** Les marchés américains viennent de tourner casaque lundi soir, entraînant dans leur sillage les places européennes qui n’avaient pas vu le coup venir.
Les investisseurs américains se comportent souvent comme des vacanciers de pays nordiques peu avertis qui, dès leur arrivée, exposent sans protection leurs fragiles épidermes blancs au soleil de plomb du sud de l’Andalousie.
Ils ne songent à chercher un peu d’ombre que lorsqu’un vendeur de chouchous, arpentant la plage, se met à leur mimer un homard ou leur montrer l’emballage vermillon d’une célèbre marque de cola afin de leur faire comprendre que la couleur leur dos s’apparente à celui d’une muleta.
Les coups de soleil — tout comme les bouffées d’euphorie boursière — ont ceci d’insidieux qu’ils procurent une agréable sensation de chaleur tandis que le cerveau a tendance à s’assoupir.
Lorsque l’investisseur se réveille, il ne réalise pas immédiatement la gravité de son état sauf s’il enfile à la volée un tee-shirt constellé de sable qui devient un puissant abrasif : instantanément, la sensation de brûlure est atroce, le corps se met à frissonner, la tête se met à tourner et la nausée ne tarde pas à prendre le relais.
Les marchés se sont laissé griser par la hausse du pétrole. Elle va enrichir ceux qui font désormais la pluie et le beau temps en bourse… c’est autant de dollars à recycler qui prennent habituellement la direction de Londres ou de Wall Street.
Mais ce genre d’aubaine — qui réjouit les spéculateurs habitués à surfer sur les flux de liquidités — entraîne de sérieux désagréments pour l’économie réelle et renforce les risques d’instabilité géopolitique dans le monde — peu propices à la sérénité des marchés.
** La façon dont, depuis une dizaine de jours, se construit la spirale haussière du pétrole présente peu de caractéristiques d’un mouvement spéculatif classique. Les épisodes correctifs sont pratiquement absents — dans un mouvement qui génère des excès irrationnels, les cours se montrent volatils dans les deux sens et la justification par un déséquilibre, même ponctuel, de l’offre et de la demande n’est pas avéré.
S’il existe un effet de rareté, c’est du côté des capacités de raffinage qu’il faut la rechercher, non au niveau de la matière première brute (sortie du puits).
Des spécialistes nous expliquent que la Chine serait très présente à l’achat depuis le tremblement de terre survenu il y a 10 jours : il ne faut oublier que le prix des carburants est administré (fixé par décret) et que chaque baril importé génère autant de déficit supplémentaire pour le budget de l’Etat que de dollars à rajouter pour l’acquérir.
Dans ces conditions, la Chine devrait se tourner temporairement vers le charbon et n’importer que le strict nécessaire pour alimenter le parc automobile afin de ne pas créer de déséquilibre supplémentaire sur le marché du « physique ».
Le gouvernement américain a par ailleurs annoncé le 15 mai dernier l’arrêt du renforcement des stocks stratégiques mais les cuves et les réservoirs naturels sont pleins à 97% — c’est sans précédent depuis le printemps 2003. Il n’y a donc pas d’autre choix, à moins de réquisitionner des pétroliers géants et de les ancrer au large du Texas, de la Caroline du Nord ou de la Californie.
Autrement dit, la question des raisons profondes de la flambée de l’or noir reste ouverte et ce n’est certainement pas l’aspect le moins angoissant de ce phénomène.
** La bourse de Paris (-0,54%) alignait mercredi une seconde séance consécutive de repli pour des causes strictement identiques à celles invoquées la veille, à savoir une poursuite de l’envol du baril sur fond de repli du dollar (-0,8% à 1,5770 euro).
Les valeurs industrielles ont été tout particulièrement éprouvées avec en tête de liste les valeurs liées aux activités aéronautiques (Air France/KLM a décroché de 3,5% et EADS de 3%) et au compartiment automobile avec des replis de 3,3% sur Renault, de 4,6% sur Peugeot et de 3% sur Michelin, a priori celui des trois titres précités qui a le plus à perdre dans la situation actuelle.
L’industrie représente 75% des exportations françaises ; en y ajoutant l’érosion du pouvoir d’achat des ménages, la menace pour notre croissance devient sérieuse mais les investisseurs ont fait l’impasse au cours de la première quinzaine de mai : il faut bien faire quelque chose des dividendes versés ces derniers jours — on ne peut pas tout placer en bons du Trésor !
Le CAC 40 a clôturé sous les 5 030 points — après avoir testé les 5 000 points vers 14h30 — ce qui compromet la tendance haussière issue des plancher de la mi-mars — le marché parisien a repris au bas mot un bon 16%.
Le DAX 30 a perdu 1,1% à 7 040 points après un test des 7 010 points à mi-séance ; il n’est pas loin non plus du retournement de tendance. Francfort n’a pas tiré grand profit du rebond de l’indice IFO à 103,5 au mois de mai (contre 102,4 en avril). Ainsi, au lendemain du mauvais score du baromètre ZEW, le climat économique apparaît contrasté en Allemagne et le risque de ralentissement rassemble un large consensus.
Le repli de 0,75% de l’Euro Stoxx 50 sous les 3 800 points (à 3 794 points) confirme l’instauration d’une phase de vulnérabilité des indices de la Zone euro.
Philippe Béchade,
Paris