Au-delà de la dédollarisation, un autre facteur de fragilisation pèse sur les actifs financiers américains : la montée d’une prime de risque politique durablement négative.
Comme nous l’avons vu dans notre précédent article, malgré la solidité historique du dollar, l’inévitable dédollarisation portée par les BRICS et l’internationalisation progressive du yuan pourraient amorcer une réallocation durable des capitaux au détriment des actifs américains. Ce mouvement serait le prélude à une crise financière, aggravée par une prime de risque politique croissante.
Cette prime de risque va s’installer sous l’effet de deux évolutions majeures, toutes deux très négatives, dans un contexte d’environnement économique dégradé et de risques d’affaiblissement structurel de l’économie américaine.
Première évolution négative : l’économie du commandement et du contrôle
Sous l’impulsion de Donald Trump, les Etats-Unis s’orientent vers un modèle où les autorités politiques s’immiscent, directement ou indirectement, de plus en plus fréquemment dans la vie économique, usant comme leitmotiv du chantage et de la menace. Bref, une logique que l’on retrouve dans les pays les moins libéraux.
Ce qui est vrai à l’intérieur de l’espace économique américain l’est encore davantage à l’échelle mondiale, comme nous l’avons vu – et le verrons encore – avec la guerre commerciale.
Pas un jour ne passe sans qu’on puisse citer un exemple d’intervention politique dans l’économie, un éloignement croissant de l’économie du « gagnant-gagnant » chère à Bill Bonner. L’un des cas les plus emblématiques demeure les assauts répétés, aussi indécents qu’absurdes, de Trump contre la Fed et son président. La perte d’indépendance de la banque centrale constitue un risque majeur d’autant plus inquiétant que les marchés semblent l’ignorer ou le sous-estimer.
Une Fed sous influence politique signifie certes des baisses violentes des taux courts sous pression de l’exécutif. Mais le revers de la médaille est redoutable : une pentification accrue de la courbe des taux liée à la remise en cause de la crédibilité anti-inflationniste. Cela se traduirait par des ventes de Treasuries de long terme par les investisseurs étrangers (et donc par une hausse des taux longs), autrement dit une fuite devant le dollar et une accélération de sa chute.
Pour un pays aussi endetté que les Etats-Unis, cette pentification aurait une conséquence immédiate : le financement croissant de la dette sur la partie courte de la courbe des taux, car moins coûteux, avec un rôle grandissant de la Fed dans la détention de cette dette à court terme rejetée par les investisseurs non-résidents. A l’inverse, le financement obligataire de long terme deviendrait marginal, car trop onéreux. Le danger, c’est qu’une Fed inféodée au pouvoir politique se retrouverait dans l’incapacité de remonter un jour ses Fed Funds en cas de surchauffe inflationniste. La charge d’un endettement indexé de plus en plus massivement sur les taux courts deviendrait insoutenable au moindre resserrement monétaire. La comparaison est certes osée, puisque l’on parle ici du Trésor public de la première puissance mondiale, mais cette mécanique rappellerait le risque de gap de liquidité d’une banque mal gérée : refinancer à très court terme des actifs de long terme, au prix d’un mur de dettes permanent.
Seconde évolution négative : la déliquescence de la gouvernance
La prime de risque politique ne se résume pas à la perte de crédibilité d’institutions ; elle traduit aussi la dégradation de la gouvernance. On observe au sein de l’exécutif des pratiques systématiques propres aux régimes autoritaires, qui n’apparaissent dans les démocraties qu’à titre exceptionnel : triomphe de la courtisanerie sur la compétence, nomination de responsables ressemblant à des apparatchiks de parti unique, dont la principale qualité reste la soumission au chef suprême.
Un exemple récent illustre ce glissement : le renvoi, début août, de la directrice du Bureau of Labor Statistics (BLS), l’agence chargée de collecter et de publier les données économiques. Le motif ? Donald Trump n’a pas apprécié les révisions apportées aux statistiques de l’emploi (non farm payrolls) de mai et juin, qui montraient 258 000 créations de postes de moins qu’initialement rapporté. Comme si une révision statistique relevait d’un acte politique.
Un tel climat est extrêmement dangereux : si la crédibilité des statistiques est compromise, l’aide à la décision économique et financière devient encore plus incertaine. Et si la politisation des chiffres venait à se généraliser, les Etats-Unis rejoindraient les pratiques qui ont marqué les pays du bloc soviétique durant la seconde moitié du XXᵉ siècle.
- Les entreprises auraient davantage de mal à prendre des décisions rationnelles en matière d’embauche ou d’investissement.
- L’allocation des ressources deviendrait de moins en moins optimale.
- Les valorisations d’actifs seraient faussées, les investisseurs anticipant un « embellissement » systématique, mais trompeur, des statistiques officielles.
- Quant aux indices d’inflation américains, qui servent de référence à l’indexation des obligations indexées, leur manipulation éventuelle (par exemple une sous-estimation délibérée) fausserait les besoins de couverture et les choix d’investissement des grands acteurs institutionnels.
Nous verrons dans notre prochain article que la combinaison de dédollarisation, de déficits jumeaux et de stagflation pourrait déclencher une crise systémique inédite, frappant directement les bons du Trésor américains et menaçant l’ensemble de l’architecture financière mondiale.
2 commentaires
En France, un Etat autoritaire devient inévitable pour « changer de cap », non pas réformer, mais révolutionner. Toutes les institutions, groupement, collectivités sont infiltrées et donc opposées à tout changement radical. Cela semble le cas aux Etats Unis selon les informations parvenant par des médias « alternatifs ». Si ce changement de cap est impératif, un régime autoritaire s’impose et donc le politique l’emporte sur l’économie. Donc la question c’est : faut il « changer de cap » ? Vos publications disent : « nous » allons dans le mur !!!
Les stats us sont truquées depuis des décennies. Il n’y a rien de nouveau.