Etait-ce vraiment un sort inévitable ? En tout cas, certains experts constatent enfin que le processus est enclenché… mais peut-être en y associant les mauvaises causes…
J’ai diagnostiqué la fin de la mondialisation dès 2009, lorsque j’ai constaté que les Etats-Unis refusaient de modifier le système international, le système monétaire et choisissaient de « kick the can », c’est-à-dire de faire encore plus de tout ce qui avait produit la crise.
Cela signifiait que les USA voulaient « passer en force », aller jusqu’au bout des avantages que leur donnait le dollar impérial.
Au passage, Sarkozy avait esquissé une timide demande de réforme internationale, mais il a rapidement été mouché et a remis son mouchoir dans sa poche. On n’en a plus jamais entendu parler.
La nouvelle guerre froide
J’ai expliqué que le refus de changer la donne systémique allait produire de l’agressivité, de la rareté, de la compétition. J’ai affirmé que c’était la fin d’un monde multipolaire de coopération et de concertation et que c’était le début d’un monde de frictions puis de compétition stratégique, puis de guerre froide et finalement de guerre chaude.
J’ai utilisé un raccourci imagé : « Quand le butin se réduit, les bandits s’entretuent. »
Il n’a pas fallu longtemps pour que ma prévision se réalise car, en août 2013, Obama a annulé son sommet avec Poutine prévu pour septembre. La fin formelle de la mondialisation peut ensuite être située en 2014, au sommet du G7 à Bruxelles, marqué par l’exclusion de la Russie du G8. Tout ceci a par la suite été confirmé en décembre 2016.
De toutes façons le multilatéralisme des sommets en G était bidon, c’était une façade, un cache sexe qui dissimulait mal la volonté américaine d’exercer seule le leadership mondial.
Un auteur de classe internationale, Michael Pettis, a vu juste à l’époque quand il a détaillé les conséquences de cette fin de la mondialisation, mais il n’est pas allé jusqu’à la guerre.
Pettis a expliqué que la fin de la globalisation allait provoquer :
- une remontée de la peur du risque ;
- de la relocalisation dans de nombreux domaines ;
- une réduction de la fluidité des mouvements internationaux ;
- la fin de l’abondance financière.
J’avais ajouté : une remontée de l’inflation structurelle, car la compétition entre les blocs allait exacerber les besoins de financer le beurre et les canons, et rendre toute discipline budgétaire et monétaire insupportable.
Et, in fine, la fin du grand cycle du crédit qui a débuté en 1945, et donc la destruction des monnaies fiduciaires telles que nous les connaissons.
Mieux vaut tard que jamais ?
Parmi les gens qui se sont rendu compte de ce phénomène dernièrement, citons par exemple Larry Fink, le PDG de BlackRock (vous pouvez lire l’intégrale, en anglais, par ici) :
« Au début des années 1990, alors que le monde émergeait de la guerre froide, la Russie fut intégrée au système financier mondial et obtint l’accès aux marchés de capitaux mondiaux. Avec le temps, la Russie devint interconnectée avec le monde et profondément liée à l’Europe de l’Ouest.
Le monde a bénéficié d’un dividende sous la forme de la paix mondiale et de l’expansion de la mondialisation. C’étaient des tendances puissances qui ont accéléré le commerce international, étendu les marchés de capitaux mondiaux, permis une croissance économique plus importante, et ont aidé à fortement réduire la pauvreté dans des pays du monde entier.
L’invasion russe de l’Ukraine a mis fin à la mondialisation que nous avons connue au cours des trois dernières décennies. Nous avions déjà vu la connectivité entre les nations, les entreprises et même les personnes mise à rude épreuve par deux années de pandémie.
Cela a laissé de nombreuses communautés et personnes se sentir isolées et se renfermer sur elles-mêmes. Je pense que cela a exacerbé la polarisation et les comportements extrémistes que nous observons dans la société aujourd’hui. »
Ou bien Raphael Bostic, président de la Fed d’Atlanta :
« Tournons-nous vers la tragique guerre en Europe de l’Est. Alors que nous apprendrons beaucoup des retombées économiques ces prochaines semaines, il y a beaucoup d’éléments que nous ne pouvons pas prévoir. Cependant, je vois trois répercussions économiques majeures qui vont presque certainement se dérouler :
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- une incertitude croissante ;
- une pression à la hausse des prix ;
- et un élan renforcé vers la réorientation des réseaux de production et d’approvisionnement, pour s’éloigner de la minimisation pure des coûts et aller vers la résilience et la tolérance aux risques. […]
Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement causées par la pandémie de coronavirus ont incité les chefs d’entreprise à commencer à diversifier leurs fournisseurs, augmenter leurs stocks et à rapprocher la production des marchés finaux pour maximiser la fiabilité. Considérez cela comme un passage aux stocks ‘juste au cas où’, à la place du ‘juste à temps’. Le point commun entre ces changements est qu’ils augmentent les coûts de production.
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine va provoquer des considérations similaires pour les producteurs. »
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]