Lorsque l’Etat américain se sent menacé, il suspend les droits, ferme les journaux, et envoie ses troupes… Hier, les cibles étaient les partisans du Sud. Aujourd’hui, ce sont les migrants.
« Oh ! Regardez dans la clarté du matin
Le drapeau par vos chants célèbre dans la gloire
Dont les étoiles brillent dans un ciel d’azur
Flottant sur nos remparts annonçant la victoire.
L’éclair brillant des bombes éclatant dans les airs
Nous prouva dans la nuit cet étendard si cher !
Que notre bannière étoilée flotte encore,
Emblème de la liberté, de la liberté. »
Il est peu probable que Francis Key Howard ait goûté la poésie patriotique de ces vers. Depuis sa cellule à Fort McHenry, il apercevait à l’aube cette fameuse bannière étoilée. Mais pour le petit-fils de Francis Scott Key, cette image avait sans doute un goût amer.
De la même manière que l’Angleterre a dû d’abord soumettre le Pays de Galles et l’Ecosse avant de se tourner vers l’Inde, les Etats-Unis ont dû soumettre leurs propres Etats du Sud avant de songer à l’Irak. Dans les deux cas, la route vers l’empire passait par une guerre intérieure. Et Howard n’était qu’un obstacle à écarter.
Nous avons vu la semaine dernière qu’il existe des choses pires que de perdre de l’argent. L’instauration de la loi martiale en fait sans doute partie. Le rédacteur en chef du Baltimore Exchange, Francis Key Howard, a été emprisonné par ce qui ressemblait à une armée d’occupation. Abraham Lincoln n’appréciait guère son point de vue.
Howard croyait que la Constitution américaine lui garantissait le droit d’exprimer librement ses opinions – même celles qui sympathisaient avec le Sud. Il pensait aussi qu’un peuple libre devait pouvoir choisir ses propres dirigeants. Et surtout, il croyait avoir le droit de se défendre devant un tribunal. « Et l’habeas corpus, alors ? », devait-il marmonner derrière les barreaux.
Le juge en chef Roger Taney, lui aussi originaire du Maryland, n’avait-il pas été parfaitement clair ?
« Le privilège de l’habeas corpus ne peut être suspendu que par une loi du Congrès… En vertu de la Constitution et des lois des Etats-Unis, [le président] ne peut suspendre ce droit, ni autoriser un officier militaire à le faire. »
Et pourtant, c’est exactement ce qu’a fait Abraham Lincoln. Et lorsque les tribunaux ont jugé qu’il n’en avait pas le pouvoir, il les a tout simplement ignorés.
La guerre « civile » a commencé dans les rues de notre ville natale, Baltimore, dans le Maryland. Richard Sprigg Steuart en a laissé ce témoignage :
« Je me trouvais à Baltimore dans la nuit du 19 avril 1861, et j’ai été témoin de l’explosion de colère de la population. De manière générale, quand les troupes du Massachusetts traversaient la ville, il m’a semblé évident que 75 % des habitants étaient favorables à leur expulsion. Instinctivement, les gens les voyaient comme des intrus, voire comme des envahisseurs venus du Nord, et non comme des défenseurs de Baltimore. Il reste aujourd’hui impossible de dire avec certitude qui a lancé la première pierre, mais le sentiment de résistance était contagieux et puissant. »
Les citoyens de Baltimore ont lancé des pierres. Les soldats ont tiré. Le sang a coulé. La guerre a commencé.
Un mois plus tard, un général de l’Union est entré dans la ville et a proclamé la loi martiale. En septembre, les « forces de maintien de la paix » avaient déjà fermé neuf journaux et emprisonné de nombreux citoyens influents du Maryland : des rédacteurs en chef, des éditeurs, un membre du Congrès, le maire George Brown, tout le conseil municipal de Baltimore, l’ensemble des commissaires de police de l’Etat, ainsi qu’un tiers de l’assemblée du Maryland.
Et aujourd’hui, ce sont les habitants de Los Angeles qui lancent les pierres.
Le président a mobilisé la garde nationale pour appuyer son programme d’expulsion. Le secrétaire à la Défense a déployé les Marines. Toute personne qui se trouve sur leur chemin peut être arrêtée.
Lorsque les Etats-Unis ont envahi l’Irak, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, il ne s’agissait que d’une question de temps avant que ces méthodes ne soient tournées contre les « terroristes » de l’intérieur.
Puis, dans son discours de 2022 intitulé Battle for the Soul of the Nation, Joe Biden – encadré par des soldats armés, baigné d’une lumière rouge sang – a invité ses auditeurs à considérer les partisans de MAGA comme des ennemis du pays :
« Donald Trump et les Républicains MAGA représentent un extrémisme qui menace les fondements mêmes de notre république. »
La chaussure a simplement changé de pied. Mais elle continue d’avancer dans la même direction.
Le juge en chef de la Cour suprême, Roger B. Taney, reste largement accusé d’avoir contribué au déclenchement de la guerre « civile ». Dans le cadre de l’affaire Dred Scott, il avait déclaré ceci : « Les personnes d’origine africaine ne sont pas incluses, et n’étaient pas censées être incluses, dans le mot ‘citoyens’ tel qu’il figure dans la Constitution, et ne peuvent donc revendiquer aucun des droits et privilèges que cet instrument prévoit et garantit aux citoyens des Etats-Unis. »
Cette décision était à la fois profondément provocatrice… et loin d’être conforme à la réalité. Des Noirs libres avaient bel et bien été inscrits sur les listes électorales dans plusieurs Etats, et avaient même participé aux scrutins. Mais peu importe. C’était la position de la majorité à l’époque – et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles la statue sombre et imposante de Taney a récemment disparu du parc qui se trouvait juste en face de notre maison à Baltimore.
L’ordonnance d’habeas corpus oblige le gouvernement à présenter des preuves concrètes d’un crime avant de pouvoir priver quelqu’un de sa liberté ou de ses biens. Kristi Noem l’ignore peut-être, mais ce principe est aussi ancien que fondamental dans un Etat de droit.
Et qui ne bénéficie plus aujourd’hui de ce droit ? Voici ce qu’en dit le Wall Street Journal :
« Les ordres de la Maison-Blanche qui ont déclenché la répression des migrants à Los Angeles
Fin mai, Stephen Miller – proche conseiller de la Maison-Blanche et principal architecte de la politique migratoire du président – a pris la parole lors d’une réunion au siège de l’ICE (l’agence chargée de l’application des lois sur l’immigration). Le message était limpide : le président, qui a promis l’expulsion de millions d’immigrants en situation irrégulière, jugeait les efforts de l’agence insuffisants. Il était temps de passer à la vitesse supérieure.
Les agents n’avaient même plus besoin d’élaborer des listes ciblées, une pratique pourtant habituelle. Miller leur a plutôt suggéré de se rendre directement chez Home Depot, là où les travailleurs journaliers attendent d’être embauchés, ou devant les supérettes 7-Eleven. Il a même parié que, lui-même, avec quelques agents seulement, pourrait sortir dans les rues de Washington et interpeller une trentaine de personnes sur-le-champ. »
Et c’est ainsi que les agents de l’ICE se sont mis en route, dans tout le pays. Masqués, armés et sans mandat. L’habeas corpus ? Ecarté. Ils ont procédé à des milliers d’arrestations. Qu’ont fait ces immigrés ? Personne ne le sait. Aucune charge n’a été formulée. Aucun juge n’a été saisi. Aucune preuve n’a été examinée.
« Un vol par jour, a déclaré Tom Homan, le ‘tsar des frontières’ (ou quel que soit son titre officiel). On ne s’arrêtera pas. Je me fiche de ce que pensent les juges. »
Et lorsqu’on a demandé à Donald Trump si Tom Homan devrait arrêter Gavin Newsom, le gouverneur de Californie, il a répondu ceci :
« Je le ferais si j’étais Tom… Gavin aime la publicité, mais je pense que ce serait une bonne chose. »