Pourquoi les marchés continueraient-ils de croire les européistes compte tenu de tous leurs reniements ?
L’euro est passé sous la parité avec le dollar américain le 13 juillet dernier, ce qui n’était pas arrivé depuis décembre 2002, c’est-à-dire depuis presque 20 ans. Il s’est ensuite stabilisé sous 1,03 $ pendant quelques semaines, avant de rechuter sous la parité, le 22 août dernier, et de stagner autour de cette dernière depuis.
Certes, la dépréciation de l’euro peut être bénéfique à des industries européennes d’export dont une partie importante des coûts est en euro, comme l’industrie aéronautique. Cependant, deux constats viennent moduler cet impact positif :
- d’une part, cette dépréciation se fait dans un contexte particulier de renchérissement des matières premières, notamment énergétiques, libellées principalement en dollar, et d’inflation persistante ;
- d’autre part le poids de l’industrie dans le PIB des économies du sud de la zone euro a tant reculé depuis l’introduction de la monnaie unique, que ce coup de fouet de compétitivité n’a pas autant d’effet qu’il aurait pu en avoir il y a encore 20 ans.
De fait, malgré cette dépréciation, les anticipations de croissances de la zone euro demeurent très faibles, y compris pour l’économie allemande qui a affiché un déficit commercial en mai 2022, du jamais vu depuis la réunification. En outre, l’affrontement qui se précise sur la question taïwanaise entre, d’une part, la Chine et, d’autre part, le bloc euro-atlantiste emmené par les Etats-Unis, n’est pas pour rassurer sur les perspectives à moyen terme des exportations allemandes vers leur premier client mondial : Pékin.
Surtout, la dépréciation tendancielle de l’euro par rapport au dollar très sensible à partir de 2014, en comparaison de la période 2004-2014, tend à sanctionner une politique monétaire constamment expansionniste, que l’Eurosystème semble incapable de freiner réellement, et qui est la première cause de l’inflation que l’on connaît. Celle-ci était visible dans le prix des actifs financiers et de l’immobilier depuis plusieurs années. Elle l’est maintenant dans les biens de la vie courante et ne semble pas jusqu’à maintenant réellement combattue par la BCE.
Les européistes font face à un problème de crédibilité
Si les européistes s’alarment de la chute de l’euro, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. La dépréciation de l’euro résulte d’une défiance généralisée des marchés contre la monnaie unique et cette défiance résulte elle-même du fait que les européistes ne respectent pas leurs propres règles, ni leur propre parole et qu’ils ne tirent jamais les leçons de l’expérience et des échecs.
Cela a d’abord été le « quantitative easing » qui piétine l’esprit, sinon la lettre, de l’article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – qui interdit aux banques centrales de la zone euro de financer les Etats. Cette disposition est censée prévenir le phénomène de l’« aléa moral », c’est-à-dire de l’endettement sans fin d’un Etat auprès de sa banque centrale sans que ce dernier n’ait à en supporter les désagréments. L’explosion inouïe de la dette française sous Macron pendant la pandémie illustre ce danger de l’« aléa moral ».
En parallèle, il y a eu le piétinement du principe de concurrence libre et non faussée, pourtant proclamé hautement dans les traités européens, puisqu’en rachetant massivement des actifs sur les marchés et en comprimant les taux, la BCE a faussé le prix de ces actifs, créé des bulles et écrasé les primes de risque dont les Etats émetteurs de dette auraient dû s’acquitter, alimentant le cercle vicieux de l’« aléa moral ».
Puis il y a eu les annonces multiples du « tapering », c’est-à-dire de l’arrêt du quantitative easing, notamment fin 2018, sans que cela ne soit suivi d’effets rapides et concrets. Les européistes n’ont pas respecté leurs engagements et ont continué, de ce fait, à ruiner leur crédibilité auprès des marchés. Le 21 juillet 2022, la BCE a d’ailleurs annoncé qu’elle continuerait de réinvestir les tombées du PSPP et du PEPP, ce dernier étant même prolongé jusqu’à, au moins, fin 2024.
Puis il y a eu le vol – il n’y a pas d’autre mot – extraordinaire d’une partie des réserves de la Banque de Russie qui ont été gelées sur un coup de menton de Bruxelles, à la demande de Washington, en contradiction totale avec le principe fondamental de protection de la propriété privée.
Maintenant, il y a l’absence de volonté réelle de la BCE de lutter efficacement contre l’inflation, donc de protéger les investisseurs, alors que son mandat lui en fait obligation.
Pourquoi les marchés continueraient-ils de croire les européistes compte tenu de tous leurs reniements ?
Enfin, les récents développements concernant le conflit en Ukraine ont démontré de façon éclatante que les européistes ne sont même pas capables de défendre les intérêts bien compris de leurs propres économies. L’exemple allemand est éloquent : cet Etat, qui avait un besoin vital du gaz russe – il avait même contribué à construire le gazoduc Nord Stream 2 à grand frais pour l’acheminer en quantité – a préféré complaire aux Etats-Unis en prenant des sanctions contre la Russie, débouchant sur la quasi-coupure de son approvisionnement gazier, plutôt que de défendre ses intérêts nationaux.
L’euro apparait désormais clairement pour ce qu’il est : la monnaie d’un ensemble colonial sous suzeraineté américaine. Les marchés ont aussi intégré cela : l’évolution de l’euro dépend directement de la géopolitique de Washington, aujourd’hui hostile à la Russie, et demain, peut-être, plus hostile encore à la Chine. L’avenir à court, moyen ou long terme de l’euro est donc écrit. Il aura le même destin que toutes les monnaies coloniales : la dislocation, qui s’accompagnera d’une libération de la tutelle américaine.
10 commentaires
Théorie monétaire moderne + inféodation aux intérêts US = mort de l’Euro, donc flight to quality vers le dollar.
Les financiers US, tels des requins, n’attendent plus que la chute de l’Europe pour ramasser tout ce qui traînera : notre zone géographique aura alors définitivement basculé vers la dollarisation et la mise en place des monnaies numériques que les peuples, trop apeurés par tous les évènements que nous subissons depuis au moins 3 ans, s’empresseront de plébisciter.
Donc, pas d’accord avec votre dernière assertion selon laquelle nous nous libérerons de la tutelle américaine (et de sa technologie omniprésente), bien au contraire.
Tout à fait d’accord avec votre commentaire.
Quant à la tutelle américaine, étant entendu qu’il est plus difficile de vouloir s’en libérer que de s’en libérer vraiment, il faut la replacer dans la perspective géopolitique mondiale. L’UE, qu’on le déplore ou non, est un nain politique incapable d’organiser les intérêts des états qui la compose. Inversement, qu’on le déplore ou non (et personnellement je ne suis partisan de l’organisation sociale et politique ni de l’un ni de l’autre), la Chine et la Russie eux savent défendre leurs intérêts sur la scène géopolitique mondiale et sont prêts à en payer le prix. Cela, c’est la situation actuelle.
C’est vrai qu’elle est étonnante et fait songer à un dystopie digne d’un film. Car enfin, comment un état (comme la France, mais aussi d’autres états d’Europe) peut-il renoncer à sa devise s’il est indépendant ? C’est pourtant ce qui s’est passé il y a 20 ans. Et recouvrer son indépendance peut prendre beaucoup de temps — surtout si on refuse de se poser cette simple question.
Si nous ne quittons pas l’OTAN , UE et toutes ces structures néo coloniales USA, nous n’aurons pas les moyens de nous redonner une souveraineté. Les USA nous referont le coup du plan MARSHALL après la guerre et nous serons définitivement mis en laisse. Les derniers souverainistes devraient s’unir pour donner une dernière chance au pays de voler de ses propres ailes avant qu’il ne soit trop tard (partage probable du nucléaire, cession du siège au Conseil de sécurité de l’ONU à l’UE).
L’euro comme le dollar, instruments politique et du point de vue économique font que la libre concurrence et la compétitivité sont une vaste plaisanterie.
Disons qu’ils sont une plaisanterie (une fumisterie, avez-vous dit ?) lorsqu’ils vont à rebours des intérêts de ceux qui nous gouvernent.
Vous avez totalement raison, à force de changer les règles du jeu en cours de partie -ce qui est une spécialité bien française-, les investisseurs vont voir ailleurs.
Le vol de la partie située en zone euro des réserves de la banque de Russie discrédite à jamais l’europe de Bruxelles inféodée à l’état profond américain. Serait-ce la partie visible de la corruption des élites européennes ?
L’avenir de l’euro est donc bien écrit, la dégringolade ne fait que commencer.
Je ne crois pas à une libération de la tutelle américaine avec du personnel politique européen hautement corrompu.
Les américains veulent le pétrole et le gaz de la Russie. La guerre en Ukraine va leur permettre de vitrifier la Russie et… l’Europe.
En effet, pas de libération avec les jeunes cadres dynamiques ayant pris le pouvoir en Europe, avec l’aide des populations lobotomisées.
Oui pour votre remarque sur les matières premières russes.
À moins d’envoyer des sous marins bien pourvus du côté des côtes US…
Je ne vois que ça (ou un évènement complètement imprévu qui mettra le feu aux poudres dans un sens inattendu) pour mettre fin à l’hégémonie de la racaille US.
Mais Comment les Français font ils encore pour ne pas écouter vos analyses !!!!!!!
8,5% = 1/12
Une inflation à 8,5% c’est travailler 12 mois (un an) et n’être payé que 11 mois (en pouvoir d’achat) …et cela la 1ère année (après c’est 1/12 de moins sur les 11 mois restant)
Qui peut imaginer une absence de réaction des gens ? Ils ont donc prévu cela …Pourquoi faire ?!
Cela fait plus de 20 ans que j’entends que l’euro va s’effondrer et finalement il est toujours plus haut que le dollar…quand est-ce que vous aurez raison ?