Un nombre croissant de législateurs à Bruxelles hésitent à adopter des règles environnementales ambitieuses en raison de l’opposition des agriculteurs et des citoyens.
L’Union européenne est réputée pour son approche peu pressée de l’élaboration des politiques. La roue de Bruxelles tourne lentement, les institutions marchandant chaque virgule dans un processus fastidieux appelé « trilogue ».
Il est donc d’autant plus surprenant que le Parlement européen ait voté, la semaine dernière, en faveur d’une réforme de déréglementation de la politique agricole commune (PAC), le régime de subventions agricoles de l’UE, qui avait été élaborée par la Commission européenne en seulement huit semaines.
Le Parlement européen doit être réélu dans un mois et demi et, traditionnellement, les parlementaires des 27 Etats membres adoptent rarement des textes législatifs importants si près de la fin de leur mandat. Les députés sont généralement très occupés à faire campagne pour conserver leur siège, mais cette fois-ci, le vote fait partie intégrante de leurs messages de campagne.
La PAC est renouvelée tous les quatre ans et, en plus d’un système de soutien financier aux agriculteurs et à leurs entreprises, elle intègre une politique de pilotage, ou « conditionnalité ». Cette conditionnalité dicte les règles environnementales que les agriculteurs doivent respecter pour avoir droit aux paiements directs. Elle exige notamment que les agriculteurs réduisent le travail du sol pour prévenir l’érosion, qu’ils réservent au moins 4% de leurs terres agricoles à la biodiversité ou qu’ils cultivent des couverts végétaux.
Le commissaire européen à l’agriculture, Janusz Wojciechowski, a déclaré aux médias polonais que Bruxelles supprimait les liens entre le Green Deal, le plan de l’UE pour devenir neutre en carbone d’ici 2050, et la PAC. La semaine dernière, les parlementaires européens réunis à Strasbourg ont approuvé à une écrasante majorité les modifications apportées à la PAC, ce qui constitue sans doute un pas important vers la déréglementation – ou la « simplification », comme la Commission européenne l’a diplomatiquement qualifiée.
Cette situation est révélatrice d’une tendance préélectorale en Europe. Alors qu’en 2019, un selfie avec Greta Thunberg aurait été un matériel de campagne très apprécié, un nombre croissant de législateurs à Bruxelles hésitent à adopter des règles environnementales ambitieuses en raison de l’opposition des agriculteurs et des citoyens.
Cette tendance s’est également répandue au sein de la Commission.
La présidente Ursula von der Leyen, qui a défendu en 2020 les vertus du « Green Deal » européen et sa promesse de réformer le système agricole et de donner un coup de pouce à la biodiversité, a rencontré hier de grands industriels pour dessiner l’avenir de la politique industrielle européenne. Le mot « durabilité » a été relégué au second plan, au profit de « compétitivité » et d’« autonomie industrielle ».
Le ministre finlandais de l’Agriculture, Sari Essayah, déplore un « tsunami de nouvelles réglementations » sur le secteur agricole et forestier au cours des quatre dernières années, s’alignant sur le Premier ministre belge Alexander De Croo, qui estime que la loi européenne sur la restauration de la nature est « mal rédigée ». Le ministre autrichien de l’Agriculture, Norbert Totschnig, appelle même à une suspension immédiate, déclarant que les objectifs de lutte contre la déforestation au niveau mondial ajouteraient des « règles bureaucratiques inutiles » aux producteurs européens.
Les ministres et le Parlement européen avaient déjà rejeté une législation qui aurait réduit l’utilisation des pesticides synthétiques dans l’agriculture, après qu’il est apparu que les objectifs n’étaient pas fondés sur des preuves, mais motivés par des considérations politiques.
Quatre ans après le début de la grande expérience du Green Deal européen – nommé d’après les ambitions d’un Green New Deal aux Etats-Unis – l’UE n’applique pas les règles qui ont été conçues pour atteindre ses objectifs climatiques ambitieux. Certaines sont même carrément abrogées.
Bruxelles brise les tabous, même dans le domaine de la biotechnologie. Après des années d’application du principe de précaution à une technologie déjà utilisée aux Etats-Unis, la Commission européenne et le Parlement européen accélèrent les projets visant à légaliser les plantes génétiquement modifiées dans l’Union. De plus en plus, l’accent n’est pas mis sur les perspectives durables de la biotechnologie, mais plutôt sur la façon dont elle améliorera les rendements et les revenus des agriculteurs.
Dans les couloirs de Bruxelles, les ambitions politiques du mouvement écologiste de 2019 se sont révélées être une force inarrêtable lorsqu’elles sont confrontées à l’objet inamovible qu’est le pouvoir d’achat des consommateurs et le mécontentement des producteurs.
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