel baigne la politique monétaire de la Fed depuis octobre 2008 ?
Nous sommes passés en six ans des sentiers rebattus de la mécanique newtonienne (action/réaction) à l’univers paradoxal et probabiliste de la mécanique quantique.
Comme personne ne peut réellement aller voir de près ce qui se passe à l’échelle subatomique, personne ne risque d’apporter une contradiction formelle aux Diafoirus néo-monétaristes qui dictent leurs postulats en matière de stratégies expérimentales.
Si les expériences — répétées selon le même protocole, échec après échec — ne donnent pas les résultats escomptés dans notre univers si "primitif" de l’offre et de la demande, c’est que les banques centrales n’ont pas encore agi avec l’intensité voulue.
▪ Après le Japon et les Etats-Unis…
L’exemple le plus caricatural provient de M. Abe, au Japon. Il constate avec une lucidité rassurante que les injections monétaires ultra-massives ne fonctionnent pas… pour l’instant.
Le judoka japonais a pratiquement les deux épaules au sol, un poignet luxé et une entorse au genou |
Les consommateurs les plus âgés sont à l’agonie, le PIB plonge de -1,8%, la production industrielle ne décolle pas, les excédents commerciaux anticipés se transforment en déficits. Le judoka japonais a pratiquement les deux épaules au sol, un poignet luxé et une entorse au genou, avec un Teddy Riner qui lui écrase le bassin de ses 130 kilos… mais tout ceci n’est qu’une péripétie.
En tirant plus fort sur le kimono de son adversaire déflationniste d’une seule main ferme, M. Abe va imparablement renverser la situation à son avantage (par la fameuse prise dite du "levier monétaire").
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Aux Etats-Unis, la Fed adopte le même autisme face au monde newtonien qui refuse de prendre en compte les impulsions prétendument irrésistibles venus du monde quantique : plus les liquidités abondent, plus le taux de rotation monétaire (crédit, investissement, création de richesse) ralentit.
C’est simple, les courbes — les taux, le bilan de la Fed (gonflant de 900 milliards à 4 500 milliards de dollars) et la vélocité des liquidités dans l’économie réelle — évoluent de façon parfaitement symétrique et diamétralement opposée.
Les seules courbes qui évoluent en parallèle sont celles de la quantité de liquidités et de la valeur des actifs négociables, actions et obligations. Elles grimpent sans aucune corrélation avec la solvabilité présente ou future des emprunteurs d’une part, ni la richesse économique créée par les entreprises d’autre part.
▪ … La BCE passe à la manoeuvre
Mario Draghi en a conscience depuis longtemps mais il se voit contraint d’agir dans le sens que lui imposent les marchés, parce que tout changement de cap monétaire, même infime, fera dérailler le système et exploser les bulles d’actifs virtuels.
Super Mario s’est vu contraint de changer de registre le 4 septembre. Il a épuisé son stock de "paroles magiques"… et a donc chargé les munitions promises dans le bazooka.
Le premier tir du 17 septembre s’avère décevant : le missile — de type TLTRO — était censé avoir une portée de 130 milliards d’euros |
Le premier tir du 17 septembre s’avère décevant : le missile — de type TLTRO — était censé avoir une portée de 130 milliards d’euros. Au final, il n’a parcouru que 60% de la distance qu’il lui avait été assignée (à 82,6 milliards).
Les optimistes jugent que c’est bon signe : 40% des banques européennes ne se sont même pas manifestées auprès des guichets de la BCE parce qu’elles n’ont aucun besoin de consolider leur bilan.
Parmi les 255 banques qui ont présenté une requête, moins d’une poignée se sont vu allouer plus de deux milliards d’euros. Les stress tests de fin octobre vont donc "bien se passer".
En matière de fonds propres et de ratios de solvabilité, quand on connait la taille des encours de la Deutsche Bank sur les produits dérivés (54 000 milliards d’euros, soit très exactement 20 fois le PIB allemand), les 400 milliards offert par la BCE au titre de sa première phase d’injection sous forme de TLTRO apparaissent complètement dérisoires. Autant ne rien réclamer, ça entretient l’illusion de la solidité auprès des non-initiés !
▪ Une bulle en masque une autre…
De nombreux autres géants financiers, engagés au-delà du raisonnable dans des activités spéculatives, ont obéi au même réflexe, bien conscients qu’en cas de pépin, leur sort serait scellé. Aucun colmatage, même de plusieurs dizaines de milliards d’euros, ne saurait les sauver… mais qu’importe, le contribuable sera sommé le moment venu de leur lancer la grosse bouée pour les sauver du naufrage.
"La BCE a choisi une fois de plus de voler au secours des banques et de transférer le risque au contribuable" |
Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jens Weidman, le patron de la Bundesbank, ainsi que ses principaux conseillers, lesquels demeurent farouchement opposés aux rachats d’ABS. Le réquisitoire est imparable : "la BCE a choisi une fois de plus de voler au secours des banques et de transférer le risque au contribuable".
Quel aveu !
Cette déclaration-choc qui devrait achever de déniaiser l’épargnant européen a cependant été reléguée en page 16 des quotidiens économiques (rubrique "Ils ont dit") par le déferlement d’articles, d’analyses, de tribunes consacrées à l’introduction triomphale d’Alibaba à Wall Street le vendredi 19 septembre. Le titre n’a mis qu’un quart d’heure pour pulvériser la valorisation d’Amazon (200 milliards de dollars) et atteindre une capitalisation de 250 milliards de dollars — soit 20% de la "capi" du CAC 40 (difficile d’échapper au calembour "Alibaba et les 40 valeurs").
Ce n’est certainement pas un hasard si Richard Fisher, l’unique membre de la Fed à pourfendre les QE et les taux éternellement bas, s’est appliqué le matin même des "Quatre sorcières" à mettre en garde les investisseurs contre de nouveaux excès de valorisation.
Mais quel meilleur moyen de faire oublier une bulle boursière au bord de l’éclatement que d’en faire surgir une plus sidérante encore… qui plonge les marchés et les commentateurs dans une extase qui leur rappelle furieusement celle que leur procure depuis près de six ans l’opium monétaire.