La crise n’est ni conjoncturelle ni accidentelle ; elle est structurelle, et radicale. Les marchés ne semblent cependant pas encore en être conscients…
Nous parlons depuis hier des illusions, mensonges et tromperies sur lesquels la finance mondiale est fondée. Aujourd’hui, la monnaie se retrouve complètement déconnectée de ses sous-jacents, l’or et le travail. Mais on sait depuis le début que, si l’argent sort du système fictif pour aller dans le réel, alors le système sautera.
C’est pour cela que les marchés-papiers ont été multiplié, et notamment celui sur l’or.
La déconnexion du marché de l’or-papier a en effet ouvert la possibilité de déconnecter la demande d’or du marché de l’or réel. Il s’agissait de rendre infinie, sans limite, la capacité de satisfaire la demande d’or en éliminant l’or physique. Il s’agissait de faire « jouer » dans un univers ou on interdisait que la rareté se manifeste par la hausse des prix.
Le marché de l’or papier n’a pas de limite, et celui de l’or physique en a une qui a été depuis longtemps dépassée. Le marché de l’or papier est une colossale vente à découvert de l’or physique. C’est un exemple. Mais beaucoup de choses physiques ont été transformées en « classes d’actifs », comme on dit, c’est-à-dire en papier.
Un vieux naufrage
Le Financial Times titrait récemment : « La semaine qui a détruit nos finances personnelles au Royaume-Uni ».
Non, le FT ment. Les « finances personnelles » du Royaume-Uni n’ont pas été ruinées durant cette semaine fatidique. Vous ne détruisez pas le système de retraite britannique en une semaine. Le naufrage dure depuis des années, voire des décennies. Une politique malavisée s’est concentrée sur le gonflement de la valeur des obligations, des actions et d’autres actifs financiers. Un écart considérable s’est développé entre la valeur perçue des actifs financiers et la véritable valeur économique des actifs réels qui sous-tendent les pensions et les finances personnelles britanniques et mondiales.
Cette semaine a été marquée par un réajustement désordonné des valeurs obligataires britanniques grossièrement gonflées et la panique associée. Ces types d’ajustements sont brutalement déstabilisants.
Comme je l’ai expliqué, le Titanic britannique, mal conçu et mal ajusté, a rencontré un iceberg ; et cet iceberg dont on ne voit que la pointe est colossal… et de taille mondiale.
Tout est dit, de la bouche du cheval, car le FT, plus que le Wall Street Journal, c’est la bouche du cheval de la finance : en une semaine !
Le FT est la pierre angulaire, la poutre maîtresse du système mensonger que l’on a bâti.
Et ici le FT dit la vérité du système, à savoir que le système repose sur un mensonge. Il veut nous faire croire que la richesse vient d’être détruite en une semaine ! La vérité cristalline pourtant, c’est que le problème est réel et qu’il ne date pas d’hier… et que la richesse dont on nous parle était fictive :
« Un écart considérable s’est développé entre la valeur perçue des actifs financiers et la véritable valeur économique des actifs réels qui sous-tendent les pensions et les finances personnelles britanniques et mondiales. »
Cet écart s‘est creusé pendant des décennies !
Cet écart s’est construit sur la faille, sur le gap, sur le désajustement et, en définitive, sur cette folie moderne que l’on doit appeler la déconstruction, soit la destruction du lien entre le réel et les signes qui sont censés le représenter.
Pas besoin de cygne noir
De nombreux analystes sont convaincus que la soi-disant « grande crise financière » de 2008 aurait été évitée si la Fed avait agi tôt pour renflouer Lehman Brothers. Mais ils passent à côté de l’analyse adéquate qui est que des milliers de milliards de titres et de produits dérivés étaient mal évalués, et pas seulement dans l’univers hypothécaire. Le gouffre entre les valeurs de marché/perçues des actifs financiers et la richesse économique réelle/la capacité de création de richesse, ce gouffre s’est considérablement creusé au cours des 40 dernières années.
La situation difficile des marchés n’est pas due à un cygne noir, non, le cygne c’est simplement le facteur déclenchant d’une crise qui est inéluctable, nécessaire et déjà écrite. La crise est contenue dans la situation tout comme l’épi de blé à venir est contenu dans le grain qui a été semé.
La crise n’est ni conjoncturelle ni accidentelle, elle est structurelle, et radicale.
Je l’ai analysée ci-dessus de façon abstraite et conceptuelle mais on peut l’exprimer de façon vulgaire. La structure du marché est pourrie car elle repose sur trois bases :
1) La surévaluation des actifs financiers qui n’est pas soutenue par la richesse économique sous-jacente.
2) Le surendettement qui a gagné tout le système.
3) L’ingénierie, le transfert, la dissémination, les fausses assurances et la gestion des risques.
Encore loin des bons prix
Il y a aujourd’hui une surévaluation radicale des actifs financiers pratiquement dans tous les domaines.
Les marchés des créances ne se sont pas encore entièrement réévalués en réponse à la dynamique de l’inflation, au surendettement et au ralentissement de la croissance.
Les dettes n’ont pas intégré le ralentissement historique de la croissance, et la dépréciation systémique associée à la transition climatique.
Les actions ne se sont pas dépréciées pour tenir compte du nouveau monde à risque extrêmement élevé, d’instabilité, de vulnérabilité économique, de péril géopolitique, d’impuissance politique, de changement climatique et probablement d’effondrement des bénéfices.
Par-dessus tout, aucune valorisation ne tient compte de la probable mutation de l’ordre social, politique et géopolitique qui va découler de toute cette conjonction de facteurs négatifs.
L’ordre social, celui qui permet aux uns de s’attribuer les richesses et le travail des autres, va être ébranlé car l’ordre social est toujours une résultante d’un rapport de forces et non un projet, une volonté. Les rapports de forces bougent.
La recherche des effets de levier n’a été possible que dans le monde prétendu parfait que j’ai décrit et analysé ci-dessus. Ce monde, qu’on le veuille ou non, est condamné de façon endogène, il s’autodétruit sous nos yeux, il ne survit que dans le simulacre, en artefact.
Soit volontairement, soit par crise de destruction des dettes, le système mondial va se désendetter et nous ne sommes qu’à la première phase de désendettement.
Les théories ne produisent pas le réel, c’est l’inverse : les théories sont des productions du réel, des productions qui prennent naissance pour donner rationalité au réel, pour accompagner les mutations du réel, comme ce fut le cas en 1980. On a alors inventé les idées qui allaient accompagner la dérégulation et la financiarisation. Les théories financières ont produit à leur tour l’alchimie financière, l’œuvre au noir des marchés. De nouvelles théories vont voir le jour, se diffuser, et l’ingénierie ancienne va mourir de mort violente.
Transformer des milliers de milliards de dollars de crédits et de dettes risquées de fin de cycle, en titres de qualité d’investissement, pour gaver les fonds de pension, l’épargne collective et les assurances, c’est fini.
Le monde va faire de terribles découvertes : les actifs anciens ne valent rien ou pas grand-chose, ; il n’y a pas assez de vrais capitaux propres dans le système, il n’y a que des dettes, et il n’y a pas assez de profit pour soutenir tout cela ; que des malversations comptables à la Enron.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]