** Depuis le 27 février dernier, les indices boursiers dérapent sur les cinq continents ; les pertes cumulées avoisinent 9% en Europe et 8% en Amérique du Nord.
Après deux semaines de repli consécutif, la dynamique baissière ne perd rien en intensité et les causes vous sont connues : subprime et dépréciations d’actifs en série, stagflation, credit crunch, dégradation du marché du travail aux Etats-Unis, flambée du pétrole… Désormais, il importe de déterminer si les dernières évolutions indicielles constituent ou non une rupture par rapport à la situation de crise — spirale baissière et capitulation des cours — observée du 18 au 25 janvier dernier.
Si, le vendredi 7 mars, nous n’avions pas encore de certitudes en la matière (mais de fortes présomptions), le doute n’est plus permis avec la confirmation de la cassure de supports majeurs en cascade survenue ce lundi 10 mars. Le S&P 500 dévisse sous les 1 310 points (support testé les 22 et 23 janvier 2008) puis les 1 290 points (plancher du mois d’août et septembre 2006). Le Dow Jones, lui, est sous les 11 970 points (plus basse clôture de l’été 2007), l’Eurotop 100 sous les 2 650 points (même cas de figure) et le CAC 40 sous le plancher des 13 et 14 juin 2006 (4 615 points et 4 617 points).
Paris vient effectivement d’inscrire sa plus mauvaise clôture, non seulement de l’année 2007 mais également depuis le 30 novembre 2005. Le tout dans des volumes singulièrement peu étoffés de 5,4 milliards d’euros — à comparer avec les 6,75 milliards d’euros enregistrés vendredi — dans un contexte de rupture de seuil de soutien moyen terme s’accompagnant, en principe, du déclenchement de programme de ventes informatisées.
Peut-être les bears se montrent-ils prudents alors que le CAC 40 gravite entre 1% et 1,5% de son plancher annuel des 4 505 points. La marge de gains supplémentaires apparaît désormais plus réduite en comparaison du potentiel de baisse libéré le 4 mars dernier par la sortie « par le bas » du corridor 5 000 points/4 680 points. Cela correspond à un objectif de 4 350 points maintes fois évoqué depuis la mi-août 2007 et la fin janvier 2008, soit un retracement de 50% des gains accumulés entre la mi-mars 2003 et la mi-juillet 2007.
En revanche, un signal plus négatif nous est parvenu du compartiment des valeurs moyennes, qui ont plongé de 1,85% ce lundi après avoir fait jeu égal avec le SBF 120 au cours des cinq séances précédentes. La défiance vis-à-vis des valeurs de « milieu de tableau » constitue un indicateur avancé de la peur, laquelle pousse les gérants à se débarrasser en priorité des titres les moins liquides en prévision d’un nouvel alourdissement de la tendance.
** Si le recul du CAC 40, lundi soir, apparaissait peu spectaculaire, nous avons noté avec beaucoup de curiosité l’apparition d’un trou d’air à -1,65% à moins d’une demi-heure du coup de cloche final. Cela s’apparentait à un test de la « profondeur » des carnets d’ordre, ce qui pourrait s’avérer utile très prochainement, en cas de test plus appuyé des 4 500 points.
La fragilité technique du marché est confirmée par une fragilité psychologique des opérateurs. Ces derniers sont prêts à prendre en considération toute rumeur d’origine douteuse — mais qui devient crédible dans le climat actuel — de dépréciations d’actifs. Pour preuve, UBS devrait inscrire six milliards d’euros de provisions supplémentaires pour pertes sur son portefeuille de créances titrisées et Bear Stearns s’est effondré de 11% lundi à mi-séance.
La peur d’une rafale d’abaissement de la notation des principaux rehausseurs de crédit américains ressurgit alors que la deadline de la mi-mars se rapproche sans que des progrès significatifs aient été accomplis en matière de recapitalisation.
Les spécialistes du crédit hypothécaire sont à leur tour emportés par la tourmente alors que les incidents de remboursements se multiplient de façon exponentielle. Début mars, le prix moyen des maisons chutait de 10% à 12% en rythme annuel aux Etats-Unis sur fond de marasme de l’activité immobilière, alors que la période actuelle est généralement considérée comme la plus porteuse avec un pic de signatures intervenant traditionnellement de mi-février à mi-avril.
** Et comme si ces signaux de récession économique ne suffisaient pas, les craintes de voir la Fed contrainte de différer — ou de suspendre — son cycle d’assouplissement monétaire ressurgissent. A cela s’ajoute un pétrole qui pulvérise un nouveau zénith historique sur le NYMEX à 107,85 $, pendant que de grosses masses de liquidités se détournent des emprunts émis par les entreprises du secteur privé (et notamment par les spécialistes des LBO) pour venir s’investir sur les marchés de matières premières qui bénéficient d’une belle impulsion directionnelle.
Mais l’élément technique et macro-économique qui nous semble le plus décisif depuis le vendredi 7 mars — et la publication des chiffres de l’emploi américain –, c’est la chute du dollar sous le palier des 102 face au yen, qui culmine à 101,7 $. Cela traduit sans conteste l’inversion massive des positions de type carry trade et une fuite des détenteurs de dollars vers des zones économiques jugées moins sujettes au risque de stagflation que les Etats-Unis.
Philippe Béchade,
Paris