Par Sylvain Mathon (*)
Le boom des cours de l’uranium
Le prix au comptant du combustible nucléaire a explosé depuis deux ans, passant de 20 $ la livre environ — seuil autour duquel il se maintenait depuis les années 1990 — à plus de 130 $ cet été ! J’aimerais vous signaler quelques détails sur ce produit pas comme les autres.
L’établissement des cours spot (au comptant) reste malaisé : il faut se mettre d’accord sur la qualité du produit — c’est-à-dire sa concentration en isotopes, qui le rend plus ou moins fissile.
En général, le yellowcake est évalué en "équivalent U3O8" (oxyde d’urane), sa forme privilégiée pour le stockage. Comme les nouveaux produits financiers sur l’uranium sont d’invention récente, pour suivre les cours, on dispose surtout d’indices élaborés par des sociétés privées qui s’efforcent de tracer, partout dans le monde, l’évolution des prix de vente.
Tel est le cas de Ux Consulting qui publie, depuis vingt ans, l’une des références mondiales sur le cours de l’uranium enrichi : l’indice UX U3O8.
Voici l’évolution de cet indice depuis 1995
A partir de 2004, l’U3O8 a connu une vive envolée — qui correspond à la sortie par le haut d’un ample range sur le pétrole. Ce pic a culminé à près de 140 $. Depuis, une correction s’est mise en place, divisant le prix pratiquement par deux. Un rebond est actuellement en cours…
J’y vois surtout la conséquence d’excès spéculatifs. Rappelez-vous qu’on en était encore à 20 $ la livre au début des années 2000… Face à une telle accélération, un repli n’a rien d’exceptionnel.
Reste qu’au plan technique, le cours de l’uranium est difficile à analyser. Si je me réfère à mon anticipation sur le prix du brut — qui a, je vous le rappelle, une influence sur l’ensemble des prix des énergétiques — je pencherais pour la poursuite de la correction jusqu’à l’ancien sommet de la fin des années 70 atteint lors du deuxième choc pétrolier, autour de 40/50 $.
L’offre ne suit plus la demande !
A vrai dire, c’est le mouvement que j’attendais depuis des mois pour nous permettre d’entrer sur le marché. Sur le long terme, les arguments fondamentaux ne manquent pas en faveur de la hausse. La demande, comme je vous l’ai dit, est en accélération… Et l’offre a du mal à suivre.
Notez que l’uranium n’est pas rare : c’est ce qui rend son marché volatil. On en trouve un peu partout dans l’écorce terrestre, ainsi que dans l’eau… sans parler des têtes nucléaires. Ces dernières livrent un combustible déjà enrichi, très fissile, de haute qualité (si haute, en fait, qu’il faut le diluer : un kilo de cet uranium militaire peut donner jusqu’à 30 kg de combustible…). Le recyclage des arsenaux stratégiques en combustible civil a ainsi constitué une manne pour les Etats-Unis et l’ex-bloc soviétique.
Néanmoins l’industrie a besoin de gisements où la concentration soit assez élevée pour rendre viables les coûts d’extraction. A ce jour, l’Australie, le Canada et le Kazakhstan disposent des réserves exploitables les plus importantes. Or selon une étude récente de l’Australian Uranium Association, la production des mines ne couvre guère plus de 55% des besoins annuels de l’industrie — évalués à 66 500 tonnes pour 2007.
Pour pallier une pénurie imminente, il devient urgent que le secteur minier augmente sa production.
Quant aux apports de la démilitarisation, ils se tarissent. Les USA et la Russie ont recyclé une partie de leur uranium militaire et doivent convertir chacun, d’ici à 2014, 34 tonnes de plutonium en carburant de type MOX. Mais dans le contexte géostratégique actuel, il y a peu de chance pour qu’on voie se renforcer ces initiatives de dénucléarisation. La Russie est déjà revenue sur une partie de ses engagements…
L’uranium se négocie pour l’essentiel par contrats à long terme… Et l’embellie foudroyante du nucléaire semble bien avoir pris une partie du marché par surprise. Pour pallier une pénurie imminente, il devient urgent que le secteur minier augmente sa production.
Meilleures salutations,
Sylvain Mathon
Pour la Chronique Agora
(*) Globe-trotter invétéré et analyste averti, Sylvain Mathon, est un peu "notre" Jim Rogers… Après avoir travaillé durant dix ans au service de grandes salles de marché, il met depuis février 2007 toute son expertise en matière de finances et de matières premières au services des investisseurs individuels dans le cadre de Matières à Profits, une lettre consacrée exclusivement aux ressources naturelles… et à tous les moyens d’en profiter. Il intervient régulièrement dans l’Edito Matières Premières.
Source de l’article : A quand le retour de l’uranium ?