Les marchés ont bien changé ces dernières années – notamment dans leurs relations avec les banques centrales : des échanges complexes, où le pouvoir n’est pas forcément où on l’attend.
Ma conception des marchés financiers a changé depuis le temps où j’étais analyste.
Je considère que les marchés n’ont plus aucun pouvoir d’anticipation. Ils ne reflètent absolument pas les préférences des investisseurs, ils ne sont plus des lieux de constatation des opinions contraires – ils sont simplement des champs d’intervention des démiurges/zozos qui s’en servent pour transmettre ou essayer de transmettre leur politique monétaire.
La formule « Don’t fight the Fed », « on ne lutte pas contre la Fed », résume tout. Ou plutôt, il faut aller plus loin et non seulement ne pas s’opposer à la Fed et jouer contre elle, mais devancer ses désirs, les exaucer avant même qu’elle les ait formulés !
Il faut réagir avant le premier tintement de la clochette de Pavlov.
Il est loin le temps où on pouvait encore suivre Alan Greenspan lorsqu’il disait :
« Comment pourrais-je en savoir plus que les milliers d’analystes qui établissent les prévisions de bénéfices, qui font la Bourse ? »
Les milliers d’analystes ne font plus la Bourse ; c’est la Fed qui fait la Bourse, et les analystes courent derrière en essayant de rationaliser ces mouvements et tendances qu’ils ne maîtrisent pas.
L’analyse ne sert plus à rien ?
L’analyse ne guide plus, elle sert à la justification du marketing. L’analyse financière est une construction parallèle qui sert à faire semblant de donner un sens et une raison aux cours de Bourse, lesquels sont déterminés ailleurs et par d’autres forces.
Les marchés marchent sur la tête, comme beaucoup de choses du monde moderne ; ils ont subi la fameuse inversion.
La relation entre les démiurges/zozos et les marchés est complexe et dialectique ; les marchés sont serfs des banquiers centraux mais les banquiers centraux sont otages des marchés.
A force de vouloir qu’ils montent, les banques centrales les ont fait trop monter… et maintenant elles ne peuvent même plus envisager qu’ils puissent baisser.
On est monté trop haut et pendant trop longtemps pour pouvoir encore redescendre. C’est donc exactement cela : les banques centrales sont les maîtresses des marchés mais les marchés commandent aux banques centrales. Les marchés font le chantage au chaos et à la destruction.
Si je ne craignais de passer pour un macho, je dirais que c’est comme dans un couple homme/femme, ce n’est pas celui que l’on croit qui commande. Vaste sujet… La dialectique du maître et de l’esclave, si on veut : le maître est aussi esclave que l’esclave car il dépend de lui pour être maître.
Je soutiens donc que les marchés ont perdu toute capacité d’anticipation, ils sont stupides. C’est comme tout le reste : on a détruit tous les signaux qui permettaient de gérer et de s’adapter, et on les a détruits au profit des maîtres – ils ont pris le contrôle et c’est eux qu’il faut suivre.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]