Les marchés tiennent les banques centrales par les c***… et font monter les enchères – mais à mesure que les crises se succèdent, les déséquilibres s’aggravent. Qu’arrivera-t-il au prochain tour de manège ?
Voici un extrait/résumé de l’analyse de Patrick Artus, économiste et directeur de la recherche chez Natixis, sur les différentes étapes de la fuite devant la monnaie :
La monétisation des dettes publiques va entraîner une hausse énorme, de l’ordre de 70%, de l’offre de monnaie, c’est-à-dire de la base monétaire par les banques centrales.
Une création monétaire aussi forte va conduire à la défiance des agents économiques vis-à-vis de la qualité, de la valeur de la monnaie. Elle va conduire à la fuite devant la monnaie.
Quelles en sont les différentes étapes ?
– Comme tous les pays font la même chose, il n’y aura pas d’incidence sur les taux de change, tout se dévalorise en même temps. C’est ce que l’on observe ;
– Mais les épargnants et investisseurs vont essayer de se débarrasser de cette monnaie pour acheter des actifs comme les actions, l’immobilier, l’or etc. Ainsi vont se développer des bulles sur tous les prix des actifs – c’est ce que l’on a vu avec la crise des subprime et cela va empirer après la crise du Covid-19 ;
– Le sentiment de perte de valeur de la monnaie va conduire les agents économiques à rechercher d’autres monnaies de transaction que les monnaies officielles dévalorisées ; ceci ouvre la porte aux monnaies privées de type crypto, par exemple ;
– Ce n’est que si le réflexe de défiance vis-à-vis de la monnaie conduisait, pour se débarrasser de la monnaie, à des achats de biens et services et non à des achats d’actifs, qu’il y aurait inflation des prix des biens et services. Pour l’instant ceci ne s’observe pas.
Tel est en gros ce que pense Artus.
Mes propres observations
La création de monnaie vise à stabiliser le système financier et boursier. Elle est donc réalisée de telle façon qu’elle se dirige vers les marchés boursiers et en soutienne les prix ; au fur et à mesure que la spéculation prend conscience du phénomène, elle s’enhardit, une nouvelle bulle encore plus grosse se forme.
Cette bulle est cynique – c’est-à-dire qu’elle ne se pose pas la question de la surévaluation du prix des actifs et de la rentabilité future des placements… pour la bonne raison que ce ne sont pas des placements mais des spéculations qui font monter les cours. On joue non pas la rentabilité du placement mais des écarts de cours.
Les acheteurs ont une vision de court terme, une vision de prédateurs : ils viennent « tirer un coup ».
En quelque sorte, ils « jouent » les actions, les mesures des banques centrales et non pas le résultat de ces actions. Ils jouent, comme on dit en Bourse, « sur le poil des banques centrales » – lesquelles leur font donc un splendide cadeau.
Ces spéculations sont en quelque sorte des achats d’initiés car les banques centrales, d’une part, font toujours la même chose depuis 1987, elles sont prévisibles, et d’autre part, elles téléphonent leurs coups – au moyen de ce que l’on appelle la communication et les guidances.
Les marchés savent par avance ce que les banques centrales vont faire… et en même temps, ils savent que ces mêmes banques centrales ne peuvent plus les laisser tomber. Leurs achats sont donc des achats « voyous », en quelque sorte, par des opérateurs qui tiennent les banques centrales en otage.
Comme on dit, les marchés tiennent les banques centrales par les c***…
Comment on regonfle une bulle
Le regonflement de la bulle consiste donc à acheter des actifs longs avec de l’argent court et à acheter des actifs à risque, sachant que l’on aura l’argent gratuitement et que l’on ne risque rien à court terme puisque les banques centrales fournissent le financement, soutiennent les cours et protègent des erreurs ou des excès d’avidité.
C’est la situation idéale en termes de spéculation :
– les banques centrales ont peur, elles sont terrorisées et tétanisées… donc elles paient, elles crachent face au risque/chantage ;
– l’économie productive va mal donc l’argent n’y va pas, il reste dans les marchés, dans la loterie toujours gagnante, dans l’imaginaire hédonique boursier.
Comme l’argent ne va pas dans le réel, il n’y a pas de hausse des prix des biens et des services, pas d’inflation et peu de croissance. La banque centrale peut donc continuer à arroser et maintenir sa politique.
La question importante va se poser à l’avenir, au prochain tour du manège spéculatif : lors du prochain choc, les actifs financiers seront encore plus surévalués, les marchés seront encore plus fragiles, les banques centrales pourront encore moins tolérer une baisse des Bourses et elles devront encore plus cracher au bassinet.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]