** La journée d’hier nous a fourni une nouvelle illustration du phénomène de stagnation globale des indices depuis le 22 janvier dernier (soit un mois jour pour jour). En effet, en clôturant à 4 858 points, le CAC 40 affichait très exactement le même niveau que jeudi 14 février, à 0,001% près : variation zéro sur la semaine écoulée ! Nous ajouterons que l’indice affichait 0,09% d’écart entre le fixing d’ouverture (de 9h) et celui de 17h33.
Pour finir d’illustrer notre propos, nous observons que le CAC 40 avait clôturé le 22 janvier dernier à 4 842 points… et que c’est précisément ce score qu’il affichait ce jeudi après un quart d’heure de cotations et tutoyait (à 0,2% près) à dix minutes de la clôture.
Une certaine lassitude commence à gagner de nombreux opérateurs qui voient les indices boursiers battre comme les portes d’un saloon depuis un bon mois. Le mouvement d’alternance — deux jours de hausse, un jour de baisse… ou l’inverse — ne s’est pas démenti ces derniers jours. Les acheteurs auraient pu, en effet, profiter de l’échéance « mars » (vendredi 15 février à 16h) pour reprendre le marché en main et arracher le CAC 40 à l’attraction du seuil pivot des 4 835 points. Ce n’est pas un hasard si ce seuil a été le plancher testé en début de matinée hier.
Nous avons cru nous aussi à la possibilité d’un effacement des -1,5% perdus la veille ; mais le mouvement de reprise a été pris à contre-pied par le revirement à la baisse des indices américains. Ils étaient initialement attendus en progression de 0,3% à 0,5% mais ils ont reculé d’autant entre 17h et 17h30 — et même de 1% et plus à mi-séance, si bien que le S&P rechutait sous 1 345 points.
Le CAC 40 a donc buté une nouvelle fois sur le seuil des 4 900 points et a dû se contenter d’un gain de 0,96%. Il faut cependant s’en satisfaire car il s’agissait de la seconde meilleure performance indicielle en Zone euro derrière Amsterdam et ses +1,44%. L’Euro Stoxx 50, quant à lui, n’affichait que 0,55% de hausse en clôture, alors que Francfort se contentait de 0,07% et Milan de 0,18%.
** La prudence des opérateurs demeurait justifiée : les chiffres américains publiés hier constituaient une nouvelle déception… dans le droit fil de ceux publiés mercredi dernier. L’activité manufacturière de la région de Philadelphie a continué de chuter en février et l’indice de la Réserve fédérale de Philadelphie rechute de -20,9 en janvier à -24 ce mois-ci, alors qu’un sursaut était attendu à -10%.
Les indicateurs avancés du Conference Board restent poussifs : ils ressortent en baisse de 0,1% en janvier à 135,8. Ce recul intervient après une baisse de 0,1% en décembre (chiffre initialement révisé d’une baisse de 0,2%) et après les baisses de 0,4% en novembre et de 0,7% en octobre. Voilà qui confirme le piètre diagnostic économique de la Fed divulgué mercredi soir.
Selon Ben Bernanke et ses collègues, le risque principal réside toujours dans la poursuite de la contraction du volume des ventes et des prix dans le secteur immobilier.
Cette dégradation — qui est loin d’avoir atteint son paroxysme selon son prédécesseur Alan Greenspan — va affecter le sentiment de richesse des Américains… et va aggraver le credit crunch alors que la frilosité est déjà très élevée côté banques.
Pour d’autres, c’est carrément leur capacité à prêter qui se trouve compromise. Ainsi, après une perte historique de 1,2 milliards de dollars, sa première en 25 ans, Countrywide a dû supprimer 12 000 emplois, soit 20% de ses effectifs, pour adapter sa structure à la contraction d’un marché hypothécaire complètement sinistré… avant de s’adosser à Bank of America.
Sa production de prêts a chuté de plus de moitié en un an et ce n’est plus qu’un acteur financier de seconde zone. Au temps de sa splendeur, Coutrywide générait 20% des crédits hypothécaires du pays, soit l’équivalent de 3,5% du Produit intérieur brut américain !
L’ère de l’argent fou est largement révolue. Toutes les institutions financières, tous les fonds d’investissement qui avaient bâti leur croissance sur des opérations à effet de levier — et notamment les LBO adossés à des lignes de crédit court terme de type CDO — ne soulèvent plus que suspicion.
** Nous attendons de connaître le sort réservé aux entreprises qui se sont copieusement endettées (parfois jusqu’à 30% du capital) pour racheter en masse leurs propres actions afin d’accroître artificiellement le montant des dividendes versés à une poignée de gros actionnaires qui exigent encore et toujours leurs 15% de rendement.
Et que se passe-t-il lorsque les actions — en dépit de tels expédients — se mettent à baisser inexorablement et qu’elles ne sont pas prêtes de se redresser au vue la conjoncture ?
C’est la « double peine » qui se profile : les gros investisseurs reprennent leurs billes et désertent sans autre forme de procès, laissant la société se dépêtrer avec ses comptes plombés et ses banquiers qui ne veulent plus lui avancer un centime.
Nous exposons, derechef, ce processus qui vous est désormais familier parce que peu d’éditorialistes mettent l’accent sur le risque systémique attaché non plus aux créances immobilières pourries, mais bel et bien aux émissions obligataires (collatéralisées ou non) des entreprises elles-mêmes.
Les difficultés rencontrées par les monoliners ne sont que la partie visible de l’iceberg ; les agences de notations vont bientôt devoir se pencher sur l’ensemble des papiers émis par les entreprises du secteur privé… et en priorité sur ceux provenant des hedge funds.
Même si la Fed n’a pas le pouvoir de rétablir la confiance et de re-solvabiliser les emprunteurs à risque, le marché s’accroche à l’espoir d’une nouvelle détente monétaire le 18 mars prochain. Et ceci en dépit de la hausse des prix à la consommation qui augmentent à un rythme de 4,3% par an et de la flambée des prix du pétrole — d’où la rechute du dollar sous les 1,4825/euro hier soir.
** Une fois n’est pas coutume, le repli du pétrole qui vient de s’amorcer sous les 101,3 $ — zénith historique inscrit hier matin — s’accompagnait d’une décrue tout aussi franche du dollar. De là à parier que le baril ne va pas tarder à repasser sous les 96 $…
La récente flambée du pétrole constitue un évident paradoxe compte tenu du ralentissement de la croissance économique anticipé pour 2008. Elle devrait, en effet, retomber à 2,0% cette année dans l’Union européenne et à 1,8% dans la Zone euro. Celle-ci ne bénéficie pas à 100% de la vitalité des ex-pays de l’Est, lesquels accueillent beaucoup d’usines et centres de recherche délocalisés depuis la France, le Benelux et l’Allemagne.
La Commission européenne a ainsi révisé en baisse de 0,4 point ses prévisions par rapport à novembre 2007 ; elle ne prévoit plus que 1,7% de hausse en France et le FMI se montre encore plus pessimiste avec une projection de 1,5% de PIB dans l’Hexagone.
Nous allons essayer de traduire ces points de PIB manquants en points de CAC 40 : nous pressentons que le pronostic d’un rebond vers les 6 000 points sera… acrobatique!
Philippe Béchade,
Paris