On passe de la gestion par les bulles à la bulle permanente – et cela change tout pour le système… y compris la manière dont les choses sont perçues dans la société en général.
Je dois vous avertir d’un changement important dans mon cadre analytique. J’intègre maintenant pleinement le fait que les dettes qui se sont accumulées dans le système :
– d’abord lentement jusqu’en 2008 ;
– puis en accéléré depuis 2009 ;
– et maintenant exponentiellement depuis la double crise financière de septembre 2019 et la crise sanitaire de mars 2020…
Ces dettes ne seront jamais remboursées.
Bien sûr, j’ai toujours pensé qu’il en serait ainsi, mais je ne l’ai pas intégré dans mes analyses pour la bonne raison que ce n’était pas devenu un thème public, une common knowledge – une connaissance commune, bagage de la société.
La common knowledge est un concept important en sciences sociales, il est peu étudié. Il y a des choses que tout le monde pressent – mais c’est une connaissance individuelle ; les gens pensent ceci ou cela mais ils n’ont pas conscience du fait que cette connaissance est partagée, que beaucoup de gens, voire tout le monde, pense ainsi.
Ils n’ont pas conscience du fait que cette connaissance est devenue « un fait social ». Cette connaissance ne produit donc pas d’effet social ; elle reste individuelle et inefficace.
Qui sait que nous savons ?
Ce qui est important en matière sociale, c’est que non seulement les gens sachent mais qu’en plus, ils sachent qu’ils ne sont pas les seuls, qu’ils sachent que tout le monde sait la même chose qu’eux.
La connaissance individuelle prend une nouvelle dimension d’une part et elle acquiert un pouvoir effectif d’autre part. Le fait que tout le monde sache que tout le monde sait est une étape déterminante.
Cette étape fait basculer les situations sociales car le débat s’instaure, les prises de conscience s’effectuent, les certitudes s’ancrent, les convictions s’installent : vous ne doutez plus de vous-même et de ce vous savez.
Quand vous savez et que ce que vous savez est une common knowledge, vous vous sentez plus fort, moins isolé, plus confiant et plus disposé à agir. Vous finissez par comprendre par exemple que les choses peuvent changer. La common knowledge unit les volontés alors que toute l’action des pouvoirs est de les désunir, de les fragmenter.
L’un des outils de domination des pouvoirs, c’est de vous faire douter de vous, de ce que vous pensez et de ce que vous savez. Lorsqu’une chose devient common knowledge, c’est fini : les pouvoirs perdent cet outil.
Les autorités ont cédé
Les dettes ne seront jamais remboursées ; c’est en train de devenir une common knowledge.
Depuis que Powell a cédé en 2018, qu’il a mis un genou à terre devant les marchés financiers, qu’il a stoppé la baisse des taux, qu’il a recréé de la monnaie afin de produire encore et toujours de la dette… les dés sont jetés : les dynasties, les hyper-élites, savent que c’est fini.
On passe de la gestion par les bulles, par gonflement puis éclatement des bulles, à une autre gestion, celle de la bulle permanente, afin de ne plus jamais avoir à faire de retour en arrière.
En 2018, on a basculé afin de se donner les moyens de faire croître les dettes à l’infini. En 2018, quand Powell a mangé son chapeau, il a signé la fin d‘une expérience, il est entré dans le permanent – c’est-à-dire la dette perpétuelle, à sens unique : la croissance infinie.
Les dynasties, celles qui contrôlent le système, l’ont compris parce qu’elles voient très haut. Elles ne s’embarrassent pas de modèles mathématiques ou autres billevesées dans lesquelles s’empêtrent les roturiers. Les dynasties – et c‘est cela leur point fort – voient le réel de très haut, elles vont à l’essentiel, à la lueur des expériences historiques familiales, transmises de générations en générations, je peux vous le dire d’expérience personnelle.
Ce sont elles qui m’ont appris à penser synthétiquement, à survoler. Leurs conversations sont simples mais elles vont à l’essentiel ; elles n’ont que faire des charabias et élucubrations des Draghi, Powell et autres Bernanke. Ou même de celles d’un non-dynastique parvenu comme Macron ! N’étant pas « dans la bouteille », c’est-à-dire prises dans la névrose sociale, elles voient clair et sont lucides.
Le savoir est rarement cantonné, cependant : il finit toujours par descendre, par glisser et se répandre, ne serait-ce qu’à l’occasion des dîners, des invitations où les dynasties confessent les détenteurs apparents du pouvoir. Et il y a des fuites. Les conseillers/larbins des princes finissent toujours par vouloir faire les malins, les initiés et ce faisant, ils divulguent.
Le Gai Savoir, comme aurait pu dire Nietzsche s’il s’était intéressé à la finance, le Gai Savoir finit par dégouliner, quitter les sommets pour irriguer puis inonder les vallées.
A suivre…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]