Suite à la réunion de banquiers centraux qui s’est tenue à Bretton Woods en juillet dernier, nous abordons la stratégie secrète de la Fed – et ce que les marchés ne savent pas (encore).
Les taux d’intérêt négatifs ont été le dernier sujet abordé par les banquiers centraux durant la conférence du 24 juillet à Bretton Woods, . Les taux négatifs n’ont rien de nouveau.
Ils sont apparus dans les années 1970, en Suisse, au moment où la Banque nationale suisse a tenté de dévaluer le franc suisse alors que les investisseurs fuyaient le dollar américain et se précipitaient sur les dépôts des banques suisses. La Suisse a commencé « à faire payer » le privilège de détenir des francs suisses, sous forme de taux négatifs.
Dans le contexte suivant la crise de 2008, le Japon, l’Allemagne, la Suède et la Suisse ont tous recouru aux taux négatifs. La Banque centrale européenne (BCE) applique des taux négatifs sur les réserves qu’elle conserve pour ses banques centrales membres.
Là encore, j’ai été surpris par l’attitude détendue des banquiers centraux américains à l’égard des taux d’intérêts nominaux négatifs. Ils ont reconnu que pour obtenir des taux d’intérêt réels négatifs, si la désinflation persistait ou se transformait en déflation, il faudrait peut-être faire retomber les taux des fed funds à zéro.
Une fois les taux parvenus à zéro, la Fed pourrait recourir à un nouvel assouplissement quantitatif (un QE4 ?), mais elle pourrait également passer à une politique des taux d’intérêt négatifs. Bien entendu, si la situation venait à l’exiger, elle pourrait recourir aux taux négatifs et au QE, ce qui représenterait une double dose d’assouplissement.
Les membres de la Fed qui participaient à ce débat ont exprimé clairement qu’aucune décision n’avait été prise concernant cette politique des taux négatifs. Ils ont simplement souligné qu’une politique des taux négatifs pourrait être exigée, et indiqué que la Fed y était parfaitement préparée si nécessaire.
Ce n’était pas considéré comme sujet à controverse, par ces personnes, même si ce serait totalement inédit dans l’histoire de la politique monétaire américaine. La Fed est prête à franchir cette ligne rouge comme si elle n’existait pas. Les investisseurs (ou du moins les élites assistant à notre conférence) ont été avertis.
Et la BCE ?
Quant au gouverneur de la BCE qui participait à ce débat, il n’avait pas de ligne rouge à franchir. Dans son cas, la ligne rouge des taux négatifs a été franchie depuis longtemps. Pour la BCE, il s’agit plutôt de s’enfoncer encore plus en territoire négatif.
De plus, la BCE prépare un plan de rachat d’actifs qui va bien au-delà de la quantité et des types de titres déjà achetés dans le cadre de ses propres programmes de QE. Le gouverneur participant au débat a simplement haussé les épaules en disant : « Oui, on va s’enfoncer encore plus en territoire négatif. »
Je n’ai pas été choqué par l’annonce de ces politiques, mais j’ai été surpris de constater le détachement avec lequel les banquiers centraux les annonçaient.
Ils agissaient comme si tout abaissement des taux, taux négatifs et rachats d’actifs massifs, étaient parfaitement compris par les marchés et déjà intégrés dans les cours. Or ce n’est pas le cas.
Et notre assemblée restreinte et privilégiée découvrait cette stratégie directement à la source, alors que le président de la Fed, Jerome Powell, affirmait que les décisions concernant les taux dépendaient des données et pouvaient aller dans un sens comme dans l’autre.
Ce que nous avons entendu, c’est que les politiques de taux de la Fed et de la BCE allaient baisser rapidement. Les taux de la BCE s’enfonceront encore plus en territoire négatif et la Fed va combattre l’inflation en faisant tomber les taux à zéro, voire plus bas si nécessaire. […]
Une nouvelle preuve qu’il faut acheter de l’or
J’ai eu d’autres entretiens très enrichissants avec certains participants, lors de cette conférence anniversaire de Bretton Woods. Le plus mémorable est un échange bref mais surprenant avec Larry Summers, ex-secrétaire au Trésor et désormais professeur à Harvard.
Summers a également dirigé le conseil économique national (National Economic Council), sous le mandat du président Obama. Il fut le principal architecte du plan de stimulus de 830 Mds$, à effet immédiat (shovel-ready), voté début 2009 pour gérer les conséquences de la crise financière de 2008 et de la récession.
Je lui ai demandé de but en blanc pourquoi la Russie et la Chine avaient l’une et l’autre triplé leurs réserves d’or depuis 2009. Je n’ai pas enjolivé la question. J’ai ma propre opinion sur ce sujet et j’ai eu maintes occasions de m’exprimer là-dessus. La question posée à Summers se résumait à un mot : « Pourquoi ? »
Je m’attendais à un commentaire de fond concernant l’absence de pertinence de l’or au sein des systèmes monétaires modernes. Je pensais qu’il pourrait dire que les Russes et les Chinois étaient insensés et qu’ils dépensaient leurs réserves de devises fortes pour acheter de l’or. Mais non.
Summers m’a offert une réponse directe en deux parties. D’abord, il a déclaré que l’or représentait une bonne « diversification » des réserves, pour la Russie et la Chine. Elle leur permettait d’éviter de trop s’appuyer sur le dollar. C’était parfaitement logique. En fait, la diversification est la règle n°1, en matière de gestion de portefeuille prudente.
Sa deuxième réponse a été encore plus surprenante. Voici ce qu’il a déclaré : « peut-être pensent-ils que le cours va augmenter ».
Cela a l’air simple, mais ça ne l’est pas. Dire que le cours de l’or va augmenter revient exactement à dire que le taux de change du dollar va baisser.
En une seule réponse de 30 secondes à ma question, l’économiste le plus éminent de l’establishment au monde a déclaré que l’or appartenait au système monétaire international, qu’il possédait de bonnes propriétés de diversification et qu’il était bon d’en posséder en ce moment, en raison des perspectives de baisse du dollar (et de hausse des cours de l’or), malgré la vigueur actuelle du dollar.
Venant de Larry Summers, c’était sensationnel.