Immobilier, actions, obligations, bitcoin… toutes les bulles se valent-elles ?
Si, comme nous l’avons vu dans nos précédents articles, il est nécessaire de comprendre ce qu’est une bulle d’actifs financiers et de savoir les identifier, il ne faut pas oublier de faire la distinction entre les bulles souhaitables et nécessaires et les bulles inutiles et dangereuses.
Il est unanimement admis que les bulles sont dangereuses car déstabilisantes pour le système économique. Une déconnexion significative de la valeur d’un actif financier par rapport à ses fondamentaux économiques se paie cher un jour ou l’autre (en destruction de valeur et malheureusement d’emplois).
Mais, les choses sont souvent moins triviales, et aux côtés des bulles dangereuses existent des bulles tolérables. Tout dépend de la situation du taux de croissance de l’économie d’un pays et du type d’actif sur lequel porte cette bulle.
Rappelons notre cartographie des actifs :
- actifs financiers productifs (actions et obligations privées) ;
- actifs financiers improductifs (essentiellement obligations publiques) ;
- actifs réels improductifs, type immobilier.
1/ Si la bulle porte sur des actifs non productifs (type immobilier) dans des pays en situation d’excès de capital productif, comme cela est le cas de nombreux émergents, alors il n’y a pas de danger imminent (on assiste simplement à un rééquilibrage des excédents d’épargne), et en ce sens, les craintes sur les conséquences d’une bulle immobilière dans certains grands pays émergents sont souvent exagérées.
2/ Si à l’opposé, la bulle porte sur des actifs dits productifs dans des pays en situation de déficit de capital, alors là aussi, il n’y a pas de danger imminent puisque la valeur des entreprises s’accroît et donc leur capacité d’investir.
3/ Les bulles dangereuses sont donc celles qui consistent à investir dans des actifs non productifs dans des pays en situation de déficit de capital, alors que le taux de croissance est faible et qu’il y a insuffisance de capital productif dans l’économie : cf. le Japon du début des années 1990 avec l’immobilier, les Etats-Unis et certains pays européens (Espagne, Irlande…) avec différentes formes d’immobilier subprime entre 2005 et 2007.
4/ Naturellement, une bulle portant sur des actifs productifs dans des pays déjà en situation d’excès de capital productif est inutile, donc dangereuse.
Il y a deux types de bulles qui sont difficiles à analyser : les bulles sur des actifs publics (que l’on va considérer comme improductifs, sauf à pouvoir dire que des émissions d’obligations d’Etat serviraient à financer exclusivement des dépenses publiques d’investissement, de nature à accroître la croissance potentielle du pays émetteur – ce qui est très discutable) et les bulles sur des actifs sans flux de revenus (type bitcoin).
A noter qu’une bulle obligataire est plus solide et plus durable qu’une bulle actions ou une bulle immobilière, puisque les banques centrales peuvent entretenir la bulle obligataire en achetant des obligations, alors qu’en principe (et sauf exceptions rencontrées chez la BNS en Suisse ou la BOJ au Japon), elles n’ont pas vocation à acheter des actions ou de l’immobilier.
En tout cas, l’éclatement de la bulle obligataire serait une catastrophe sans commune mesure avec l’éclatement d’une bulle actions ou d’une bulle immobilière dans le passé, pour des raisons évidentes : la bulle est de taille colossale, compte tenu de la liquidité démesurée créée par les banques centrales.
S’agissant d’un actif de type bitcoin, nous sommes dans un autre cas particulier, puisque la question de la bulle n’a pas grand sens.
On sait valoriser une action d’entreprise en évaluant des bénéfices futurs et en débattant avec des arguments et une part de subjectivité sur la surévaluation ou la sous-évaluation de l’action.
De même, on sait valoriser une obligation d’un émetteur en analysant par des techniques éprouvées la solvabilité de l’émetteur. On sait aussi valoriser des actifs financiers hybrides tels que des obligations convertibles puisque l’on sait valoriser les actions, les obligations et les options de conversion d’une obligation en action.
On sait encore valoriser des produits dérivés de type optionnel sur n’importe quel sous-jacent, avec des hypothèses de comportement statistique de ce sous-jacent (actions, taux d’intérêt, change, matières premières). On sait enfin débattre, à tort ou à raison, de la surévaluation ou de la sous-évaluation d’une monnaie par rapport à une autre (le taux de change) à partir d’analyses fondamentales qui valent ce qu’elles valent (les anticipations de différentiels de taux d’intérêt entre les deux monnaies, les situations de compétitivité et de balances des paiements courants des deux pays concernés par ces monnaies…).
Mais sait-on, ou plutôt peut-on, valoriser le bitcoin avec nos outils traditionnels d’économistes (pour les classes d’actifs traditionnelles) et de statisticiens et mathématiciens (pour les actifs hybrides et produits dérivés) ?
D’ailleurs, la meilleure preuve de l’incapacité de valoriser le bitcoin est matérialisée par les prévisions extrêmes : tandis que des prix Nobel tels que Joseph Stiglitz et Jean Tirole considèrent que le bitcoin finira par valoir 0, les partisans du bitcoin prédisent un bitcoin sur des niveaux à 6 ou 7 chiffres (5 actuellement), sans que l’on sache trop pourquoi. (Une forte utilisation renforcée par le lancement d’ETF ouverts au grand public ? Un effet rareté avec émission contrainte ? Bref, cela est un peu court et léger.)
Nous préférons une troisième approche entre celle qui nie la valeur du bitcoin et celle qui stratosphèrise cette valeur.
Il s’agit de celle du bon sens, dans le prolongement des propos de l’associé de Warren Buffett, Charlie Munger, récemment décédé : « Il ne s’agit ni d’une monnaie, ni d’une matière première, ni d’une valeur mobilière. Il s’agit d’un contrat de jeu de hasard… Après tout, il n’y a rien à analyser. Pas de paiements d’intérêt, pas de chiffre d’affaires, pas de redevances, pas de revenus locatifs, pas de flux de trésorerie, pas de bénéfices et pas de valeur liquidative. »