Championne de la French Tech, Mistral AI séduit les investisseurs et les politiques. Pourtant, sa croissance fulgurante repose sur des bases incertaines : dépendance technologique aux Etats-Unis, modèle non rentable et environnement réglementaire hostile.
Le gouvernement se félicite du succès de Mistral AI, fleuron de la French Tech, avec plus d’un milliard d’euros levés depuis sa création.
Les responsables politiques espèrent voir émerger un rival européen aux géants américains comme Amazon, Google ou Microsoft. En effet, de nombreuses entreprises européennes s’appuient encore sur les services de ces groupes pour l’hébergement de sites, le traitement de données ou d’autres activités numériques.
Pour Arthur Mensch, cofondateur de Mistral AI, la France doit impérativement disposer d’alternatives aux géants du cloud outre-Atlantique. Ces plateformes exercent, selon lui, un pouvoir excessif sur les entreprises européennes.
Il déclarait ainsi sur Radio France :
« Malheureusement, en Europe, beaucoup d’entreprises utilisent encore des services dont elles ne détiennent pas les clés, car ce sont des fournisseurs américains. »
Dans ce contexte, il annonce des investissements dans des infrastructures de serveurs… en partenariat avec un acteur majeur de la tech américaine !
Mistral AI s’associe en effet à Nvidia, le groupe américain spécialiste des semi-conducteurs et logiciels pour le traitement de données massives. Le président français lui-même s’est exprimé à Vivatech, conférence dédiée aux innovations technologiques, pour saluer ce partenariat.
Mistral AI, symbole du retard européen en matière de scale-up
Grâce à cet accord avec Nvidia, qui permet un accès privilégié à ses équipements et à ses logiciels, Mistral AI prévoit d’augmenter ses effectifs de 250 à 400 salariés d’ici fin 2025. Un centre de données de 1 000 m² est en construction en Essonne, à 30 km de Paris.
« Nous construisons aujourd’hui, je pense, le cluster le plus performant de France », affirme le cofondateur. D’autres centres devraient suivre, en France et en Europe.
L’entreprise bénéficie de financements privés mais aussi publics, via notamment la Banque publique d’investissement (BPI).
Comme nombre de start-ups, Mistral AI nécessite d’importants capitaux avant d’atteindre la rentabilité.
Jusqu’au virage de 2022, avec le boom des algorithmes génératifs, Nvidia elle-même ne réalisait que des bénéfices modestes – bien en deçà du milliard de dollars annuel – malgré des investissements de plusieurs dizaines de milliards.
Aux Etats-Unis, les entreprises, même non rentables, accèdent plus facilement au financement. Selon Ernst & Young, au premier trimestre 2025, 85 % des entreprises introduites en Bourse en Europe étaient rentables. Aux Etats-Unis, seulement 59 %. Et au premier trimestre 2024, ce chiffre tombait à 29 % : 71 % des IPO concernaient alors des entreprises déficitaires.
En France, à l’inverse, plusieurs fonds de capital-risque réduisent la voilure.
En 2024, le fonds britannique Permira (80 milliards d’euros sous gestion) s’est retiré du marché français. Quant au fonds suédois EQT, il a récemment licencié le responsable de son bureau infrastructures à Paris, en raison de défaillances dans deux de ses participations.
Une croissance des effectifs à haut risque
La faiblesse globale des marges rend les investisseurs, notamment en capital-risque, plus prudents vis-à-vis des start-ups du continent.
Ce manque de rentabilité s’explique en partie par une accumulation de contraintes réglementaires, fiscales et sociales – en particulier en matière d’embauche et de licenciement.
Malgré cela, Mistral AI poursuit ses recrutements à un rythme soutenu. L’entreprise prévoit un quasi-doublement de ses effectifs en un an. Mais en cas de ralentissement ou d’imprévu, cette hausse rapide des charges pourrait poser problème.
En France comme ailleurs dans l’UE, les règles protectrices sur l’emploi rendent les licenciements coûteux et complexes. Les banques, par exemple, maintiennent des effectifs élevés malgré la fermeture de nombreuses agences, faute de pouvoir adapter rapidement leur masse salariale.
Ces rigidités pèsent sur la rentabilité et augmentent le risque de faillite en cas de retournement.
Une réponse politique fondée sur l’endettement et le contrôle de l’épargne
Plutôt que d’alléger les contraintes qui pèsent sur les entreprises, la réponse politique consiste souvent à renforcer l’intervention publique.
Subventions, aides ciblées ou protection sectorielle sont plébiscitées par nombre d’économistes médiatiques.
C’est dans cette logique que s’inscrit le projet d’Union des marchés de capitaux, soutenu par un consortium de 150 entreprises tech – parmi lesquelles Orange, Mistral AI, ou encore Station F (l’incubateur de Xavier Niel, fondateur de Free). L’objectif : mobiliser l’épargne des particuliers pour financer les entreprises européennes.
Certains économistes issus de grandes écoles vont plus loin et prônent un recours accru à la dette publique.
Dans The Conversation, un professeur d’économie de l’Inseec défend cette approche, en invoquant des précédents historiques comme les Trente Glorieuses ou la Belle Epoque. Selon lui, les dépenses de l’après-guerre ont permis la reconstruction, la modernisation de l’économie et le développement de l’Etat-providence tout en réduisant les inégalités.
Mais en réalité, le problème de l’investissement en Europe ne réside pas dans un manque de subventions ou de financements publics, mais dans le faible rendement des capitaux engagés.
Les autorités, loin de supprimer les obstacles, continuent d’alourdir les réglementations, d’augmenter les taxes et de multiplier les quotas. Face à l’érosion de la rentabilité, elles préfèrent recourir à la dette, à la création monétaire, ou à des mesures de contrôle de l’épargne – comme l’Union des marchés de capitaux.
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1 commentaire
Pas facile de figurer à l’arrivée d’une course lorsque l’on part avec 1/2 siècle de retard. Les USA vont tendre des filets de protection comme ils l’ont fait par ex contre les avionistes d’Europe avec certain succès .